La tentative de renversement du président burundais menée par une partie de l’armée a fait long feu. Pour autant, le ciel est loin de s’être éclairci. Au contraire, les nuages s’amoncellent pendant que les incertitudes s’installent.
Le numéro 1 du Burundi a eu chaud : le putsch du 13 mai, dirigé par le général Godefroid Niyombare, ancien chef d’état-major de l’armée et ex-numéro un des services de renseignement, a failli lui coûter son fauteuil. Sa baraka tient au fait que l’opération semble avoir été mal planifiée. Et surtout parce que Niyombare et ses camarades ont perdu l’essentiel : le contrôle des moyens de communication, en l’occurrence la radio nationale.
De retour à Bujumbura, Pierre Nkurunziza – en kirundi, comme en kinyarwanda, son nom signifie « Bonne Nouvelle » – a sans doute savouré sa « victoire ». Il a surtout intimé aux manifestants l’ordre d’arrêter. Il est certainement allé trop vite en besogne, car les manifestations continuent. Et puis, il a décidé de nettoyer un peu son écurie, en limogeant le ministre des Affaires étrangères et celui de la Défense.
Pour le moment, le numéro 10 de l’Halleluya Football Club – le ballon rond est l’une de ses passions – a marqué un but contre tous ceux qui pensent que sa candidature à l’élection présidentielle de juin – si elle est maintenue – est anticonstitutionnelle. Le processus électoral risque d’être perturbé : on voit mal comment les élections et législatives prévues le 26 mai pourraient se tenir dans un pays sous tension.
Se maintenir au pouvoir n’est pas sérieux
Avant même les événements du 13 mai et leur épilogue, beaucoup de Burundais, la peur au ventre, ont préféré anticiper en quittant leur pays pour se réfugier dans les pays voisins : Rwanda, République démocratique du Congo, Tanzanie. La crainte du pire est bien connue des Burundais dont l’histoire est marquée par des massacres intercommunautaires, l’exclusion, des coups d’État militaires, des assassinats politiques, la guerre civile… Chaque fois que la tension monte, tous les observateurs craignent que le Burundi ne fasse un grand bond en arrière.
Le débat qui agite le pays est simple, de prime abord : Pierre Nkurunziza, dont le second mandat de cinq ans expire en août, a-t-il le droit, au regard de la Constitution, d’être candidat à sa propre succession ? Pour le concerné et ses partisans, aucun doute n’est permis. Ses détracteurs, eux, pensent le contraire. Et c’est bien là la pomme de discorde.
En 2012, à l’occasion d’une interview qu’il nous avait accordée à Bujumbura pour l’hebdomadaire Jeune Afrique, nous lui avons posé la question suivante : « Certains de vos compatriotes vous prêtent l’intention de procéder à une modification de la Constitution afin de briguer un troisième mandat en 2015. Y avez-vous pensé ? » Réponse de Pierre Nkurunziza : « On m’avait déjà prêté cette intention avant les élections de 2010, mais ce sont des affirmations gratuites. Nous avons mené des réformes sur les plans économique, social, juridique… Il y a des changements. C’est cela qui importe. Cela peut émaner du peuple, qui souhaiterait une révision de la Constitution afin qu’elle soit en adéquation avec notre adhésion à la Communauté d’Afrique de l’Est. Il faut réfléchir à cela. Mais voir dans une telle démarche une intention de se maintenir au pouvoir n’est pas sérieux. »
Si mon parti estime que je suis le candidat de 2015 …
Pourtant, la tentative de modification de la Constitution a eu lieu en 2014. Ce n’était pas une volonté populaire. Il a manqué à Nkurunziza une petite voix pour que la loi fondamentale burundaise soit modifiée, essentiellement sur la limitation des mandats.
En mars 2013, Pierre Nkurunziza a effectué un voyage officiel à Paris pour s’entretenir avec son homologue français, François Hollande. Il venait juste d’annoncer l’envoi d’un contingent burundais au Mali. Nous l’avons rencontré. Au cours de l’interview, nous sommes revenu sur sa position par rapport à une éventuelle candidature en 2015. « Votre mandat s’achève en 2015. Allez-vous vous représenter ? » Réponse : « Les individus ne s’improvisent pas candidats, même si tout Burundais a le droit de se faire élire. Ce sont les partis qui présentent leurs candidats aux différentes élections. Ensuite, l’organisation des scrutins repose sur le code électoral, sur la Constitution, sur la Commission électorale indépendante, sur la Cour constitutionnelle, qui doit vérifier la régularité des candidatures… ».
Question : « Mais accepteriez-vous d’être candidat à votre succession si on vous le demandait ? » Réponse : « Si mon parti estime que je suis le candidat qui lui convient en 2015, conformément à la Constitution et au code électoral, je ne me déroberai pas à cette responsabilité. » Question : « Ce ne serait pas une violation de la Constitution, qui a limité à deux le nombre de mandats présidentiels ? » Réponse : « Seuls comptent les avis de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale nationale indépendante. Ces organes sont les seuls habilités à accepter ou à rejeter une candidature. »
De 2005 à 2015, cela fait bien dix ans
C’est donc sans surprise que le congrès du Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti présidentiel, tenu fin avril, a désigné Pierre Nkurunziza comme son candidat à la l’élection de juin. Conséquence : les manifestations ont commencé dans les rues de la capitale pour protester contre ce que beaucoup considèrent comme un viol de la loi fondamentale. Et de rappeler que le chef de l’État en est à son second et dernier mandat, même si, en 2005, il a été élu au suffrage indirect.
De 2005 à 2015, cela fait bien dix ans. Mais Nkurunziza n’est pas d’accord avec cette arithmétique. Selon lui, son premier mandat date de 2010, parce que c’était le suffrage direct. En 2010, il s’était retrouvé seul face à lui-même à la suite du retrait de la compétition de ses adversaires qui dénonçaient des irrégularités constatées lors de la publication des résultats des élections générales. Mais le président burundais avait reçu de la part de la communauté internationale une sorte d’encouragement à aller jusqu’au bout du processus. D’après elle, l’opposition n’avait pas donné la moindre preuve tangible de ces présumées « fraudes massives ». Réplique d’un opposant : « La communauté internationale confond le bon déroulement du scrutin sur le plan sécuritaire et les irrégularités orchestrées par le pouvoir ».
Il faudra un dialogue permanent entre les Burundais
Afin d’apaiser les esprits et détendre l’atmosphère générale – les principaux opposants ayant pris la clé des champs, tout le monde redoutait un nouvel embrasement du pays – le Bureau des Nations unies au Burundi (BNUB) avait organisé, à la mi-mars 2013, un colloque réunissant quasiment l’ensemble de la classe politique.
L’objectif était d’arriver dans les meilleures conditions aux échéances électorales de cette année. Cela n’a pas suffi, d’autant que certains opposants ont été harcelés par le pouvoir.
Lorsque nous avons demandé au président Nkurunziza si cela n’était pas dangereux pour la paix sociale, il avait répondu : « Je ne le pense pas. Le processus démocratique est en marche et il n’y a pas de doute qu’il pourra se consolider. Si quelques petits obstacles se présentent, il faudra un dialogue permanent entre les Burundais, quel que soit le camp auquel ils appartiennent ». En réalité, en guise de dialogue, les rapports entre l’opposition, la société civile d’un côté, et le pouvoir de l’autre, n’ont été qu’un bras de fer permanent, avec quelques éclaircies de temps à autre.
Pierre Nkurunziza, une fois n’est pas coutume, a réussi à faire l’unanimité contre lui dans sa détermination à briguer un troisième mandat. Son voisin Paul Kagame, qui n’est pas un tendre et c’est le moins qu’on puisse dire, ne s’est pas gêné de lui prodiguer indirectement des conseils pour l’amener à prendre la porte de sortie. L’Union africaine, généralement muette en pareille circonstance, a aussi donné de la voix en s’opposant à tout nouveau quinquennat pour Nkurunziza. Tout comme l’Union européenne et les États-Unis.
L’homme qui a décidé de nier les évidences
L’opposition la plus nette est venue de son propre parti, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD). Dix-huit membres de ce parti, dont des cadres de premier plan, lui ont écrit pour lui exprimer leur opposition à sa volonté d’être candidat à la présidentielle. Ils ont dit, en substance : « Nous, les militants du CNDD – FDD chargés de diverses responsabilités au sein du parti et de la nation, nous nous sommes sentis interpellés pour sortir de notre silence, pour déclarer que nous nous alignons sur la position des membres du Conseil des Sages du CNDD – FDD, qui s’est inscrit en faux récemment contre un autre mandat présidentiel pour vous en 2015 ». Peine perdue.
Mais le président burundais va-t-il plier ? La question se pose par rapport à l’extérieur. Le Burundi, petit pays d’Afrique centrale, en dépit de ses potentialités, agricoles pour l’essentiel, n’a pas les moyens de sa politique. À l’instar du Rwanda, un pourcentage important de son budget est tributaire de l’aide extérieure. S’il a connu, ces dernières années, une croissance de 3 %, il est toujours parmi les mal classés en termes de développement humain. Se passer de l’aide serait un gros risque, voire un suicide. Nkurunziza osera-t-il ?
Qui est cet homme qui a décidé de nier les évidences, au risque de sortir de l’Histoire ? Pierre Nkurunziza est né en 1964 à Ngozi, dans le nord du Burundi, d’un père hutu et d’une mère tutsi. Son père, gouverneur de province et député, fut assassiné en 1972 lors des massacres qui visaient les élites de la communauté hutu qu’avait planifiés le régime de l’époque. Formé à l’université du Burundi, il en sort avec un diplôme en éducation physique. Il sera ensuite maître-assistant en éducation physique et entraîneur de football.
Conciliateur entre les différentes factions
C’est en 1995 qu’il prend une décision importante : il rejoint la rébellion du Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD – FDD). Cette insurrection fut lancée par Léonard Nyangoma en 1994 à la suite de l’assassinat, un an plus tôt, de Melchior Ndadaye, le premier président hutu de l’histoire du Burundi. Un de ses compagnons de maquis, Godefroid Niyombare, l’auteur de la tentative du putsch manquée du 13 mai, nous parlait de lui en ces termes : « Au maquis, il était plus politique que militaire. Dans son rôle, il a longtemps servi de conciliateur entre les différentes factions de la rébellion. Par sa capacité d’écoute, son détachement, il arrivait à convaincre les uns et les autres. D’où son surnom de l’époque : Umuhuza, c’est-à-dire le médiateur en kirundi. »
En 1996, Pierre Nkurunziza est condamné à mort par contumace par les autorités de Bujumbura, c’est-à-dire le gouvernement de Pierre Buyoya, qui l’accusent d’avoir posé des mines antichar ayant causé de nombreux morts dans la capitale du pays. Devenu un personnage influent de la rébellion, il sera au premier plan lors des négociations qui aboutiront à la signature, en août 2000, de l’Accord de paix d’Arusha. Commence alors pour le Burundi une période de transition, qui s’achève cinq ans plus par des élections générales remportées par le CNDD – FDD dont Nkurunziza est président depuis 2001. Seul candidat à la présidence de la République, il est élu sans encombre au suffrage indirect par le Parlement.
Réveiller les vieux démons
Durant ses deux mandats, il se fait remarquer par la pratique religieuse. « Born again », la religion est au centre de son action. Si bien que, chaque dimanche, le palais présidentiel est très animé : Nkurunziza prêche avec une ferveur hors du commun et n’hésite pas à se transformer en showman chantant et dansant, à la manière des grands noms de la soul. Et puis, il y a le sport. Pratiquant le cyclisme, la natation, il joue surtout au football. Tous les jours, dès 16 heures, il cesse toute activité officielle pour s’adonner au football. Commentaire d’un de ses anciens camarades devenu opposant : « Il abandonnait parfois un conseil des ministres pour aller jouer. Avec lui, la fonction présidentielle a été réduite à un folklore permanent. »
La décennie Nkurunziza a également été marquée par des travaux communautaires réalisés à travers le pays pour la construction d’infrastructures de base. Et des arrestations de certaines personnalités comme, en 2006, l’ancien président Domitien Ndayizeye et l’ancien vice-président Alphonse-Marie Kadege, accusés de tentative de coup d’État. La plus spectaculaire a été celle, en 2007, d’Agathon Rwassa, président du CNDD – FDD, qui fut condamné à treize ans de prison avant de s’évader cette année. Tout compte fait, Pierre Nkurunziza pourra s’enorgueillir d’avoir décidé de la gratuité de l’école primaire et des accouchements.
Beaucoup d’observateurs estiment que les tensions actuelles sont porteuses de danger. Ils signalent que la pire des choses qui puisse arriver serait une remise en question de l’Accord de paix d’Arusha, signé en 2000 dans cette ville tanzanienne par le gouvernement de Pierre Buyoya et la rébellion du CNDD – FDD. Cet accord est la base même du fonctionnement actuelle des institutions burundaises et de la société dans son ensemble. Le remettre en question risquerait de plonger le Burundi dans une phase de turbulences qui pourrait réveiller les vieux démons de la division dont ce pays a longtemps souffert.