Pourquoi la bulle des monnaies virtuelles va éclater

Aujourd’hui, la valeur du bitcoin et des produits concurrents repose sur le relatif anonymat des transactions qu’il autorise. Quand les Etats renforceront leur surveillance - ou créeront leur propre monnaie numérique - cet avantage disparaîtra.

 

Le bitcoin est-il actuellement la plus grosse bulle de cryptomonnaie du monde, ou bien un très bon pari d’investissement à l’avant-garde de la technologie financière new-age ? Mon intuition est qu’à long terme la technologie va se développer, mais que le prix du bitcoin va s’effondrer.

A plus de 4.200 dollars début octobre, une seule unité de la monnaie virtuelle vaut actuellement plus de trois fois le prix d’une once d’or. Certains évangélistes du bitcoin le voient grimper  beaucoup plus haut dans les années qui viennent.

Ce qui va se passer ensuite va dépendre, en grande partie, de la manière dont les gouvernements vont réagir. Vont-ils tolérer les systèmes de paiement anonymes qui facilitent l’évasion fiscale et le crime ? Vont-ils créer leurs propres devises numériques ? Une autre question clef est de savoir avec quel degré de réussite les nombreux  concurrents du bitcoin peuvent pénétrer le marché.

En principe, il est extrêmement facile de cloner ou d’améliorer la technologie du bitcoin. Ce qui est moins simple est de dupliquer la place de leader atteinte par le bitcoin en terme de crédibilité et dans le grand écosystème d’applications qui s’est construit autour de lui.

Foire d’empoigne

Pour l’instant, l’environnement réglementaire reste une foire d’empoigne. Le gouvernement chinois, préoccupé par l’utilisation du bitcoin dans la fuite de capitaux et la fraude fiscale, a  récemment interdit les échanges de bitcoins. Le Japon, de son côté, a inscrit le bitcoin comme monnaie légale, dans une apparente tentative de devenir le centre mondial de la technologie financière.

Dans la Silicon Valley, les cadres à l’affût investissent à la fois dans le bitcoin et injectent de l’argent dans ses concurrents. Le plus important d’entre eux est  l’ethereum . Son ambition est de grande envergure, comparable à celle d’Amazon. Elle consiste à permettre à ses utilisateurs d’employer la même technologie générale pour négocier et conclure des « contrats intelligents » pour à peu près tout.

Au début du mois d’octobre, la capitalisation boursière d’Ethereum s’établissait à 28 milliards de dollars, contre 72 milliards de dollars pour le bitcoin. Ripple, une plate-forme soutenue par le secteur bancaire afin de réduire les coûts de transaction pour les transferts interbancaires et d’outre-mer, se classe loin derrière à 9 milliards de dollars. Derrière les trois premiers se trouvent des douzaines de nouveaux concurrents.

La plupart des experts s’accordent à dire que l’ingénieuse technologie derrière les monnaies virtuelles peut avoir de vastes applications dans le domaine de la cybersécurité, qui pose l’un des plus grands défis actuels contre la stabilité du système financier mondial. Pour de nombreux développeurs, l’objectif d’obtenir un mécanisme de paiement meilleur marché et plus sécurisé a supplanté l’ambition du bitcoin de remplacer les dollars.

Paiements anonymes

Mais c’est de la folie de penser que le bitcoin sera autorisé à supplanter une monnaie émise par une banque centrale. C’est une chose pour les gouvernements de permettre de petites transactions anonymes avec des monnaies virtuelles. C’en est une autre d’autoriser les paiements anonymes à grande échelle, ce qui pourrait rendre extrêmement difficile la perception des impôts ou le contrôle de l’activité criminelle.

Il sera intéressant de voir comment l’expérience japonaise va évoluer. Le gouvernement a indiqué qu’il va surveiller les échanges en bitcoins pour être à l’affût des  activités criminelles et pour recueillir des informations sur les détenteurs de dépôts. Néanmoins, nous pouvons être certains que l’évasion fiscale mondiale va chercher des manières d’acquérir des bitcoins de manière anonyme à l’étranger puis de blanchir son argent par le biais de comptes japonais. En adoptant les monnaies virtuelles, le Japon risque de devenir un paradis fiscal comparable à la Suisse – avec des lois sur le secret bancaire inséparables de la technologie.

Si le bitcoin est dépouillé de son quasi-anonymat, il risque d’être difficile de justifier son prix actuel. Va-t-il tomber à zéro si les gouvernements deviennent capables de parfaitement observer les transactions ? Peut-être pas. Même si les transactions en bitcoin nécessitent un montant exorbitant d’électricité, avec quelques améliorations, le bitcoin pourrait encore battre les 2 % de frais des grandes banques sur les cartes de crédit et de débit.

Enfin, il est difficile de voir ce qui peut empêcher  les banques centrales de créer leurs propres devises numériques et d’utiliser la réglementation, afin de faire pencher la balance en leur faveur jusqu’à ce qu’elles remportent la partie. La longue histoire des monnaies nous indique que ce que le secteur privé fait innover, l’Etat finit par le réglementer et par se l’approprier. Je n’ai aucune idée du prix que le bitcoin va atteindre au cours des deux prochaines années, mais il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que l’argent virtuel évite un sort semblable.

Kenneth Rogoff est professeur d’économie et de sciences politiques à l’université de Harvard. Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate 2017.