L’Observateur des multinationales, 24/01/14
Perenco au Bas-Congo, ou comment l’extraction pétrolière détruit l’environnement et les moyens de subsistance des populations locales, sans quasiment rien leur donner en retour ?
À Muanda, « cité pétrolière la plus pauvre du monde », l’exploitation de l’or noir par la firme franco-britannique Perenco ne semble apporter aucun bénéfice réel. Un rapport du CCFD-Terre Solidaire dresse un tableau accablant de la situation. De bien mauvais augure alors que la RDC attire de plus en plus l’intérêt des multinationales pétrolières.
L’étroite bande côtière du pays, à l’embouchure du fleuve Congo, est une zone d’extraction pétrolière – tout comme au large de l’Angola, du Congo-Brazzaville et du Gabon voisins, quoiqu’à une échelle plus restreinte. Privilège douteux ? En RDC comme dans les pays voisins, l’exploitation de l’or noir ne semble avoir joué aucun rôle positif en termes de développement. Au contraire peut-être. Selon un rapport récemment publié par un groupe d’organisations non gouvernementales française et congolaises, ces activités d’extraction ont un coût environnemental et social considérable pour les populations locales. À Muanda, commune littorale qui abrite les gisements, l’exploitation du pétrole n’est manifestement pas synonyme de richesse, mais, à en croire ces ONG, d’atteinte aux droits humains.
Un diagnostic d’autant plus alarmant que la RDC apparaît désormais comme un terrain de chasse privilégié pour les majors pétrolières. Si l’exploitation de l’or noir reste aujourd’hui cantonnée au Bas-Congo, une province située à l’Ouest de la RDC, des opérations de prospection sont en cours dans différentes zones du pays, notamment autour du lac Albert, à la frontière avec l’Ouganda une région caractérisée aussi bien par sa riche biodiversité que par la violence qui y règne depuis des années. Toute l’histoire de la RDC a été marquée par l’exploitation sanglante de ses ressources naturelles – depuis le caoutchouc jusqu’aux « minéraux de conflit » – par des forces économiques et politiques internationales. De sorte qu’aujourd’hui, le pays pointe à la 186e place de l’Indice de développement humain établi par les Nations unies, à égalité avec… le Niger, patrie des mines d’uranium d’Areva. Derrière le cas de Muanda, la question est bien celle de la capacité de la RDC (mais aussi des pays d’origine des firmes multinationales) à se doter des instruments juridiques et politiques nécessaires pour éviter que l’histoire ne se répète avec le pétrole.
La cité pétrolière la plus pauvre du monde
Élaboré par le CCFD-Terre solidaire en lien avec ses partenaires congolais – la Commission épiscopale pour les ressources naturelles et Actions pour les droits, l’Environnement et la Vie (ADEV), le rapport Pétrole à Muanda : la justice au rabais montre comment les populations locales souffrent de l’exploitation du pétrole sans en recevoir les bénéfices allégués. D’un côté, les activités de Perenco entraînent pollutions, dégradations environnementales et bouleversements sociaux qui affectent les droits fondamentaux de ces populations ; de l’autre, la « manne » supposée du pétrole ne contribue en rien à sortir les habitants de Muanda de la pauvreté. La malnutrition et l’absence d’infrastructures et des services les plus basiques (eau, électricité, déchets) y demeurent la règle. Le taux de chômage officiel y est de 95%.
Cela fait trente ans que le pétrole est exploité à Muanda (ou Moanda), à la fois sur terre (onshore) et au large (offshore). Les concessions, autrefois détenues par Chevron, ont été revendues en 2000 à Perenco.
Le nombre précis de puits forés onshore, sur une zone de plus de 400 kilomètres carrés, n’est pas connu : Perenco refuse de communiquer l’information, et, si un chercheur a avancé fin 2012 le chiffre de 235 puits, les résidents estiment qu’il y en a environ 800. En tout état de cause, ces puits sont omniprésents dans la région de Muanda, parfois tout près des cases des habitants [1].
Comme souvent dans les zones d’extraction pétrolière, fuites de brut, torchage de gaz et déchets toxiques font partie du quotidien des Muandais. Les auteurs du rapport ont rassemblé de nombreux éléments textuels et visuels confirmant la réalité et l’ampleur de ces problèmes de pollution. Bien que les résidents se plaignent depuis de nombreuses années de la sévère dégradation de tous les milieux naturels (eau douce, eaux marines, sols, air) entraînée par les forages, et que leurs accusations aient été confirmées à plusieurs reprises par des experts ou des fonctionnaires locaux, ni Perenco ni les autorités n’ont jamais reconnu officiellement que des incidents isolés. L’entreprise refuse de donner toute information officielle sur les pollutions constatées, et l’administration n’a pas les moyens d’effectuer son propre suivi environnemental et sanitaire. Perenco tend même à renvoyer la responsabilité des fuites de pétrole sur des « actes d’incivilité » [2].
Pourtant, cette dégradation environnementale est d’autant plus critique que les populations de Muanda sont extrêmement dépendantes des ressources naturelles locales pour leur survie et pour leurs revenus. La région abrite également le parc marin des Mangroves, créé en 1992 à l’embouchure du fleuve. Une zone d’une biodiversité unique qui fait l’objet d’une reconnaissance internationale dans le cadre de la convention Ramsar sur les zones humides. Le parc est vulnérable à la pollution pétrolière, mais là encore, aucune forme de suivi environnemental n’est assurée, ni par Perenco, ni par les autorités locales.