C’EST à la véranda de sa villa gardée bien propre dans le quartier populaire de Matonge, dans la commune de Kalamu à Kinshasa, que Jean Marie Botamba nous reçoit. En cet après-midi d’un dimanche de septembre, très ensoleillé, cet homme de 85 ans bien sonnés porte un costume trois pièces bleu marine, une chemise Arrow Mitoga blanche comme neige sur laquelle une cravate à petits pois noirs zigzague au bombé de l’estomac, et un borsalino beige sur le crâne. L’allure élégant, on dirait un sosie… de Winston Churchill, ancien 1ER Ministre britannique, Jean Marie Botamba a encore la nostalgie de « la belle époque » des années 1950-1960.
Après l’échange d’amabilités, il entre en la matière : « Je ne peux plus vivre avec ça ! » Ça quoi ?, lui demandons-nous. « La grammaire et l’orthographe, en tant qu’un exercice quotidien, intime et de rigueur intellectuelle, sont en danger dans notre pays, assène-t-il. Voilà pourquoi je vous ai fait venir parce que vous écrivez en bon français dans votre journal que je lis assidument depuis trois ans déjà. » Et il déroule.
La fascination des anciens
Après des études au séminaire à l’Équateur, sa province natale, Jean Marie Botamba s’est lancé dans l’administration publique au lendemain de l’indépendance le 30 juin 1960, jusqu’à assumer la fonction d’administrateur du territoire. Il se souvient encore de l’époque où il était aux études et de ses débuts dans la carrière professionnelle comme si c’était hier. « J’aimais lire les textes des grands auteurs français et écouter particulièrement les discours d’Aimé Césaire et Léopold Sedar Senghor à l’Assemblée nationale française. Ils m’impressionnaient au point d’imiter leur façon de parler. Je me disais comment ces deux nègres pouvaient parler et écrire le français mieux que beaucoup de Français eux-mêmes. Pas n’importe quel français mais un français raffiné », s’extasie Jean Marie Botamba pendant quelques minutes.
Puis il se reprend : « Ils étaient notre modèle à l’époque parce qu’ils rendaient la dignité et la fierté à l’homme noir. Nous imitions la façon dont ils maniaient la langue française. Nous voulions ressembler à eux, et, d’ailleurs, ici dans mon quartier, on m’appelle Maurice Grevisse parce que je parle le français de l’Académie. » Aujourd’hui, poursuit notre interlocuteur, l’administration publique n’est plus élitiste. « Elle n’est plus ce qu’elle était à notre époque, il n’y a plus de rigueur dans l’usage de la langue du travail.
Fautes d’orthographe et erreurs de grammaire ou de syntaxe y gagnent du terrain. Qui y emploie-t-on aujourd’hui comme secrétaire de direction ou agent chargé de rédiger les lettres administratives ? », se plaint cet homme qui nous brandit des lettres et des discours officiels qu’il a compilés.
« Regardez ça, par exemple, c’est une lettre signée par un ministre. Comptez les fautes d’orthographe qu’il y a dedans… Le ministre ne les a-t-il pas vues avant d’apposer sa signature sur le courrier ? Ça commence à faire un peu trop, les fautes d’orthographe, de grammaire et de syntaxe dans les documents officiels », râle Jean Marie Botamba. Qui ne croit pas du tout à l’idée reçue selon laquelle les nouvelles technologies ont multiplié les échanges écrits, levant le voile sur les désaccords profonds entre la langue française et ses utilisateurs.
« Je suis un irréductible qui tient à la beauté et à la justesse de la langue française, et protège ses règles bec et ongles », dit-il. Ce vieillard plaide pour que l’enseignement du français soit renforcé à l’école et à l’université. Sinon, l’art de la correspondance dans les administrations en général va en pâtir.
L’agacement de Jean Marie Botamba est partagé par nombre de Congolais, qui se disent sidérés lorsqu’ils reçoivent un courrier administratif contenant des fautes d’orthographe. « Il est devenu presque impossible de recevoir une lettre ou de lire un discours écrits correctement en français : des accords manquants, des conjugaisons fantaisistes et des participes passés malmenés dans les documents dactylographiés ! Bien évidemment, dites-vous, le coupable, ce sont les nouvelles technologies de l’information et de la communication », dégaine Jean Marie Botamba. En effet, avec la toute-puissance des réseaux sociaux, l’orthographe semble n’avoir plus aucune espèce d’importance pour les gens.
Encadrer les jeunes
Outre le fait de renforcer l’enseignement de la langue française, il préconise que les responsables politiques et les employeurs écartent les secrétaires ou agents qui commettent erreurs de syntaxe et fautes de grammaire. Sinon ? « Eh bien, on va croire que ce sont eux qui n’ont pas la maîtrise du français. Je crois que les autorités du pays et les employeurs devraient se pencher sur ce problème pour éradiquer les vilaines fautes qui ternissent leur image. En effet, lorsque je lis une lettre truffée de fautes, j’ai véritablement du mal à me concentrer sur le contenu… Il m’arrive souvent de ne pas lire un discours officiel ou un document intéressant jusqu’au bout, parce que je ne parviens plus à me concentrer suffisamment sur les explications. Je suis trop consterné à chaque nouvelle phrase pseudo-française », témoigne Jean Marie Botamba.
Plutôt que de simplement se plaindre de ce qu’il appelle « une catastrophe », il a décidé d’encadrer des jeunes gens qui le souhaitent. « Mon initiative est simplement que les jeunes gens qui rédigent les documents en général prennent conscience de l’importance de l’orthographe et de la syntaxe qui va avec le contenu lui-même », s’explique-t-il. Et d’ajouter : « Écoutez attentivement les gens parler : nos intellectuels, hommes et femmes politiques, professeurs, instituteurs, professions libérales, les journalistes à la radio comme à la télévision, les adultes comme les jeunes gens, toutes les catégories sociales sont touchées, à quelques exceptions près. »
Rien à faire, les fautes d’orthographe sont une « catastrophe pour les enfants » qui apprennent la langue. Cela est dommage par rapport à la beauté de la langue française qui est une langue fluide et qui devient une langue hachée, aux phrases saccadées, si l’on ne fait pas les liaisons entre les mots. D’après lui, à force de toujours tout simplifier, les enfants s’expriment avec un vocabulaire très pauvre, inventent des mots sans que d’ailleurs les adultes les corrigent. « C’est bien dommage car ils n’arriveront pas à former une pensée et à développer un esprit critique. Les fautes d’orthographe et le non-respect des règles de la grammaire française nuisent à la qualité des lettres et discours que l’on rédige », conclut Jean Marie Botamba.