A l’heure de la crise du Covid-19, on n’a sans doute jamais autant parlé de science, et particulièrement de recherche, dans le débat public. La recherche en médecine, en modélisation, en traitement de l’information et des données, s’invite tous les jours dans l’ensemble de nos médias jusqu’aux émissions politiques, pour nous rappeler combien la recherche est indispensable.
Par nature, la recherche est internationale. Avec ses dizaines de projets de vaccins à travers le monde, son partage mondial de données et de savoir-faire, cette crise ne fait pas exception à la règle. C’est aussi un enjeu très fort de souveraineté nationale et continentale. Pour preuve, les débats sur le développement de technologies de l’information, le tollé déclenché par la tentative de Donald Trump d’acheter à prix d’or la recherche d’un laboratoire allemand, ou encore l’importance des conseils scientifiques au niveau national et européen dans la gestion de cette crise.
Un domaine stratégique indispensable
Au niveau scientifique, cette pandémie illustre la nécessité de recherches multiples et accrues sur des sujets variés. Au-delà de la recherche pharmaceutique, on constate le besoin, pour lutter contre l’épidémie, de la physique, de la chimie, de l’industrie en général, des sciences humaines et sociales, des technologies de l’information, de l’intelligence artificielle, ou encore de la zoologie. Les sciences mathématiques ne sont pas en reste : un récent appel à projets du CNRS y a recensé en une semaine, plus de 150 personnes ressources sur le Covid-19, impliquées ou mobilisables à brève échéance. De fait, je n’ai jamais tant entendu parler publiquement des enjeux de modèles mathématiques, et même de certains paramètres clés dans ces modèles, en l’occurrence le «taux de reproduction» de l’épidémie, que tous les dirigeants du monde ou presque cherchent à faire baisser durablement.
Crise ou non, rappelons avec énergie que la recherche est plus que jamais un domaine stratégique indispensable pour assurer sur le long terme le bien-être des citoyens, les réussites économiques, la souveraineté sur les sujets vitaux et la sauvegarde de notre planète. Il n’est pas anodin de noter que l’Allemagne et la Corée du sud, qui sont deux des pays les plus admirés au monde pour leurs ambitions d’investissements en recherche et développement, sont aussi deux des nations qui se sont révélées les mieux outillées face à la pandémie en cours. Il ne faut pas y voir un rapport de cause à effet, ce serait simpliste et indécent, mais noter que la forte intensité de recherche vient avec un ensemble d’influences positives pour la société. Ces dernières années en France, malgré une tradition historique exceptionnelle, la recherche n’a pas été à la fête. La fuite des cerveaux, très visible dans le domaine clé de l’intelligence artificielle par exemple, le découragement des chercheurs devant des conditions de travail inadaptées et des salaires médiocres, ont dominé les constats. Quant au budget européen de la recherche, il est bien en deçà des ambitions affichées, que ce soit le budget géré par la Commission ou l’ensemble des investissements de l’Union – un total qui reste d’ailleurs inférieur à celui de la Chine ou des Etats-Unis.
L’Etat français s’en était bien rendu compte, puisque le projet de loi de programmation pluriannuelle pour la recherche avait été initié avec l’ambition de renforcer les moyens. Nous avions d’ailleurs été un certain nombre de scientifiques à participer aux travaux préliminaires de ce projet, à l’invitation du gouvernement. Le très mauvais débat public qui s’était installé ces derniers mois faisait craindre le pire sur sa mise en œuvre. Ce contexte inédit de crise sanitaire nous invite à revoir le sujet, avec l’objectif d’une ambition accrue, d’une action rapide et bien concertée, pour apporter à la communauté scientifique les moyens, l’apaisement et la fierté qu’elle mérite.
Alors que les objectifs financiers de 2019 ne valent plus en 2020 et que les cartes vont être rebattues, nous devons prioriser et orienter nos futurs investissements publics dans des enjeux structurants, de long terme, notamment en faveur de la recherche.
Rappelons-nous que les grands investissements dans ce domaine étaient un choix courageux du gouvernement de Nicolas Sarkozy après la crise financière de 2008 – en particulier les « laboratoires d’excellence» – évitant une dégradation irréversible de la recherche dans des années de disette budgétaire.
16 milliards d’investissement annuel supplémentaire
Quelles pourraient être les dimensions d’un grand plan d’investissement ? A titre de comparaison, celui de nos voisins allemands, prévu AVANT la crise actuelle, ne mobilise pas moins de 160 milliards d’euros sur les dix prochaines années. Oui, ce sont des sommes importantes, mais toujours à mettre en regard des enjeux toujours plus importants. Santé, environnement, efficacité, sans oublier l’enjeu majeur, en tant que tel, de la connaissance, dans un monde toujours plus riche de problèmes et de savoirs. Après tout, la France a depuis longtemps reconnu l’objectif de consacrer 3% de son PIB à la recherche et à l’innovation – cela représenterait aussi quelque 16 milliards d’investissement annuel supplémentaire, public et privé confondu.
Enfin, revenons en arrière, à l’occasion d’un désastre bien plus grand encore que celui que nous vivons aujourd’hui, la Première Guerre mondiale. L’économie française était exsangue, sa recherche anéantie et ses échanges internationaux coupés. Et pourtant le plan de relance de la recherche de l’époque fut à la hauteur de l’enjeu ; de grandes fondations américaines y participèrent avec détermination et intelligence. En mathématique, l’institut Henri-Poincaré est d’ailleurs né à cette occasion. Ces investissements annonçaient une période extraordinaire pour la recherche française, coïncidant avec les grandes avancées sociales du glorieux Front populaire. Sans vouloir comparer des événements qui ne sont pas comparables, on peut s’en servir de source d’inspiration. La recherche, investissement de long terme, structurant, par nature lié aux échanges intellectuels internationaux, mais aussi à la souveraineté nationale et continentale, devra être au cœur de la relance.