C’EST du jamais vu en France. Philippe Aghion, professeur à Harvard, au Collège de France et chroniqueur à Challenges, va réunir une impressionnante brochette de 80 économistes de renommée mondiale au Collège de France, les 11 et 12 juin prochains, afin de plancher sur « l’économie de la destruction créatrice ». Avec pas moins de huit Prix Nobel : les deux Nobel français Jean Tirole et Esther Duflo (avec les deux autres lauréats de cette année, Abhijit Banergee et Michael Kremer), les Nobel américain Edmund Phelps, Joseph Stiglitz et Oliver Hart, ainsi que le Britannico-chypriote Christopher Pissarides. Seront aussi présents Robert Gordon, le théoricien de la stagnation séculaire, Nicholas Stern, spécialiste du climat, Olivier Blanchard, l’ex-chef économiste du Fonds Monétaire International (FMI), ainsi que les jeunes stars françaises Stefanie Stancheva et Emmanuel Fahri, professeurs à Harvard.
Un « Festschrift »
Pour Philippe Aghion, 63 ans, c’est une consécration. Cette grande conférence est en effet un « Festschrift », littéralement un mélange de contributions visant à honorer un chercheur. Et cette réunion du gotha mondial de la science économique va célébrer les travaux du Français sur la croissance. En ayant beaucoup publié sur la « destruction créatrice ». C’est une nouvelle théorie sur la croissance, reposant sur l’innovation. Cet économiste français mêle dans ces travaux modélisation et analyse empirique.
Jeune étudiant en mathématiques, Philippe Aghion manifestait déjà son intérêt pour la chose publique, et cela l’a conduit à l’économie. Il voulait comprendre la validité des arguments, trouver des outils, savoir si les programmes proposés étaient réalistes. Ses recherches sur le développement, le lien croissance/inégalité partent de ce questionnement à l’heure de la mondialisation. Résumant son analyse, il explique : « On est dans un monde de croissance par l’innovation. Il faut donc un marché du travail qui permette aux entreprises de se réorganiser et de fermer une activité pour en ouvrir une autre. »
Pour lui, « tout le problème est de favoriser l’innovation sans pénaliser les employés ». L’éducation et la formation professionnelle doivent être pensées en ce sens pour jouer leur rôle de levier et assurer la « flexisécurité ». La mobilité doit devenir « qualifiante, excitante et non stressante ». Philippe Aghion introduit la « frontière technologique », c’est-à-dire « plus un pays se développe, plus c’est l’innovation ‘à la frontière’ qui devient le moteur de la croissance et prend le relais de l’accumulation du capital et du rattrapage technologique ». Il explique : « Imaginez qu’un jour, on fasse entrer un nouvel élève brillant dans une classe. Comment les élèves vont-ils réagir à cet accroissement de la concurrence ? L’arrivée de ce nouvel élément brillant va inciter les meilleurs élèves de la classe à travailler plus dur pour rester les meilleurs tandis que cela va décourager les moins bons élèves pour qui rattraper ce retard devient plus difficile qu’auparavant. »
Les énigmes de la croissance
Les travaux de l’économiste français abordent les « énigmes de la croissance ». Il en donne quelques exemples révélateurs. La notion d’expérience est fondamentale. Pourquoi l’Argentine décroche-t-elle des États-Unis vers 1938 ? Selon Philippe Aghion, ce pays n’a pas su « faire évoluer ses institutions pour devenir une économie innovante ». Lui qui a les oreilles des politiques rappelle que ses « idées appartiennent à tout le monde » et que l’on a moins peur de ce que l’on comprend mieux. Il demande faut-il craindre comme Tocqueville, « que les hommes n’arrivent à ce point de regarder toute la théorie nouvelle comme un péril, toute innovation comme un trouble fâcheux et qu’ils refusent entièrement de se mouvoir de peur qu’on ne les entraîne ».
Philippe Aghion qui est professeur d’économie à l’Université de Harvard ainsi qu’à l’École d’Économie de Paris, et membre de la Société d’économétrie et de l’Académie américaine des Arts et des Sciences, travaille avec Peter Howitt depuis des années sur le paradigme du modèle de croissance schumpétérien utilisé notamment pour analyser la conception des politiques de croissance et le rôle de l’État dans le processus de croissance.