Pêche et agriculture représentaient entre 2006 et 2010 plus de 50% du Produit intérieur brut de la province du Bas-Congo, contre seulement 25% pour les activités minières et pétrolières. Perenco affirme contribuer directement ou indirectement à l’emploi de 1000 personnes, dont seulement 30% originaires de Muanda même (14% pour les cadres). La plupart des employés locaux de Perenco sont cantonnés à des fonctions subalternes, pour le compte de sous-traitants, dans des conditions salariales et de sécurité douteuses. De sorte que la dégradation progressive des ressources naturelles du fait des pollutions pétrolières entraîne un appauvrissement net pour la région, y compris en termes purement économiques. Et c’est sans parler de l’impact du pétrole sur le bien-être et la dignité de ces populations, Pour les auteurs du rapport, il s’agit bien là de violations des droits humains, violations de leurs droits économiques et sociaux (à la santé, à l’alimentation, à un environnement sain, etc.), mais aussi, indissociablement, de leurs droits politiques.
Car les villageois ou les ONG qui tentent de dénoncer les impacts négatifs des activités de Perenco ont bien de la peine à faire entendre leur voix, quand ils ne sont pas purement et simplement violentés. Les militaires de la base de Kitona seraient intervenus à plusieurs reprises pour empêcher des manifestations contre Perenco. Certains leaders communautaires se sont retrouvés emprisonnés dans la base, ou passés à tabac. En 2009, des habitants du village de Kongo, venus protester sur le site du terminal de Mbiale contre les pollutions pétrolières et le dépérissement de leurs palmeraies, ont été envoyés directement en prison par les autorités locales, alors qu’ils croyaient aller rencontrer des représentants de Perenco. Ils n’ont été libérés qu’au bout de 24 jours, sans qu’aucune charge n’ait jamais été formulée. Suite à ces incidents, les autorités ont tenté de mettre en place une « table-ronde » de concertation, mais les voix critiques en ont rapidement été exclues.
L’exploitation du pétrole de Muanda n’a-t-elle pas au moins des retombées fiscales conséquentes pour le pays ? Dans ce domaine aussi, l’opacité règne. Plusieurs chiffres contradictoires circulent dans les documents officiels, sans qu’il paraisse possible d’expliquer ces différences, et encore moins d’évaluer le caractère adéquat ou non de la contribution fiscale de Perenco. Les règles relatives à la déclaration de production des firmes pétrolières sont en effet extrêmement laxistes en RDC, et les moyens de vérification des autorités locales nuls. Il semble, toutefois, que les royalties pétrolières versées par Perenco représentent déjà une portion non négligeable du budget national de la RDC. Ceci expliquant peut-être cela, la gestion des affaires pétrolières est extrêmement centralisée, entièrement contrôlée par la présidence. La teneur des contrats liant Perenco et l’État congolais est également tenue secrète, en dépit d’un décret de 2011 qui stipule pourtant que tous les contrats miniers ou pétroliers doivent être rendus publics. Il ne paraît pas, en tout état de cause, que les revenus fiscaux du pétrole profitent à Muanda.
Bien entendu, Perenco ne manque pas de se poser en « entreprise responsable » et de mettre en exergue divers programmes sociaux mis en place pour les habitants de Muanda. Rénovation d’écoles et de routes, action sanitaire, soutien aux associations locales et à l’initiative économique… Les ONG soulignent que même lorsqu’elles sont réelles, ces dépenses ponctuelles sont loin de suffire pour pallier les nuisances occasionnées par l’exploitation pétrolière et les carences de l’État : « La réalité et la portée des actions est très faible voire nulle : écoles repeintes mais sans instituteurs, dispensaires sans médicaments, fontaine installée après qu’une rivière ait été polluée, centre culturel inaccessible pour la majorité des Congolais ».
Perenco affirme par exemple avoir installé l’éclairage public dans un village, mais les militants qui se sont rendus sur place n’ont trouvé qu’« un tableau rudimentaire dans un container et quelques rares poteaux (de vieux tubes métalliques) », les habitants ayant dû finir eux-mêmes l’installation. De même, malgré le soutien financier accordé par Perenco à des ONG locales censées s’assurer de la propreté de la ville, les ordures ménagères continuent très visiblement de s’accumuler dans les rues. L’entreprise a mis en place un comité « représentatif » pour gérer et superviser l’allocation des fonds et la gestion des projets sociaux, mais les habitants dénoncent un fonctionnement opaque et incohérent. Au final, Perenco semble surtout avoir choisi de financer les projets qui lui profitent le plus directement, comme la rénovation de l’aéroport et de la route qui y mène, alors que l’avenue principale de Muanda et la route de Boma demeuraient dans un état déplorable.