QUESTION : quels sont les constructeurs auto africains que vous connaissez? Nul doute, beaucoup sur le continent, élite comme lambda, l’ignorent. Il y a le nigérian Innoson Vehicle Manufacturing Co. Ltd (IVM), le tunisien Wallyscar, l’ougandais Kiira Motors, les sud-africains Optimal Energy Joule et Birkin, et le ghanéen Kantanka. Ces constructeurs disent tous proposer des autos adaptées à l’environnement et aux routes du continent, sans nécessiter un mécanisme de tropicalisation.
Mais, hélas, l’Afrique est restée le plus grand consommateur de véhicules d’occasion de tous les continents, selon des magazines spécialisés. En moyenne 3 à 4 millions de véhicules à bas prix seraient importés sur le continent chaque année, d’après le chercheur belge Martin Rosenfeld. Cette situation pénaliserait autant les distributeurs officiels de véhicules neufs que les constructeurs locaux. « L’occasion représente six à dix fois le marché du neuf. Et les circuits informels font l’essentiel », a déclaré à Slate Afrique Jean-Christophe Quémard, le directeur de la zone Afrique – Moyen-Orient du groupe PSA.
Les occases encore les occases
En République démocratique du Congo, il est difficile d’obtenir des chiffres officiels qui se rapprochent de la réalité sur le marché auto. La Direction générale des douanes et accises (DGDA) publie plutôt des recettes qu’elle réalise sur l’importation de véhicules et non le nombre de ces véhicules. Pour l’exercice 2019, la douane congolaise compte réaliser au moins 20 175 463 218,11 FC, soit 11 543 350 dollars sur des importations de véhicules d’occasion.
La Direction générale des impôts (DGI) qui délivre des plaques d’immatriculation, reprend depuis quelques années le nombre de 500 véhicules seulement dans son répertoire. Les statistiques du fisc ont été rejetées par d’autres partenaires sociaux lors du séminaire d’orientation budgétaire prélude à l’élaboration du budget de l’État exercice 2019. Mais aucune évolution perceptible n’a été remarquée côté recettes. Comme en 2017 et 2018, la DGI escompte quelque 3 milliards de nos francs et des miettes des recettes dans la vente de plaques.
Sous d’autres cieux où semble régner une certaine orthodoxie dans les finances publiques et de l’ordre dans l’administration, les chiffres d’importation d’autos sont rendus publics. Au Rwanda, par exemple, la moyenne est de 8 000 voitures importées annuellement, dont plus de 60 % des voitures d’occasion. Au Kenya, un État qui s’est rapproché de la RDC depuis l’élection du président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, près de 85 % des achats de véhicules concernent des véhicules d’occasion importés.
L’État veut du neuf
Par ailleurs, sur tout le continent, l’État demeure le plus gros client des distributeurs officiels de grandes marques étrangères. Mais des gouvernements des pays où se développe l’industrie automobile nationale ont pris depuis fin 2018 des mesures pour assurer un marché à leurs industries. Au Ghana par exemple, l’État a fait, en janvier 2019, une grosse commande des véhicules pour l’administration auprès du constructeur Kantanka. Le gouvernement nigérian a davantage durci les procédures d’importation d’occases en vue d’accorder une certaine faveur au constructeur local. En Algérie, la loi dans le secteur des investissements stipule que les entreprises étrangères ne peuvent investir dans le pays sans être associées avec un ou plusieurs partenaires locaux majoritaires. Dans cette optique, 51 % des parts d’une coentreprise lancée en 2018 par Peugeot pour construire ses premiers véhicules Made in Algeria sont détenus par trois entreprises algériennes.
Ces différentes mesures pourraient soutenir la création de millions d’emplois sur le continent. Au Maroc, par exemple, 288 126 emplois ont été créés entre 2014 et 2017 par le secteur automobile. D’ici 2020, ce sont près de 500 000 emplois qui devraient être créés. Et avec une main-d’œuvre prévue pour croître d’ici les prochaines années, le secteur automobile pourrait s’avérer l’un des facteurs clés de la réduction du chômage et du sous-emploi en Afrique.
Investissement ou étouffement
Mais il demeure que le continent qui regorge de près de 20 % de la population mondiale (1,2 milliard d’habitants) ne dispose que 2 % du parc automobile mondial. Pour les géants du secteur, Volkswagen, Peugeot, Nissan, etc., l’avenir du marché de l’auto se jouera en Afrique. « L’un des marchés les plus prometteurs », selon un expert français. D’après l’agence Reuters, le faible taux de pénétration du marché automobile africain offre la possibilité aux grandes entreprises d’entamer des stratégies d’expansion sur le continent. Ceci passe par la délocalisation de leurs usines d’assemblage et de fabrication comme on le remarque ces dernières années.
Aussi, les politiques publiques des États africains semblent désormais se tourner vers la création d’usines locales d’assemblage, ou à défaut, vers l’importation de véhicules de plus en plus neufs. L’agence britannique note par exemple, que le Kenya appliquerait dès 2021, des mesures restrictives sur l’importation des voitures d’occasion. Ceci, afin de réduire et remplacer « progressivement, mais systématiquement » la part des véhicules de seconde main, au profit de nouveaux produits fabriqués ou assemblés localement.
Depuis 2015, l’on constate un chapelet de projets d’investissements des grandes enseignes internationales sur le continent. En juillet 2018, le japonais Isuzu Motors annonçait la création d’une usine d’assemblage de véhicules en Ethiopie, prévue pour être opérationnelle au cours des deux années suivantes. Hyundai a, lui, augmenté sa capacité de production automobile du pays à 10 000 véhicules par an dans ce pays. Au Rwanda, c’est le constructeur automobile allemand Volkswagen qui a fait part d’un déblocage de près de 20 millions de dollars pour créer une usine d’assemblage de 5 000 véhicules chaque année.
Par la suite, VW annonce la construction d’une usine d’assemblage au Ghana et l’expansion de ses activités au Nigéria. Au Maroc, la production automobile est passée de seulement 50 000 véhicules en 2010, contre 335 000 en 2017. Et d’ici 2020, le pays veut atteindre une production de 650 000 véhicules par an. D’autres constructeurs comme Nissan, Ford ou Peugeot ont eux aussi annoncé de nouveaux investissements sur le continent. « En Afrique du Sud, principal pôle du secteur automobile africain, plusieurs groupes automobiles ont annoncé qu’ils investiraient plus de 3 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. Ces annonces traduisent l’appétit croissant des grandes sociétés automobiles mondiales pour le continent africain », note Slate Afrique.
Transfert de technologies
Pour certains observateurs, cet appétit croissant pour l’Afrique n’est pas sans risque d’excès de table : ces grands constructeurs pourraient étouffer l’éclosion des véhicules made in Africa et n’en faire qu’une bouchée. Les constructeurs africains se heurtent déjà au refus manifeste du transfert des technologies, aux coûts élevés de la fabrication des pièces, et surtout au manque de financement ou de subvention des États. Une Congolaise, Sandrine Ngalula Mubenga, a construit, en 2009 une voiture hybride aux États-Unis. En dehors du prix de mérite lui décerné cette même année par le gouvernement de la RDC, plus rien.
Reste à savoir si l’ingénieure qui porte un patronyme kasaïen pourrait d’ailleurs revenir dans la ville de sa jeunesse, Kikwit, dans l’ex-Bandundu, sans être inquiétée dans cette ambiance post-électorale marquée par la haine tribale. La Banque africaine de développement (BAD) et l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) sont plutôt optimistes sur l’avenir des véhicules made in Africa. Dans un rapport conjoint publié en 2017, ces deux institutions estiment que le marché africain dispose d’un potentiel de 350 millions de consommateurs, au bas mot. Ce qui est une grande opportunité pour l’industrie automobile africaine.