Pierre Cardin : un nom, une marque, une légende et un héritage

Selon ses dernières volontés, le couturier français a été inhumé dans un cercueil noir, en habit d’académicien des beaux-arts avec l’épée qu’il avait dessinée, la poignée entremêlant un dé à coudre, le chas d’une aiguille et une bobine de fil, tandis que la lame rappelle celles d’une paire de ciseaux.

LES SOUHAITS de Pierre Cardin ont été respectés lors de ses obsèques au cimetière de Montmartre, à Paris. Il a rejoint dans le même caveau André Oliver, son compagnon et associé, décédé en 1993. Sous un dais de toile verte, sa couleur préférée, famille et collaborateurs se sont réunis avant l’inhumation pour une bénédiction et des hommages. La famille a tranché dans le vif : « La maison continue sous la conduite de son neveu Rodrigo Basilicati Cardin pour mener de nouveaux projets, tout en respectant l’héritage mode de son talentueux fondateur. » Pour le reste, une messe commémorative est prévue fin janvier à Paris.

Pierre Cardin est décédé le 29 décembre 2020 à l’âge de 98 ans à l’hôpital américain de Neuilly dans l’ouest de Paris. Ses obsèques ont eu lieu le 2 janvier 2021, organisées selon ses dernières volontés. Le monde de la mode vient de perdre un grand nom. Le célèbre couturier français avait réussi à bâtir un empire international de la haute-couture. L’incontournable designer et le grand couturier qu’il fut, a traversé le siècle, laissant à la France et au monde un héritage artistique unique dans la mode mais pas seulement. 

Aucune photo n’a fuité

Pour les autorités françaises, son œuvre restera gravée dans la mémoire populaire « comme relevant de l’avant-garde pop, inventive et optimiste des années 60 et 70 ». Les obsèques du styliste ont été une cérémonie émouvante réalisée dans la plus stricte intimité puisque qu’aucune photo n’a circulé sur la toile. Rodrigo Basilicati Cardin, ancien président de Cardin Evolution, administrateur du holding Cardin et directeur du projet du Palais Lumière, est conscient de la charge qui lui incombe désormais. En effet, Pierre Cardin a été le pionnier du prêt-à-porter.

Pierre Cardin était un styliste visionnaire. Fils d’immigrés italiens, il était devenu un homme d’affaires au nom mondialement connu. « Nous sommes tous fiers de son ambition tenace et de l’audace dont il a fait preuve tout au long de sa vie. Homme moderne aux multiples talents et à l’énergie inépuisable, il s’est inscrit très tôt dans les flux de la mondialisation des biens et des échanges », a écrit sa famille dans un communiqué. Avant beaucoup d’autres, Pierre Cardin avait ouvert un « corner » dans un grand magasin, fait défiler des hommes. Et adopté à grande échelle un système de licences qui lui assurait une diffusion dans le monde entier, apposant son nom sur des produits aussi divers que des cravates, des cigarettes, des parfums ou de l’eau minérale.

Précurseur, il s’était très tôt tourné vers l’Asie où il jouissait d’une grande notoriété: il s’était rendu dès 1957 au Japon, alors en pleine reconstruction, et avait organisé des défilés en Chine dès 1979. « Italien de naissance, Pierre Cardin n’a jamais oublié ses origines tout en portant à la France un amour inconditionnel », a encore écrit sa famille. « Suprême consécration, il est enfin le premier couturier à entrer à l’Académie des beaux-arts, faisant reconnaître la mode comme un art à part entière. 

Parti de rien !

En atteste aujourd’hui son épée d’académicien qu’il a lui-même créée et sur laquelle sont gravés les symboles de sa réussite », a-t-elle conclu. « Que voulez-vous savoir de moi que vous ne savez déjà ? », s’interrogeait Pierre Cardin, dans les colonnes du Figaro en septembre dernier, à l’occasion de la sortie d’un documentaire réalisé par P. David Ebersole et Todd Hugues. Parti de rien, il était devenu « l’empereur de la mode ». Avec sa disparition, le monde de la mode perd l’une de ses figures les plus flamboyantes. Les plus singulières aussi.

« Je suis le seul nom libre de la mode. Depuis les années 1950, je suis resté Pierre Cardin de A à Z. Tous les autres sont morts ou alors passés dans d’autres mains. »

Sur lui, Le Figaro écrit : « Pierre Cardin était un mythe dont le curriculum vitae s’étalait sur dix pages. Les articles de presse qui lui avaient été consacrés au cours de sa très longue carrière remplissaient les trois quarts de son bureau. On y voyait aussi un nombre stupéfiant de photos où il posait avec Cocteau, Rita Hayworth, Jean-Paul II ou Fidel Castro. Et un amoncellement de trophées et d’honneurs : trois Dés d’or décernés par la chambre de la haute couture française, Commandeur de la légion d’honneur, ambassadeur honoraire de l’Unesco, académicien, Commandeur de l’ordre du mérite de la République italienne, baron de la Soie en Allemagne, citoyen d’honneur de la ville de Xian… »  

Ou encore : « Il avait fait plus de trente-cinq fois le tour du monde. Pierre Cardin avait la beauté léonine et la stature d’un chef d’État dont la mission était de faire rayonner ailleurs ce qu’on refusait de lui reconnaître ici. » Pierre Cardin a surtout inventé un style « global », il fut l’incarnation avant l’heure de la notion de couturier contemporain : homme d’affaires autant que créateur. « Je suis moi-même mon plus beau succès. Je suis un enfant des faubourgs, je suis devenu Pierre Cardin », disait-il. Il n’a jamais eu le triomphe modeste, peut-être à cause de la modestie de ses origines.

Il est né Pietro Cardini, en 1922, dans une famille de paysans de la Vénitie. Ruinée par la Grande Guerre, la famille s’installe en France où l’enfant doit affronter des insultes dues à sa condition d’immigré. Les « sale macaroni » lui donnent le goût de la revanche : « Cela m’a rendu ambitieux », reconnaissait-il. Pendant l’Occupation, Cardin apprend la coupe chez un tailleur à Vichy, manie les chiffres en étant comptable à la Croix Rouge. Et croit déjà dur comme fer à la grandeur de son avenir : une voyante lui avait dit que son nom flotterait partout dans le monde… L’homme aux 850 licences, 500 usines, 200 000 personnes qu’il employait directement ou indirectement dans le monde, ne boudait pas son plaisir en évoquant sa réussite. De cette voix si particulière, dont le débit était aussi vif que son esprit, il racontait avec la malice de l’acteur qu’il aurait voulu être le fabuleux destin de Pierre Cardin. Entré chez Paquin en 1945. Passage éclair chez Schiaparelli. Premier tailleur chez Christian Dior en 1946. Cardin voulait faire la révolution tout court.