RAPPEL des faits : début janvier 2019, le directeur général du port de Douala communique la liste des entre¬prises présélectionnées pour reprendre à par¬tir de 2020 la concession du terminal à conteneurs, géré par DIT, une filiale de Bolloré de¬puis 2005. Douala est l’un des premiers des 17 ports dont le groupe Bolloré est actuellement concessionnaire. Coup de théâtre. Bolloré est absent de la liste. En 2015, François Hollande, alors président de la République française, avait aidé le groupe à se remettre en selle pour l’autre port du pays, celui de Kribi, qui lui avait échap¬pé lors du premier appel d’offres.
En dépit de plus de 20 ans de partenariats réussis avec l’État du Cameroun, plusieurs sociétés locales du groupe Bolloré, font l’objet de traitements injustes. Douala International Terminal (DIT) s’est vu réclamer des pénalités, et dénier le droit de mettre en application un accord signé avec le port de Douala après 6 mois de négociations. Elle n’est pas autorisée à répondre à l’appel d’offres relatif à sa propre succession.
Le 16 septembre, le suisse Terminal Investment Ltd (TIL) est désigné nouvel opérateur du terminal à conteneurs du Port autonome de Douala (PAD). Pour sa part, l’Autorité portuaire camerounaise se justifie : le processus a été mené en toute transparence. Les principaux résultats de l’analyse comparative de l’offre de TIL avec la concession actuelle de DIT montrent que l’offre du nouveau concessionnaire est largement plus avantageuse pour le Cameroun.
Toutes les redevances de concession proposées par TIL, sur les 15 années du contrat de concession, représentent au total 357 milliards de FCFA (543 millions d’euros), contre 62 milliards de FCFA (94 millions d’euros) pour la concession de DIT de Bolloré. Selon les chiffres du PAD, l’offre de l’opérateur suisse rapporterait donc 5,7 fois plus qu’actuellement. Une telle différence se justifie à la fois par un taux moyen de redevance de 33 % au lieu de 11 %, et par une augmentation du chiffre d’affaires deux fois plus importante, suite à un programme investissement de 153 milliards de FCFA (contre 52 milliards de FCFA pour Bolloré).
Contre-attaque
Ce n’est pas encore tout à fait acquis, fait savoir le groupe Bolloré qui dépose des recours auprès de la Cour de commerce international de Paris et du tribunal administratif de Douala. Parallèlement, le groupe actionne des leviers politiques. Par exemple, il sollicite l’arbitrage de Paul Biya, en personne, le président du Cameroun, pour préserver ses droits qu’il estime « floués ». Selon toute vraisemblance, Cyrille Bolloré, fils du milliardaire français Vincent Bolloré, implore dans une lettre le président camerounais de ne pas lui retirer le PAD. Bolloré sollicite donc le haut arbitrage de Paul Biya afin que l’accord signé le 4 octobre 2017 entre le port de Douala et DIT soit mis en œuvre.
Cette mise en œuvre permettrait de faciliter le lancement du port de Kribi en mettant en place une synergie entre les deux ports, de solder à l’amiable tous les différends opposant le PAD et DIT et enfin de relancer sereinement un appel d’offres de mise en concession du terminal à conteneurs de Douala sur une base équitable.
Après quinze ans d’activité, Bolloré ne veut pas perdre une position privilégiée sur ce port, l’un des plus importants sur la côte ouest-africaine. Le groupement Bolloré APMT, c’est quatre-vingts terminaux dans le monde et plus de trente-trois milliards d’euros de capitalisation boursière. Le groupe français conteste qu’il soit éliminé en phase de pré-qualification, mettant en relief la solidité financière et l’expérience. À ce niveau, et au vu des concurrents sur la liste, Bolloré pense qu’il n’y a pas photo.
La semaine passée, un document en circulation émanant de la présidence de la République camerounaise instruit la suspension du processus de cette nouvelle concession qui devait devenir effective dès janvier 2020. La lettre signée le 23 octobre et marquée du sceau « confidentiel » mais qui s’est rapidement retrouvée en circulation sur les réseaux sociaux, fait l’effet d’une bombe. Dans celle-ci, Ferdinand Nbog Ngoh, le ministre secrétaire général de la présidence, souligne que c’est sur l’ordre de Paul Biya que le directeur général du PAD est instruit de « suspendre les travaux de finalisation des termes du contrat de concession avec la société Terminal Investment Limited, TIL ».
Motif : il faut attendre « les conclusions définitives de l’affaire opposant le groupement APMT/Bolloré au port de Douala, affaire pendante au tribunal administratif du Littoral à Douala. » Bolloré peut sabler le champagne ! Un bémol : TIL, filiale du groupe italo-suisse MSC, n’est pas définitivement exclu, il va devoir attendre. En clair, Paul Biya répond ainsi favorablement à la requête de Cyrille Bolloré, PDG du groupe Bolloré depuis mars.
Quand l’Elysée s’en mêle
Et pour nombre d’observateurs, la concomitance entre la présence de Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, au Cameroun, venu officiellement « relancer » la coopération entre Paris et Yaoundé, et cette décision de suspension sur le fil, n’est pas un fait du hasard. Conséquence : les travaux de finalisation des termes du contrat de concession, ensemble des annexes, avec la société Terminal Investment Limited, adjudicataire provisoire de la concession des activités de rénovation, de modernisation, d’exploitation et de maintenance du terminal à conteneurs du port de Douala-Bonabéri sont suspendus, en attendant les conclusions définitives de l’affaire Société APM Terminals BV et Bolloré SA contre le Port Autonome de Douala-Bonabéri, pendante au tribunal administratif du Littoral à Douala et portant sur la requête aux fins de sursis à l’exécution de la décision No 0006219/DG/ PAD du 8 janvier 2019.
Dans son édition du 9 octobre 2019, le bi-mensuel français La Lettre du Continent révèle que c’est Cameroon Continental Merchants (CCML), le groupe de l’oligarque Baba Ahmadou Danpullo, qui devrait être le chef de file des partenaires locaux du groupe italo-suisse Terminal Investment Ltd (TIL), nouveau concessionnaire du terminal à conteneurs du Port autonome de Douala.
« La convention de concession, paraphée par TIL le 4 octobre dernier, demande en effet au futur concessionnaire d’accorder une part minoritaire de la société de gestion à des groupes locaux. Outre CCML, d’autres opérateurs camerounais devraient également être associés au capital du futur gestionnaire. Le tour de table complet est encore en cours de constitution », assure le journal français.
Qu’est ce qui explique donc ce retournement spectaculaire du gouvernement camerounais qui avait décidé de se débarrasser du Français Vincent Bolloré ? Certainement les pressions de la France qui a dépêché son ministre des Affaires étrangères, remettre Paul Biya au pas. Bolloré a donc frappé haut et fort pour faire capoter la convention signée entre le PAD et le groupe TIL. Bolloré s’est opposé au payement des droits dus aux ex-employés. Il a touché le Quai d’Orsay et l’Elysée. Pour Jean-Yves Le Drian, la France et le Cameroun sont dans une phase de relance de leur « relation historique et très forte ». Face à la crise anglophone, la SONARA, le puits à pétrole, a été attaquée. Les intérêts français sont menacés. D’où l’arrivée de l’artillerie de guerre française à Douala au Cameroun. Et il faut bien que ce soit le Français Vincent Bolloré qui soit à la manœuvre pour l’entrée des armes de guerre au Cameroun.