À Dakar, première étape de sa tournée, il est prévu que Xi Jinping, le président chinois, signe avec Macky Sall, son homologue sénégalais plusieurs accords de coopération économique. Et il devra prendre part à l’inauguration officielle du Musée des civilisations noires de Dakar, une infrastructure culturelle financée par la Chine. À Kigali, deuxième étape de sa visite, Xi Jinping procédera également à la signature de plusieurs accords avec le président rwandais. Paul Kagamé est le président en exercice de l’Union africaine (UA), à ce titre, il aura des discussions avec le président chinois, notamment dans la perspective du prochain sommet Chine-Afrique prévu en septembre à Pékin. Il aura pour thème « Construire ensemble une communauté de destin sino-africaine encore plus solide pour réaliser la coopération gagnant-gagnant ».
Puis, le dirigeant chinois se rendra en Afrique du Sud, où il participera au sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Un bloc de puissances émergentes qui se considèrent comme des « acteurs-clés du passage de l’unipolarité américano-centrique à l’ordre mondial post-occidental ». En marge de ce sommet, des échanges sont prévus avec Cyril Ramaphosa, président sud-africain, ainsi qu’avec Abdel Fattah al-Sissi, le président égyptien.
C’est pour la troisième fois que Xi Jinping se rendra sur le continent africain. Pour rappel, il avait déjà effectué une première visite de huit jours en Tanzanie, en Afrique du Sud et en République du Congo, quelques jours seulement après son élection en mars 2013. Un deuxième périple africain l’avait conduit au Zimbabwe et en Afrique du Sud, en décembre 2015.
Coup de fouet après la réélection
Réélu en mars, Xi Jinping veut donner un coup de fouet aux relations sino-africaines. Depuis 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique. Ce n’est pas rien. Selon des données de la China Africa Research Initiative, la valeur des stocks des investissements chinois sur le continent est passée de 2,5 milliards de dollars en 2003 à 34,6 milliards en 2016, ce qui représente une progression annuelle de 33 % durant cette période.
Depuis l’année 2000, la Chine a également déversé plus de 140 milliards de dollars en Afrique sous forme de prêts, contribuant ainsi à stimuler la croissance économique et la création d’emplois dans les pays bénéficiaires.
Ces prêts adossés à de vastes programmes d’investissements dans les infrastructures sont souvent conditionnés à l’attribution des marchés aux entreprises chinoises et à l’exploitation des ressources naturelles locales.
En quelques années seulement, la Chine s’est hissée au rang de premier créancier de l’Afrique, en s’appuyant notamment sur ses deux principaux bras financiers, à savoir la Banque chinoise d’import-export (China EximBank) et la China Development Bank (CDB), ainsi que sur des fonds bilatéraux spécifiques comme le Fonds de développement Chine-Afrique (CAD Fund). Jusque-là, les institutions financières chinoises demeurent très discrètes sur leurs interventions en Afrique.
Mais l’Initiative de recherche Chine-Afrique (CARI), un centre de recherche dépendant de l’Université américaine Johns-Hopkins, fournit des données assez fiables sur les prêts servis par la Chine à l’Afrique. Il en ressort que Pékin a déversé 94,4 milliards de dollars de prêts en Afrique entre 2000 et 2015.
Quelque 47 milliards de dollars sur l’enveloppe de 60 milliards promise sur trois ans (2015-2018) au continent par le président Xi Jinping, lors du 6è forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), en décembre 2015 à Johannesburg, ont été déjà décaissés. Des décaissements qui portent le montant global des prêts chinois en Afrique à plus de 140 milliards de dollars. Ces prêts représentent aujourd’hui près de 20 % du stock total de la dette des pays d’Afrique subsaharienne.
Dans une étude publiée le 16 avril, le think tank américain, Brookings Institution, a révélé que les prêts consentis par la Chine aux pays d’Afrique subsaharienne depuis le début du nouveau millénaire ont essentiellement servi à financer plus de 3 000 projets d’infrastructures. Intitulée « Compétition en Afrique : la Chine, l’Union européenne et les États-Unis » (Competing in Africa: China, the European Union, and the United States), cette étude a également précisé que ces projets ont largement stimulé la croissance économique dans les pays bénéficiaires.
Les gains générés en termes de croissance ont atteint deux points de pourcentage dans certains pays. Au Kenya, par exemple, le gouvernement a assuré que la ligne de chemin de fer Nairobi-Mombasa, inaugurée en mai 2017 et financée par la China Eximbank, permettra, à elle seule, au pays de gagner un point et demi de croissance. Un rapport publié en juin 2017 par le cabinet d’audit et de conseil américain McKinsey a révélé que les financements chinois contribuent à créer assez d’emplois localement. Environ 89 % des employés de 1000 entreprises chinoises sondées dans le cadre de cette étude étaient africains, soit près de 300 000 emplois.
Intitulé « La danse des lions et des dragons » (Dance of lions and dragons), le rapport de McKinsey a fait remarquer par ailleurs que le montant global des accords de financement de projets d’infrastructures conclus par la Chine au Sud du Sahara, sur la seule année 2015, s’est élevé à 21 milliards de dollars, soit une enveloppe beaucoup plus élevée que celle relative aux accords signés sur la même période par le Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA), qui regroupe la Banque africaine de développement (BAD), la Commission européenne, le Banque européenne d’investissement (BEI), la Société financière internationale (IFC), la Banque mondiale et les pays membres du G8 !
Cash contre ressources naturelles
Un peu partout en Afrique, Pékin ne fait qu’occuper le terrain laissé par les bailleurs de fonds traditionnels, de plus en plus sourcilleux en ce qui concerne le respect des droits de l’homme et la gouvernance démocratique. Les financements des bailleurs de fonds occidentaux sont souvent corrélés à un ensemble des conditionnalités visant à réformer les économies africaines dans un sens libéral (privatisations, réduction des effectifs de l’administration, libéralisation des secteurs stratégiques, etc.) et à encourager les pays à s’engager sur la voie de la démocratie et de la bonne gouvernance.
En l’absence de progrès dans ces domaines, ces bailleurs de fonds traditionnels se réservent le droit de fermer le robinet du financement. Et les Chinois prennent les Occidentaux à contrepied. Pas d’ingérence dans les affaires intérieures des pays africains. Certains experts occidentaux remettent cependant en cause l’inconditionnalité des prêts chinois. D’autant plus que Pékin assujettit souvent ses prêts à l’accès au marché pour les exportations chinoises et pratique une « aide liée » (Tied Aid), dans le cadre de laquelle le pays bénéficiaire est obligé d’avoir recours aux biens ou services des entreprises du pays prêteur pour mettre en œuvre les projets financés.
« En fait, l’aide chinoise est doublement liée. D’une part, les projets financés par la Chine font essentiellement appel à des entreprises chinoises; et d’autre part, les financements de projets d’infrastructures (routes, ponts, barrages, hôpitaux, etc.) ou de prestige (stades, palais présidentiels) sont systématiquement liés à l’octroi de concessions pétrolières ou minières », explique Laurent Delcourt, chercheur au Centre tricontinental (CETRI), un centre d’étude belge spécialisé dans les questions du développement et les rapports Nord-Sud. Baptisé « financement angolais », ce mode opératoire a été utilisé dans plusieurs pays riches en ressources naturelles, dont l’Angola, le Soudan et la République démocratique du Congo.