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IMANCHE 29 novembre, les Suisses devaient dire s’ils souhaitent inscrire dans la constitution la responsabilité des entreprises en matière de droits humains et de protection de l’environnement, y compris dans leurs activités à l’étranger. L’Initiative pour les multinationales responsables ne verra pas le jour, du moins pour l’instant, car elle a été recalée par la majorité de cantons en Suisse. Pourtant, la Suisse souhaitait vraiment imposer des « obligations légales plus strictes » à ses entreprises internationales en matière de respect des droits humains et des normes environnementales dans leurs activités à l’étranger et dans celles de leurs fournisseurs ou de leurs partenaires commerciaux..
Selon l’institut de sondages gfs.bern, l’initiative dite « les multinationales responsables » a été rejetée par au moins 14 des 26 cantons suisses alors qu’elle aurait été approuvée à une courte majorité des voix (50,7 %). Or, pour être adopté, un texte doit être approuvé à la fois par une majorité de votants et de cantons. Si elle avait été votée, elle aurait également permis de forcer les entreprises à répondre d’éventuels manquements devant les tribunaux en Suisse.
Intérêts économiques
Dès lors, on comprend pourquoi « l’initiative des multinationales responsables » a été soutenue par 130 ONG en Suisse. Greenpeace Suisse a fait part de sa déception, mais a souligné que le point principal de cette initiative avait été validé par le vote populaire, à savoir que « ceux qui polluent ou violent les libertés fondamentales, doivent faire face à leurs responsabilités et en assumer les conséquences ». Pour des observateurs, cette initiative présentait un risque pour les intérêts économiques. Le Conseil fédéral (gouvernement) ainsi que le patronat appelaient les électeurs à rejeter le texte, estimant que l’initiative faisait peser une incertitude sur l’ensemble du tissu économique suisse, y compris sur les PME.
Le vote a fait apparaître une fracture. Les cantons alémaniques germanophones ont en majorité rejeté l’initiative tandis que les cantons romands francophones l’approuvaient globalement. Par exemple, 64,8 % des votants ont rejeté le texte dans le canton germanophone de Zoug où se trouve le siège de Glencore. Le géant des matières premières a été souvent mis en cause par les initiateurs de ce vote durant la campagne. Glencore a été débouté en justice dans une action visant à limiter la propagation d’allégations à son encontre par l’association Initiative multinationales responsables.
Maintenant, c’est un contre-projet élaboré par le Parlement qui va s’appliquer. Il poursuit le même objectif d’une responsabilité accrue des entreprises en matière de droits de l’homme et de respect de l’environnement. Mais, déplorent les ONG, il est sans portée réellement contraignante. Les démarches des victimes devant les tribunaux suisses sont longues et coûteuses, estiment des observateurs. Ceux qui ont initié le texte, ont misé sur un effet préventif. Sur leurs affiches de campagne, trônait l’image d’enfants empoisonnés par des métaux lourds à proximité de la mine de Cerro de Pasco, contrôlée par Glencore au Pérou.
L’initiative aurait permis aux victimes d’agir sur le plan civil pour obtenir réparation si elles prouvent que leurs droits fondamentaux ont été violés par une société contrôlée par une firme helvétique. Les ONG tablent sur une collaboration entre des organisations locales et suisses ainsi que sur le soutien des avocats spécialisés. Le chemin semble pourtant semé d’embûches.
Actions individuelles
Comme le code de procédure civile suisse exclut les actions collectives en justice, chaque victime devra engager individuellement un avocat. Elles devront également quantifier les atteintes subies car la justice suisse n’indemnise que les dommages concrets, une tâche compliquée pour des miniers aux revenus limités. « Plus le montant du litige est élevé, plus les frais de procédure seront importants. Ce n’est que si les plaignants peuvent prouver que la plainte a de grandes chances d’aboutir qu’ils pourront obtenir une assistance judiciaire gratuite », explique Anina Dalbert, spécialiste business et droits humains pour la section suisse d’Amnesty International.
À cela s’ajoutent les risques de menaces pour la sécurité des plaignants ou de pressions psychologiques pour qu’ils abandonnent les poursuites. « L’initiative n’est certainement pas aussi contraignante que certains milieux économiques veulent le faire croire », souligne, pour sa part, Jean-Marie Banderet, chargé de communication chez Trial international, qui lutte contre l’impunité de crimes internationaux et soutient les victimes dans leur quête de justice. « Le texte ne touche pas à la notion de complicité pénale, qui est fort restrictive en Suisse, et permet à nombre d’acteurs économiques participant à des actes de pillage ou de crimes de guerre via la vente d’armes de pouvoir s’en tirer sans trop de soucis », poursuit-il.
Les plaintes devant les tribunaux suisses ne peuvent aboutir sur des dommages et intérêts punitifs à l’américaine. Les plaignants ne pourront donc obtenir que le montant des frais réclamés, mais pourront difficilement obtenir l’assainissement de sites pollués, par exemple. Si l’affaire aboutit devant un tribunal civil, la multinationale aura encore la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’elle a fait preuve d’une diligence raisonnable. C’est cet élément que les opposants brandissent pour dénoncer « un renversement du fardeau de la preuve ». Pour les ONG, la multinationale devra seulement montrer qu’elle a pris des mesures pour éviter que des violations ne soient commises.