Moreno Ocampo et son épouse, jugés à la CPI pour des pots-de-vin

Après son arrestation il y a quelques jours, l’ancien procureur de la Cour pénale internationale pourrait comparaître devant la même juridiction pour corruption et évasion fiscale. Ironie du sort.

 Selon le greffier de la Cour pénale internationale (CPI), Herman von Hebel, la cour devrait juger les suspects après un mois de collecte de preuves contre eux.

L’ancien procureur en chef de la CPI, Luis Moreno  Ocampo, et son épouse, Lucia Ocampo, ont été arrêtés à Londres. Soupçonnés d’avoir touché des pots-de-vin des leaders africains de haut rang durant son mandat à la tête de la CPI. « Il a fallu près d’un mois à ce tribunal pour rassembler suffisamment de preuves pour poursuivre Ocampo et sa femme », a-t-il dit.

Tout a commencé après son départ de la CPI. Le 15 août 2012, deux mois après avoir quitté son poste de procureur en chef de la CPI, 50 000 dollars ont été transférés au compte de l’avocat argentin Luis Moreno Ocampo à la banque néerlandaise ABN Amro. L’argent a été viré d’un compte en Suisse et envoyé en Europe par la Tain Bay Corporation; une entreprise basée à environ 9 000 km au Sud-Ouest de Panama.

L’accusateur accusé 

Plus d’argent a coulé dans les mois qui ont suivi. Au moins 140 000 dollars ont été transférés au compte aux Pays-Bas en plusieurs tranches – toujours au Panama et toujours via la Suisse. Selon le registre du commerce du Panama, une société nommée Furman Management a agi en tant que président de Tain Bay. Mais les documents obtenus par le site d’enquête français Mediapart et analysés par Der Spiegel et les journalistes du réseau European Investigative Collaboration (EIC) révèlent qui était vraiment derrière la Tain Bay Corporation au Panama : Ocampo lui-même et son épouse.

L’ancien procureur de la CPI, qui était l’accusateur de beaucoup de dirigeants, africains pour la plupart, est aujourd’hui accusé à son tour d’« atteinte à la justice ». La ritournelle d’arroseur arrosé, pourrait-on dire. Ainsi grâce à ses accusations visant un but inavoué, il a fait « beaucoup d’argent» en conseillant des gens qui risquaient, selon lui, d’être accusés de crimes de guerre et en possédant des entreprises dans des paradis fiscaux à l’étranger, ont révélé des documents divulgués d’une agence européenne.

La Commission anti-corruption ou ACC du Bangladesh a lancé une enquête lorsque la Banque mondiale a porté plainte pour corruption dans le projet Padma Bridge. « Ocampo et sa femme ont utilisé leurs entreprises offshore pour recevoir des pots-de-vin de personnes comme Kadhafi et Kenyatta du Kenya », a-t-il ajouté.

Durant son mandat de 9 ans à la CPI, les principaux objectifs d’Ocampo étaient de retrouver et ne juger que les dirigeants africains dont le chef de la guérilla ougandaise, Joseph Kony ; le président soudanais, Omar Al-Bashir ; le libyen Mouammar Kadhafi ; et  les Kenyans Uhuru Kenyatta et William Ruto pour crimes contre l’humanité. Ce qui n’était pas encore prouvé et le reste encore, surtout pour Khadafi et Omar Al-Bashir.

Cette fois, c’est un ennemi historique des dirigeants africains (beaucoup veulent quitter cette institution) qui est sur la sellette, entachant ainsi la crédibilité de la CPI. De là à croire que son arrestation démontre comment cette institution judiciaire internationale a été créée uniquement  pour des intérêts des personnalités occidentales, il n’y a qu’un pas. C’est aussi la raison pour laquelle certains dirigeants du continent africain n’ont cessé d’évoquer une politisation discriminatoire de l’action de la CPI qui serait devenue un instrument de pression sur les gouvernements des pays pauvres, voir un moyen de déstabilisation de leurs États.

Néocolonialisme

Nul doute que les révélations sur le comportement de l’ancien procureur en chef donneront, à certains chefs d’État, le courage de mettre à exécution leur menace de reniement du Traité de Rome. Crée en 1998 par l’adoption du statut de Rome, la CPI est la première et la seule juridiction permanente et universelle. Mais malgré cette universalité de principe, sur les dix affaires actuellement instruites par cette Cour, neuf sont africaines : l’Ouganda, la République démocratique du Congo, la République Centrafricaine, le Soudan, le Kenya, la Libye, le Mali et la Côte d’Ivoire.

Les dirigeants africains reprochent donc le « deux-poids, deux mesures » d’une cour « néocolonialiste ». Il est à se demander si la récente demande de Gambie adressée à la CPI de poursuivre les pays occidentaux pour la mort de milliers de migrants en Méditerranée trouvera une oreille attentive de cette juridiction internationale. Il en est de même de la plainte d’un collectif des ONG de droits de l’homme contre l’ancien président français Nicolas Sarkozy pour « assassinat de Mouammar Khadafi ». « Le procureur doit être une personne » de haute moralité », dit le Statut de la CPI, mais les documents d’European Investigative Collaborations (EIC) révèlent que pendant qu’il était au pouvoir, Ocampo détenait des comptes bancaires offshore et des sociétés dans des paradis fiscaux, prêtant ainsi le flanc à des suspicions sur sa moralité et sur l’intégrité de la Cour », a déclaré la Mer Noire dans un article sur les « secrets de la cour ».

Il a travaillé comme conseiller pour le cabinet d’avocats Getnick & Getnick à New York, et a créé une agence de conseil avec son frère, qui développe des « stratégies sur mesure pour gérer des conflits complexes aux dimensions transnationales », en se mettant au service de particuliers qui pouvaient être visés par les enquêtes de cette même juridiction pénale. Kadhafi a été tué par des Libyens soudoyés en 2011, à la suite d’une guerre civile sanglante. Aujourd’hui,  Luis Moreno Ocampo s’est mis au service d’un riche Libyen, Hassan Tatanaki, dont le rôle dans la crise libyenne sera controversé. Mais Ocampo accepte de lui vendre son expertise du droit international pour trois millions de dollars en trois ans.

Kony est toujours en fuite. Al-Bashir est toujours au pouvoir, soutenu par ses pairs africains qui ne croient pas en ses crimes. Un montage de mauvais goût, dit-on. Les documents divulgués ont montré que M. Ocampo, un avocat argentin âgé de 65 ans, possède au moins trois sociétés dans des paradis fiscaux à l’étranger.

Ocampo nie avoir échappé à des taxes

« Vous pouvez avoir des sociétés offshore pour des raisons légales et illégales », a-t-il dit. « Vous pouvez être une personne corrompue pour prendre de l’argent ou des pots-de-vin. En outre, vous pouvez être un honnête avocat ayant de l’argent à l’extérieur », s’est-il défendu. La Mer Noire a écrit : « Le procureur en chef doit être une personne de « haute moralité », selon les statuts de la CPI : pour éviter d’être vulnérable, les enquêteurs doivent être parfaitement propres.

Dans les milieux des dirigeants africains, on s’interrogent sur le sérieux de l’ex-procureur de la CPI qui s’est enrichi sur le dos des dirigeants du continent noir à qui il a attribué des crimes imaginaires, soit pour leur soutirer de l’argent, soit pour recevoir indûment des pots-de-vin des autres enclins à nuire à leurs adversaires.

Les cas du président soudanais Omar el-Béchir, du Libyen  Khadaffi, du Kenyan Uhuru et Kenyatta, du Congolais Jean-Pierre Bemba, pour ne citer que ceux-là, sont des exemples typiques de la mauvaise administration de la justice par la CPI sous Ocampo dont on souhaite que la vérité sur son comportement éclate dans toute sa splendeur. Son procès doit être public. Étant donné que pendant son mandat et après celui-ci, l’ancien procureur a mis en péril l’impartialité et l’indépendance de la CPI, son procès devra être exemplaire, estime-t-on dans les milieux de plusieurs dirigeants, où l’on pense qu’en ayant agi comme il l’avait fait, Ocampo s’était placé au-dessus de la justice. Son acquittement ou la mise sourdine des vérités sur les raisons de son acharnement sur les dirigeants africains, donnera, à coup sûr, raison aux 34 États africains signataires du Statut de Rome qui menacent de quitter cette institution judiciaire internationale. D’autant, poursuit-on, que les pratiques initiées par M. Ocampo sont toujours en vigueur à la CPI, perpétuées par ceux qui lui sont demeurés loyaux et fidèles. Un regard plus attentif mérite d’être porté sur ceux-là, et particulièrement sur les actions de sa remplaçante Fatou Bensouda.