Depuis 1973, le carburant subventionné par le gouvernement était considéré par la majorité des Nigérians comme un avantage dû aux citoyens d’un pays producteur de pétrole. Ce privilège est en passe d’être supprimé. C’est le mal nécessaire pour booster l’économie du pays après la chute des cours du pétrole.
C’est une nouvelle ère qui pointe à l’horizon dans le secteur des carburants pour le peuple nigérian. Les parlementaires de ce pays ont adopté la semaine dernière le budget de l’État pour l’exercice 2015. Il ressort de cette loi financière que l’État n’accorde qu’une enveloppe de 100 milliards de nairas (soit 447 millions d’euros) comme subvention aux carburants. Conséquence : le budget des subventions est réduit de 90%. Il chute de 1 000 milliards de nairas (4,47 milliards d’euros) en 2014 à 100 milliards (4,47 millions d’euros) en 2015.
En 2012, le gouvernement de Goodluck Jonathan avait osé réduire les subventions du carburant. La tentative s’est soldée par une réaction frisant l’insurrection populaire. Le gouvernement avait ainsi été contraint de capituler. Le kérosène, quant à lui, vient de recevoir une subvention de seulement 45,5 milliards de nairas pourtant il reste prioritaire dans le fonctionnement des ménages nigérians.
Certains observateurs estiment que la réduction brutale des subventions est intervenue à un moment que personne n’a prévu, surtout après l’élection du nouveau chef de l’État, Muhammadu Buhari. Le gouvernement sortant envisageait de la réduire de manière progressive, en commençant par 408,68 milliards de nairas en 2016 et 371,18 milliards en 2017. La conjoncture actuelle n’étant pas de nature à attendre, la réduction a été systématique.
Cette décision arrive également au moment où les grandes villes du Nigeria souffrent d’une pénurie de carburant due aux facteurs suivants : le retard de paiement des subventions, la chute du Naira et la difficulté d’accès au crédit. Au début de ce mois de mai, les retards de paiement des subventions totalisaient 200 milliards de nairas (984 millions d’euros), explique Dolapo Oni, spécialiste de l’énergie chez Ecobank.
Pour la petite histoire, le Nigeria, premier producteur de pétrole du continent, consomme un minimum de 40 millions de litres d’essence chaque jour. Avant la suppression des subventions, annoncée le 1er janvier 2012 sous la présidence de Goodluck Jonathan, le prix du carburant à la pompe était de 65 nairas (0,40 dollar) le litre, contre le prix franco dédouané de 139 nairas . Le gouvernement contribuait à hauteur de 73 nairas pour un total de 1 200 milliards de nairas (7,6 milliards de dollars), soit 2,6 % du produit intérieur brut du pays.
Avec une faible capacité de raffinage, le Nigeria reste encore tributaire des importations de pétrole. Ceci explique que les subventions soient faites aux importateurs. Le nouveau prix du litre d’essence ne tardera pas à être connu mais pourrait approcher 150 nairas , un prix que les manifestants de 2012 avaient contesté et que l’État avait annulé au bout de huit jours.
Le budget vient d’être approuvé par les parlementaires. La population est consciente que la chute des recettes publiques est liée notamment à la diminution des cours du baril de brut depuis septembre 2014. Acceptera-t-elle pour autant la décision sans broncher ?
Nécessité des réformes
Des voix s’élèvent qui plaident en faveur de la nécessité d’instaurer des réformes dans le secteur pétrolier au Nigeria. Les économistes, nationaux comme étrangers, considèrent la suppression des subventions comme une étape à la réforme depuis longtemps nécessaire. Le pays ne peut plus en supporter le coût. « En tant que producteur de pétrole, le Nigeria ne devait pas importer du pétrole raffiné », estiment-ils.
Pour l’analyste Garba Sani, « il aurait été préférable de supprimer les subventions par étapes tout en rénovant les quatre raffineries vétustes du pays. Car depuis 2000, le gouvernement de Goodluck Jonathan a dépensé plus de 1,78 milliard de dollars pour l’entretien des quatre raffineries, sans résultats. Celles-ci fonctionnent à moins d’un quart de leur capacité de production, et accusent un retard de 30 ans par rapport aux normes les plus récentes ». Beaucoup soutiennent qu’il aurait mieux valu se servir de l’argent utilisé pour les subventions pour construire de nouvelles raffineries et mettre ainsi un terme à la nécessité d’importer du pétrole raffiné.
Pour Sanusi Lamido Sanusi, gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, « les subventions allouées aux carburants coûtent très chers à l’État, profitent plus aux riches qu’à la majorité de la population », affirmait-il dans une interview.
Par exemple, démontrait-il, « au cours des onze premiers mois de 2011, le pays a utilisé 16 milliards de dollars de ses réserves de change pour importer du pétrole raffiné ; la moitié de cette somme a été payée par des banques aux importateurs et l’autre moitié par le Trésor sous-forme de subvention. Ce pays, qui compte parmi les premiers producteurs d’Afrique (2,4 millions de barils/jour), manque pourtant de raffineries. C’est insoutenable. En supprimant des subventions, le gouvernement pourrait économiser 4,8 milliards d’euros dès 2012, et les investir notamment dans la construction des raffineries.», avait-il confié à Jeune Afrique.