Vers des stratégies de développement localisées et plus inclusives
Les attentes des citoyens africains en matière de croissance inclusive vont augmenter.
Une des leçons de l’épisode continu de la croissance en Afrique est que la stabilité politique et sociale sont des conditions préalables et essentielles. Mais cette stabilité dépend aussi du partage des fruits de la croissance. Rares sont les pays africains exemplaires à cet égard.
De tous les pays affichant une croissance annuelle moyenne supérieure à 6 % entre 2001 et 2014, l’Éthiopie est la plus performante pour ce qui est de la croissance inclusive (Ncube, Shimeles et Younger, 2013). D’autres pays aux performances similaires voire meilleures ne s’en sortent pas aussi bien. Il y a donc urgence à rendre la croissance durable et plus inclusive.
La croissance doit devenir plus inclusive
L’évaluation de la performance des pays africains en termes de PIB par habitant montre que seuls quelques-uns d’entre eux se sont engagés dans un processus de convergence avec les pays à haut revenu. En particulier, la part du PIB par habitant de l’Afrique subsaharienne en pourcentage de la moyenne de l’OCDE a stagné : sa proportion a légèrement diminué dans les années 1990 avant de revenir à seulement 7 % en 2013. La convergence est donc l’exception plutôt que la règle.
Entre 1950 et 2009, King et Ramlogan-Dobson (2015) ont identifié six pays convergents : Botswana, Égypte, Lesotho, Maurice, les Seychelles et la Tunisie. Six autres – le Cap-Vert, le Tchad, l’Éthiopie, la Gambie, la Tanzanie et l’Ouganda – ont lancé le processus, surtout dans les années 2000. La convergence plus récente de l’Algérie, du Cameroun, du Ghana, de la Namibie, du Niger et du Sénégal doit se poursuivre pour être consolidée.
La Banque mondiale (2015) prévoit que d’ici 2030, en dépit des efforts importants entrepris dans le cadre des politiques actuelles, 19 % de la population de l’Afrique vivra toujours dans la pauvreté. Ces 300 millions de personnes représenteront alors 80 % de la population mondiale vivant avec moins de 1,25 dollar par jour en parité de pouvoir d’achat (PPA) 2005.
La création d’emplois a été également lente
Bien que la transformation structurelle ait augmenté légèrement depuis 2000, le changement a été insuffisant (BAD et al., 2013). Globalement, de 1990 à 2005, « la main-d’œuvre semble être passée » de secteurs à productivité relativement élevée (commerce de gros et de détail, et activités manufacturières) à des secteurs à faible productivité (services informels et agriculture). En conséquence, la productivité du travail a cédé 1,3 point de pourcentage par an, et plus de la moitié des gains de productivité intra-sectoriels ont été perdus. Certains pays ont connu une transformation structurelle positive (Ghana, Éthiopie et Malawi), mais insuffisante pour transformer fondamentalement leur économie (CEA-ONU/UA, 2014).
Les demandes sociales sont à la hausse
L’indicateur de protestations publiques des Perspectives économiques en Afrique effectue le suivi des grèves et manifestations avec motifs politiques, économiques ou sociaux. Depuis le milieu des années 1990, l’intensité des protestations a connu trois mouvements successifs : une réduction de moitié jusqu’en 2004 ; un rebond en 2005-2007 lorsque les niveaux élevés d’inflation ont frappé les ménages africains, notamment par la hausse des prix alimentaires et du carburant ; et une forte hausse des protestations dans le sillage des révolutions du Printemps arabe.
Protestations civiles et violences non étatiques
Remarquablement, cette montée des protestations publiques contraste avec la tendance plus « plate » de la violence des acteurs non-étatiques. La plupart des gouvernements ont montré une tolérance croissante pour la liberté d’expression, bien que certains aient eu recours à la violence contre des manifestants. Après avoir culminé en 2013 à des niveaux plus de cinq fois plus élevés que dix ans auparavant, les protestations ont commencé à diminuer légèrement en 2014.
Cette tendance reflète un apaisement des tensions dans la plupart des pays africains, qui contraste avec l’aggravation des tensions dans un nombre limité de points chauds. La normalisation politique des pays qui avaient été en crise, en particulier depuis le Printemps arabe, explique en partie la baisse globale de l’intensité des protestations.
En 2014, comme dans les années précédentes, les principaux motifs des protestations civiles continuent d’être liés à des revendications professionnelles (augmentation de salaires et amélioration des conditions de travail), suivies par les attentes vis-à-vis des services publics. Cela confirme les conclusions de l’Afrobaromètre tirées de 34 pays selon lesquelles les Africains sont de plus en plus insatisfaits de la prestation publique des services de base et que « la pauvreté vécue à la base reste peu changée », malgré l’épisode de croissance récente (Asunka, 2013 ; Dulani, Mattes et Logan, 2013).
De même, selon l’Indice Ibrahim de la gouvernance africaine (Fondation Mo Ibrahim, 2014), tandis que « l’opportunité économique durable » avait été un moteur des tendances positives en matière de gouvernance de 2005 à 2009, celle-ci a contribué légèrement négativement à l’indice sur 2009-13. Le manque d’emplois décents et la participation à la richesse accumulée au cours d’une décennie de croissance soutenue ressortent donc comme des sources de frustration. Cependant, on constate aussi une hausse de nouvelles motivations comme les clivages politiques entre citoyens et, pour la première fois dans la liste des dix premiers motifs de protestations, des questions internationales ou mondiales. Le fait que les citoyens recourent de plus en plus à des moyens pacifiques pour exprimer leurs revendications sociales et politiques est une bonne nouvelle, car la demande pour de meilleures opportunités et une responsabilisation accrue des gouvernements est une condition préalable à une meilleure gouvernance. Toutefois, cette tendance augmente la pression sur les gouvernements pour fournir des réponses viables à ces revendications, en particulier dans un contexte de croissance démographique rapide.
Stratégies de développement innovantes
L’Afrique a besoin de stratégies de développement innovantes. En dépit des progrès réalisés au cours de la dernière décennie, les politiques actuelles ne se sont pas révélées assez efficaces pour accélérer la création d’emplois dans les secteurs productifs.
Dans les décennies à venir, l’accroissement rapide des populations urbaines et rurales, les disparités territoriales profondes et les exigences de la concurrence mondiale feront de la transformation du continent un projet sans précédent, même si de grandes disparités subsistent entre les différents contextes sous-régionaux et nationaux.
Le processus de transformation de l’Afrique devra donc s’aventurer en territoire inconnu. Les expériences passées de transition démographique, urbaine et économique peuvent inspirer l’action publique, mais elles ne fournissent pas des formules prêtes à l’emploi pour les transitions africaines. La transformation structurelle voit généralement la croissance de la productivité dans l’agriculture libérer les travailleurs de l’agriculture, les poussant vers les zones urbaines. Les secteurs de productivité plus élevés y sont localisés car ils bénéficient d’économies d’agglomération et d’une diffusion des connaissances plus élevée que dans les zones rurales.
Des progrès dans le revenu, la santé et l’éducation sont généralement associés à un boom démographique qui alimente également l’urbanisation jusqu’à ce que la fécondité finisse par diminuer. Il est frappant, cependant, que ce modèle traditionnel de changement structurel ne semble pas s’appliquer à la plupart des pays africains.
• Tout d’abord, la population des villes africaines progresse rapidement, mais c’est également le cas des communautés rurales. La population africaine devrait rester majoritairement rurale jusqu’au milieu des années 2030, tandis que la majorité de la population mondiale vit en zone urbaine depuis 2007. La croissance démographique continue dans les zones rurales signifie que les possibilités d’emploi productif doivent être créées partout : des politiques axées principalement sur le déplacement de la main-d’œuvre rurale vers des activités productives en zones urbaines risquent de ne pas suffire.
• Deuxièmement, l’urbanisation en Afrique a eu lieu jusqu’à présent sans industrialisation (Losch, Fréguin-Gresh et White, 2012). La plupart des migrants ruraux sont passés des activités à faible productivité dans les zones rurales à celles du secteur urbain, où l’habitat informel a progressé rapidement en l’absence de stratégies globales de développement urbain (Kayizzi-Mugerwa et al., 2014 ; voir la section du thème spécial). Le manque d’opportunités dans les villes a même conduit certains migrants à retourner dans les zones rurales.
• Enfin, le modèle de l’insertion de l’Afrique dans le commerce international – dépendance envers les exportations de matières premières et ouverture accrue à l’importation de produits alimentaires peu chers – a modifié les relations commerciales traditionnelles entre villes et campagnes, où l’arrière-pays fournit à la ville les marchandises qu’il produit ; or ce modèle était un moteur essentiel de la transformation structurelle des premiers pays qui se sont industrialisés en Europe ou en Asie. Par conséquent, pour être efficaces, les stratégies de transformation doivent tirer parti des expériences propres à l’Afrique et de celles des autres régions du monde, mais elles doivent également se concentrer sur la singularité des enjeux de la transformation en Afrique.
Synthèse « Perspectives économiques en Afrique » © BAfD, OCDE, PNUD 2015