La Société congolaise des pêches (SOCOPE), les ex-Pêcheries maritimes du Zaïre (PEMARZA), s’est reconvertie dans le toilettage des ports. Société d’économie mixte, la SOCOPE a soutenu que le débit du fleuve Congo est si fort qu’il éloigne les poissons des côtes atlantiques congolaises. La Congolaise des voies maritimes (CVM), ex-RVM, avait élargi son objet social à la pêche lorsqu’elle a acquis son baliseur Ngole Iliki. Le navire est tombé en panne depuis et le projet a naturellement chaviré sans que l’ancienne Régie des voies maritimes (RVM) n’ait livré un seul kilo de poissons sur le marché.
Il n’est plus que l’entreprise chinoise de droit congolais, Bosa, qui opère sur la côte atlantique. Mais, hélas, les chalutiers de Bosa, fabriqués avec du bois de Mayombe, sont bien souvent arraisonnés par la marine angolaise. Bosa déplore le mutisme du gouvernement congolais par rapport à ce problème récurrent. Les dirigeants déclarent que « leur entreprise paye régulièrement les taxes mais elle n’est pas protégée par les autorités congolaises face à la marine angolaise qui dicte sa loi sur les eaux congolaises ». Luanda a toujours affirmé que les navires battant pavillon congolais sont arraisonnés au motif qu’ils pêchent dans ses eaux territoriales. Une accusation rejetée par Bosa, qui affirme détenir toutes les coordonnées techniques prouvant le contraire.
L’unique entreprise de pêche industrielle sur la côte muandaise envisagerait même d’aller opérer ailleurs. Une décision que redoute la société civile locale. Elle demande constamment au gouvernement de s’impliquer pour « sauver » cette unité de production. La société civile de Muanda déclare que c’est la seule entreprise qui approvisionne le Kongo-Central et Kinshasa en poissons. Or, ces deux provinces constituent le principal marché d’écoulement des surgelés, dont les chinchards ou « Mpiodi ». Les Libanais, dont Congo Futur, détiennent pratiquement le monopole du marché de l’importation des surgelés. Ils ont tenu la dragée haute aux Damseaux au point de les pousser à fermer leur entreprise Orgaman.
Depuis 2005, Luanda se comporte en conquérant dans les eaux territoriales de la RDC. Personne ne s’en émeut… à Kinshasa. Déjà, à l’époque où Chevron – qui a cédé ses actifs à Muanda International Oil Company (MIOC) – opérait en offshore dans le littoral congolais, un navire angolais avait sectionné ses pipelines. La catastrophe aurait été irrémédiable si un tanker n’avait pas vidé ces pipelines quelques heures plutôt. Mais les incursions de la flotte angolaise, notamment des gros chalutiers de fabrication soviétique, ont repris de plus belle. Les navires angolais se paient même la liberté de zigzaguer entre les bouées d’exportation du brut, les plates-formes de forage et le terminal de stockage des produits pétroliers.
Cependant, pas de protestations, ni de réactions officielles du côté congolais. En tout état de cause, il sied de mettre en exergue les velléités de plus en plus outrées de l’Angola à phagocyter le plateau continental de la RDC. L’Angola a, ce n’est un secret pour personne, rejeté la carte du plateau continental de la RDC présentée par le gouvernement congolais à l’ONU en 2012. Depuis, plus rien. Si ce n’est que l’Angola est restée maîtresse du territoire maritime congolais, plus de 400 km partant de la côte à la haute-mer. La RDC n’a à peine que 37 km de côte sur l’Atlantique.
Fleuve Congo
Autre zone de pêche demeurée inexploitée, c’est le fleuve Congo. Du temps où il était ministre de l’Économie, Jean-Marie Bulambo Kilosho, l’actuel ministre de la Pêche et de l’Élevage, avait mûri un projet en partenariat avec des investisseurs norvégiens grâce auquel une dizaine d’unités de bateaux de pêche devaient opérer sur le fleuve Congo. Le montage financier de ce projet était évalué à 32 millions de dollars, selon Bulambo. Près de 10 ans, rien n’est venu. Dans l’entre-temps, une étude sur la pêche artisanale dans le Pool Malebo recommande plutôt de ne pas consommer les poissons du fleuve, particulièrement ceux pêchés à Kinsuka.
L’opinion se souviendra des conclusions des études réalisées par une équipe de chercheurs belges et congolais sous la coordination de Dieudonné Eyul’Anki Musibono, écotoxicologue et professeur d’université. Selon ces études, « le niveau de contamination est de 5 à 10 fois plus élevé dans la tête que dans la chair pour la simple raison que c’est dans la tête qu’il y a une forte concentration des métaux lourds et des polluants organiques persistants (POP) ». Cette étude qui porte sur le niveau de contamination de la chaîne alimentaire dans le Pool Malebo, s’est intéressée au poisson comme indicateur de la qualité de l’eau dans cet environnement. Le coordonnateur de l’équipe de chercheurs a qualifié la ville de Kinshasa de « source de pollution diffuse importante », d’autant plus qu’elle ne dispose pas d’un système d’assainissement efficace.
Selon le professeur Musibono, lorsqu’il pleut sur la ville de Kinshasa, des déchets de tous genres contenant des bactéries, des débris métalliques, ainsi que des polluants chimiques, sont charriés de toutes les rivières de la capitale pour se retrouver sur le fleuve. Comme tous les polluants ne sont pas nécessairement biodégradables, une fois entraînés dans le milieu aquatique, ils sont pris en charge dans la chaîne alimentaire qui va des algues macro-invertébrées aux poissons qui les consomment. La conséquence, « c’est que dans les têtes des poissons de Kinsuka, par exemple, il y a une concentration de beaucoup de métaux lourds qui sont des polluants dangereux pour la santé humaine ». Pourtant, ces poissons, quoique victimes de la pollution de l’eau par des métaux lourds, sont vendus et consommés quotidiennement à Kinshasa. D’où la sonnette d’alarme tirée par Dieudonné Musibono : « Ces poissons ne sont pas conseillés à la consommation humaine. »
Tout en reconnaissant, du point de vue scientifique, que l’état du produit analysé représente un risque réel pour les consommateurs, les chercheurs tempèrent leur jugement. S’il faut considérer la quantité consommée qui n’est pas très significative, déclarent-ils, il n’y a pas de grand risque, sauf peut-être chez les pêcheurs qui consomment régulièrement leurs poissons. Selon l’écotoxicologue, les conséquences découlant de la consommation des poissons de Kinsuka, surtout de leurs têtes, apparaissent au minimum 20 à 30 ans plus tard. Dans la liste des risques encourus, l’équipe de Musibono cite le cancer, les avortements prénatals, les malformations congénitales chez les bébés, voire la naissance de monstres. En outre, la mère peut donner naissance à un enfant qui n’a pas d’yeux, d’oreilles ou d’anus à cause notamment de l’intoxication au mercure. Des troubles au niveau des reins, susceptibles d’être endommagés par le cadmium et d’empoisonner tout le corps, car rendus incapables d’assumer leur rôle de purification de sang, pourraient se manifester. »