Ancienne gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, 57 ans, est la nouvelle patronne de l’instance francophone internationale. Elle met ainsi fin au règne des hommes, tous les deux Africains, qui ont été aux commandes depuis 1997.
Dimanche 30 novembre, à Dakar, la nouvelle a surpris plus d’un, à la clôture du 15e sommet de la Francophonie. C’est une femme et elle vient du Nord ! Un choc pour ceux qui pensaient, à tort ou à raison, que le poste de secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) est réservé à l’Afrique. Argument à l’appui : deux hommes l’ont dirigée depuis sa création : l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali et le Sénégalais Abdou Diouf.
Cette fois, la « tradition » a volé en éclats. Officiellement, c’est par consensus que la Canadienne a été placée à la tête de l’OIF. Pourtant, il y avait, face à elle, quatre hommes dont les pays, à divers titres, ne partaient pas perdants : Henri Lopes, ancien Premier ministre du Congo-Brazzaville, écrivain et ambassadeur de son pays en France depuis de longues années ; Pierre Buyoya, ancien président du Burundi devenu médiateur dans divers conflits sur le continent ; Jean-Claude de L’Estrac, ancien ministre mauricien ; Augustin Nze Mfumu, ancien ministre équato-guinéen. Tous espéraient occuper le fauteuil laissé vacant par Abdou Diouf, qui a accompli trois mandats successifs.
Mais, à y regarder de près, cela n’a pas été facile pour diverses raisons. Le 15e sommet de la Francophonie s’est tenu dans un contexte particulier, marqué par la chute, le 31 octobre, de Blaise Compaoré, alors président du Burkina Faso, qui s’était lancé dans un processus de révision constitutionnelle. Du coup, certains candidats présentés par leurs pays, comme Henri Lopes, alors qu’un débat sur un éventuel changement de Constitution est en cours au Congo, ne pouvaient pas avoir l’aval de la France, principal contributeur de l’OIF.
Encore moins du Canada, deuxième contributeur, qui avait, en plus, sa propre candidate. Les débats, à huis clos, ont dû être tendus pour parvenir à un consensus. Selon des témoins, les candidats qui sont restés en lice jusqu’à la fin sont bien Henri Lopes, fermement soutenu par Denis Sassou Nguesso, et Michaëlle Jean, qui a bénéficié de l’appui jusqu’au bout du Premier ministre canadien Stephen Harper.
Un confrère indique qu’ils « sont si sûrs de gagner qu’ils sont prêts à en découdre dans un vote à bulletins secrets, ce qui serait une première et qui pourrait provoquer une déchirure sans précédent dans l’histoire de la Francophonie. » Il y a eu un premier huis clos auquel ont pris part, notamment, le président français, François Hollande ; le Sénégalais Macky Sall ; le Burundais Pierre Nkurunziza ; le Congolais Denis Sassou Nguesso ; le Mauricien Kailash Purryag ; le Premier ministre canadien Stephen Harper.
Ce huis clos n’a donné aucun résultat, les parrains des deux candidats encore en lice n’ayant rien voulu lâcher. L’impasse se profile à l’horizon. C’est alors que, pour sauver les meubles, Macky Sall, l’hôte du sommet, et François Hollande, sont obligés de suggérer à Sassou Nguesso et à Harper d’avoir un tête-à-tête auquel ils prennent part. Que se sont dit les quatre hommes ? On ne le saura peut-être jamais.
Mais au bout de soixante-quinze minutes, l’aparté à quatre se termine. Sassou Nguesso ne cache pas ses sentiments : il n’a pas bonne mine. Et pour exprimer son mécontentement, il quitte aussitôt le centre de conférences pour l’aéroport de Dakar, direction Brazzaville. Pour Henri Lopes, les carottes sont cuites. Michaëlle Jean entre dans l’histoire comme la première femme à diriger l’OIF.
L’Afrique perd ce qui était, même si ce n’est écrit nulle part, sa chasse gardée. D’où l’amertume du candidat mauricien Jean-Claude de L’Estrac qui a déclaré : « C’est dans l’espace africain que se joue une part significative de la croissance mondiale, des enjeux de diversité et de l’avenir de la langue française ». Avant d’ajouter : « Il est donc d’autant plus regrettable que l’Afrique n’ait pas été en mesure de s’accorder, à Dakar, autour de la candidature de Maurice après le retrait inexpliqué de celles du Congo, du Burundi et de la Guinée-Équatoriale ».
Le candidat malheureux de Maurice regrette, par ailleurs, que « l’option d’un vote ouvert, démocratique et transparent conforme aux valeurs et à la charte de l’organisation n’ait pas été prise en considération. L’Afrique est désormais privée de la direction de toute organisation multilatérale ».
La nouvelle patronne de l’OIF est née en 1957 à Port-au-Prince, capitale d’Haïti, qu’elle quitte à dix ans avec ses parents pour s’installer au Canada, plus particulièrement au Québec. À l’époque, François Duvalier, alias Papa Doc, règne sans partage sur Haïti et ne tolère pas un autre discours que le sien. Au cours de sa formation, la jeune fille décroche un baccalauréat en littératures et langues espagnole et italienne à l’université de Montréal.
Après sa maîtrise en littérature comparée, elle obtient trois bourses qui lui permettent d’aller se perfectionner dans trois universités italiennes. De 1988 à 2005, elle mène une remarquable carrière de journaliste et d’animatrice sur Radio-Canada, la chaîne francophone du pays, et sur le réseau anglophone CBS Newsworld. Faisant sien l’adage selon lequel « le journalisme mène à tout, à condition de pouvoir en sortir », la jeune femme devient, en 2005, gouverneure générale et commandant en chef du Canada, c’est-à-dire la représentante de la reine d’Angleterre.
Pour elle, c’est l’occasion de mettre l’accent sur le rayonnement du Canada sur le plan international. À cet effet, elle parcourt le monde et visite une dizaine de pays africains. Elle n’hésite pas à se rendre en Afghanistan pour encourager les soldats canadiens.
En octobre 2010, au terme de son mandat de gouverneure générale, Michaëlle Jean accepte de devenir, jusqu’en octobre dernier, l’envoyée spéciale de l’Unesco à Haïti, son pays d’origine. Quant à ses rapports avec la Francophonie, on notera qu’à la demande d’Abdou Diouf, alors secrétaire général de l’OIF, elle fut le Grand témoin de cette instance aux Jeux olympiques et paralympiques de Londres, en 2012.
Après l’annonce de sa nomination à la tête de l’OIF, elle a déclaré que son mandat sera essentiellement consacré à la promotion des jeunes et des femmes. « J’entends répondre aux besoins et aux attentes des États et gouvernements membres de l’OIF tout en donnant une nouvelle impulsion à la Francophonie », a-t-elle indiqué. Dans sa vision, la Francophonie doit être « moderne et tournée vers l’avenir ».
Remontant à ses racines haïtiennes, elle se veut, aussi, « fille de l’Afrique ». Cette polyglotte – elle parle le français, le créole haïtien, l’anglais, l’espagnol et l’italien – est mariée au cinéaste, essayiste et philosophe Jean-Daniel Lafond avec lequel elle a eu une fille.