« Panav : cet étrange projet de l’Union européenne en RDC »

Nos articles, « Transport fluvial : la SCTP se charge du balisage du fleuve pour la reprise du trafic » paru dans l’édition n°166, page 12, du 19 au 25 mars 2018, et « Investissements : Chanimétal et COFED en justice, la Régie des voies fluviales en pâtit » paru dans l’édition n°169, page 13, du 9 au 15 avril 2018, ont suscité la réaction d’un de nos lecteurs assidus, Ali Mamona, résidant à Kinshasa, qui nous a fait parvenir le courrier ci-après. 

 

« Lecteur assidu de Business et Finances, opérateur de transport par voies d’eau intérieures,  j’ai lu avec beaucoup d’intérêt vos articles parus dans vos éditions n°166 et n°169, respectivement intitulés « Transport fluvial : la SCTP se charge du balisage du fleuve pour la reprise du trafic » et « Investissements : Chanimétal et COFED en justice, la Régie des voies fluviales en pâtit ». Voilà pourquoi, je me suis résolu de partager avec les autres lecteurs de Business et Finances quelques réflexions sur le Projet d’appui à la navigabilité sur les voies fluviales et lacustres (PANAV), qui est un projet de l’Union européenne (UE), financé à hauteur de 60 millions d’euros, en partenariat avec l’État congolais.

Rectificatif

Avant tout, j’aimerais apporter ce tout petit rectificatif à propos du premier article précité, pour dire tout simplement que ce n’est pas la Société commerciale des transports et des ports (SCTP) qui a diligenté la mission du baliseur Kauka sur le bief moyen, en partance de Kinshasa pour Kisangani, en décembre 2017. Il s’agit plutôt de la Régie des voies fluviales (RVF) qui, avec l’appui du PANAV, bien entendu, a assuré la totale réhabilitation de ce baliseur sorti récemment du chantier fluvial de Chanimétal.

Cela étant fait, j’affirmerais aussi que bien des choses intéressantes ont été réalisées au bénéfice de la RVF dans le cadre de ce projet de l’Union européenne mis en vigueur depuis bientôt neuf ans. Il s’agit aussi, entre autres, de la réhabilitation de l’autre baliseur Kongo, ainsi que de la livraison d’une dizaine des canots hydrographiques. Grosso modo, il est bon de retenir que l’objectif général de cet appui de l’Union européenne, à travers le PANAV, consiste principalement à permettre à la RVF d’assurer sa mission, notamment le balisage du bief moyen du fleuve Congo, long de 1 700 km, entre Kinshasa et Kisangani et de la rivière Kasaï ; mais aussi de produire des cartes de navigation mises à jour. En effet, les dernières cartes utilisées encore à ce jour datent de l’époque coloniale. Un bien louable objectif sur le papier. Mais au regard des observations qui se dégagent de la gestion quotidienne du PANAV, il y a lieu de s’interroger sur la volonté réelle de l’Union européenne de voir la communauté congolaise jouir pleinement et de façon durable des résultats escomptés dans ce projet.

Indifférence caractérisée à l’égard des parties prenantes

La réussite affirmée d’un projet de développement se traduit dans la pérennisation de ses résultats qui découle du degré de son appropriation par la communauté de ses bénéficiaires directs et indirects. Et, outre la parfaite réalisation du projet, ceci est la résultante d’une attention soutenue de ses promoteurs sur la perception et les attentes qu’en ont les bénéficiaires et d’une communication efficiente destinée à toutes les parties prenantes.

N’est-il pas curieux de constater qu’en neuf ans d’existence du projet, aucune partie prenante, à part la RVF qui en est le bénéficiaire direct, n’ait été approchée par le PANAV jusqu’en ce début d’avril 2018 ? Ni les navigants, ni les armateurs, ni les communautés riveraines et les passeurs, ni les commerçants et autres importants usagers de voies fluviales, et encore moins l’opinion publique, à travers la presse, n’ont constitué la moindre préoccupation, en termes de communication, du management du PANAV. Au point de se demander, en fin de compte, à qui sont destinés les résultats de ce projet ? À moins que ce ne soit qu’une simple formalité à exécuter dans le cadre d’une convention de coopération entre l’Union européenne et la République démocratique du Congo. Peu importe ce qui pourra en advenir.

Ne sait-on pas, par exemple, que la finalisation de ce projet mettra fin au gagne-pain des passeurs – ces jeunes riverains qui indiquent aux navigants les bonnes voies dans les passes difficiles et dangereuses du fleuve congo – ? L’absence d’une stratégie d’approche communicationnelle bien pensée à leur endroit et à l’endroit des communautés riveraines risque de présager, à coup sûr, une catastrophe pour les résultats engendrés. Le PANAV est managé dans la plus grande opacité communicationnelle qui soit, pourrait-on ainsi dire.

60 millions d’euros, dit-on ? Moins du quart aux Congolais

Un montant à faire rêver plus d’un Congolais. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ce pactole a beaucoup plus profité aux entreprises européennes, de par les passations des marchés publics, dans le cadre de la mise en œuvre du PANAV, qu’aux entreprises congolaises qui se sont contentées du saupoudrage des restes entre elles.

Le conflit judiciaire qui oppose aujourd’hui la Cellule d’appui à l’ordonnateur national du Fonds européen de développement (COFED) à Chanimétal qui s’estime injustement lésé dans le cadre de l’appel d’offre relatif à la fabrication des bateaux multifonctions pour le compte de la RVF, illustre bien la dure réalité de l’aide au développement des Occidentaux envers les pays africains. Le gros du financement reste chez le donateur. La COFED, pourtant dirigée par un Congolais, lui a préféré l’entreprise européenne, JGH Marine, alors que la société Chanimétal estime présenter plus d’atouts : infrastructures en RDC, plus d’un siècle d’expérience dans la construction des unités fluviales, offre la moins disante et possibilité d’assistance (service) après-vente.  

Toutefois, si l’on veut que la partie congolaise, au finish, tire profit des résultats engendrés par le projet, cela devra se faire dans la perspective d’en assurer tout de même la pérennisation. 

Management du PANAV : l’étonnant choix de l’UE

Au PANAV, le management est assuré par un régisseur du projet – qui représente les intérêts de la RDC – et par un coordonnateur du projet – qui est délégué par l’Union européenne . Ce dernier a évidemment la préséance sur le premier, et, à ce titre, la décision finale lui revient. Pour un projet aussi technique que le PANAV, relatif à l’état de la navigabilité des voies de transport fluvial et lacustre, le choix des animateurs doit reposer sur des profils qui ont trait aux différents métiers que comporte la navigation dans ses filières.

À cet égard, l’on peut comprendre le choix porté par la partie congolaise sur le régisseur du PANAV. En effet, Deocard Mugangu est un ancien commandant au long cours à la Compagnie maritime belge (CMB) et à l’ex-Compagnie maritime zaïroise (CMZ). Il a été aussi à tête de la Régie des voies maritimes (RVM). Il est aussi un ancien directeur des infrastructures à la Commission internationale du Bassin Congo-Oubangui-Sangha (CICOS) et ancien directeur au Centre régional de formation en navigation par voies d’eau intérieures (CRFNI).

Par contre, l’Union européenne s’est choisie comme coordonnateur du PANAV, François Blaize, juriste de formation dont le cursus professionnel n’avait jamais eu, auparavant, à avoir, de loin ou de près, avec la navigation ou le transport par voies d’eau. Ce choix s’avère tout de même surprenant ! Comment, sans vraiment avoir les pré-requis indispensables que seuls confèrent la formation et le métier à travers l’expérience, peut-on mener à bon port un si bon projet de transport par voies d’eau intérieures.

Note de la rédaction

NDLR : Nous comprenons le cri de colère de ce lecteur, en disant que le déficit communicationnel au PANAV est anormal pour un projet aussi stratégique que vital pour la mobilité de la population et la circulation des marchandises en RDC. D’ailleurs, il nous revient que de tous les projets financés par l’UE dans notre pays, c’est le PANAV, seul, qui manque de visibilité communicationnelle. Il est un principe qui dit : « bien faire et le faire savoir ». Et il n’est jamais trop tard pour combler ce déficit. À une année de son échéance, la Délégation de l’UE en RDC devrait s’y pencher, à notre avis.