LES SIGNES d’une flambée des prix toute proche. Les signes d’un prix du cuivre culminant dans les mois à venir entre 8 000 et 10 000 dollars, contre 6 600 dollars actuellement, sont déjà là : reprise chinoise post-Covid en V, stockage de sécurité, nombreuses positions spéculatives, affaissements de production liés à l’épidémie notamment au Pérou, au Mexique, à Panama ou au Chili, déficit possible entre la production et la consommation en 2021 et à plus long terme augmentation de la consommation de cuivre dans tous les secteurs de la transition écologique.
Le cuivre, un matériau non stratégique ? Toutefois et curieusement, la récente mise à jour de la liste des matières stratégique de la Commission européenne ne semble pas avoir retenu le cuivre. Une matière y est listée lorsque l’Europe est anxieuse à son sujet ou bien qu’elle est indispensable à une politique régalienne telle que la « relance verte ». Cela doit probablement signifier que l’Europe est autosuffisante pour ses besoins cuprifères actuels et futurs, ou bien que le cuivre, matière indispensable à la transition écologique, n’est pas une matière stratégique pour la « relance verte » européenne.
Géopolitique de l’aluminium
Inversement, si cette liste indique que l’Europe pourrait être en difficulté sur certaines matières, le reste du monde peut en être largement excédentaire. La bauxite est cet exemple.
Découverte par Pierre Berthier en 1821 sur la commune des Baux-de-Provence, d’où le nom de bauxite, elle est abondante : les réserves mondiales sont importantes et sont présentes sur les cinq continents, les mines se multiplient notamment en Guinée, quant au produit final, l’aluminium, il se recycle parfaitement. Outre l’automobile, l’aéronautique, les câblages électriques, l’emballage, l’immobilier, l’avenir de l’aluminium est aussi utilisé dans les câbles électriques et le voltaïque. Enfin, il est substituable avec le cuivre, les plastiques et des aciers.
Pourtant la bauxite est listée par la Commission européenne, car en 2018 les sanctions étatsuniennes contre l’oligarque russe Oleg Deripaska, propriétaire de Rusal, frappèrent son usine irlandaise de transformation de bauxite en alumine. Cette usine est le leader européen de la filière, c’est pourquoi sa mise à l’arrêt provoqua des peurs chez les consommateurs automobiles et aérospatiaux et de fortes tensions sur le marché européen de l’aluminium, alors que simultanément un autre fournisseur, Alunorte, était, pour d’autres raisons, en activité réduite.
Dans cet épisode métallurgique de la guerre économique du président Trump contre le reste du monde, l’industrie européenne n’était affaiblie ni à cause d’une pénurie de bauxite ni à cause des Américains ni des Russes ni des Chinois, mais à cause d’elle-même. Elle avait passé son temps à vendre ou fermer ses propres usines, car les conseils d’administration industriels français ou européen n’ont jamais été intéressés ni compétents ni en pointe sur la géopolitique des ressources naturelles.
Tout ceci illustre que ce n’est pas d’une liste des matières stratégiques dont nous avons besoin en Europe. Elle n’est que la révélation de nos faiblesses, sinon pourquoi ne pas pousser la logique jusqu’au bout et y loger également l’hydrogène ? En outre, elle devrait rester secrète ; qui a déjà vu le Bureau des Réserves Stratégiques chinois publier un inventaire mensuel des matières qu’il détient secrètement ?
Non, nous aurions plutôt besoin d’une liste des usines stratégiques de production de matières stratégiques qu’il faudrait rouvrir. En France ce sont celles des lanthanides de La Rochelle, de platinoïdes de Noisy-le-Sec, d’acier, d’alumine, etc. Contrairement aux propos d’un expert de l’Agence Européenne de Défense, cela ne coûte pas cher, et, croyez-moi, la disponibilité des matières suivra à partir de nouvelles mines européennes et d’un recyclage européen plus intense.
Peu importe donc si tel ou tel élément comme le cuivre est ou n’est pas à sa place dans cette liste. Celle-ci n’est qu’un nouvel aveu d’une confusion entre le symptôme et la cause de la maladie.
Ce qui est utile ce ne sont pas les matières, mais d’arrêter l’immense déshérence de la stratégie d’influence de l’industrie minérale européenne. C’est bien que Thierry Breton le rappelle, pourvu que cela soit suivi de très nombreux effets.