Pourquoi le RAM fait peur

Ce sont les revendeurs sur le marché noir et les voleurs de smartphones eux-mêmes qui le disent : la mise en place du Registre des appareils mobiles que le gouvernement s’apprête à lancer le 24 septembre en RDC fait figure de menace sérieuse pour leur « business ». La faute à qui ? À eux, bien sûr.

DEPUIS que l’annonce a été faite le 7 juillet dernier, la mise en place du Registre des appareils mobiles (RAM) pour juguler la vente des téléphones (surtout les smartphones) contrefaits et le vol des appareils portables, une campagne anti-RAM aux allures d’une attaque trop personnelle ayant pour cible Augustin Kibassa Maliba, le ministre de Poste, Télécommunications et Nouvelles technologies de l’information et de la communication (PT&NTIC), est orchestrée par les revendeurs mais aussi par les opérateurs réseaux, montés en première ligne de front. 

« Identification des téléphones : rêve utopique d’Augustin Kibassa aux allures d’arnaque ! », « Obsédé par l’enrichissement rapide, Augustin Kibassa lorgnerait sur plus de 160 millions de dollars de l’identification des téléphones ! », « Aucun opérateur de télécommunications n’est prêt à accompagner le ministre Kibassa dans cette aventure », « Augustin Kibassa refuse l’offre d’un logiciel d’identification gratuite de la GSMA », « Le projet de certification du ministre des PT&NTIC présente plusieurs inconvénients », « La taxation représente 26 % du coût total des services de téléphonie mobile pour le consommateur en RDC », « La nouvelle redevance sur les terminaux créera un obstacle supplémentaire à l’inclusion numérique », « Enregistrement des téléphones ou espionnage des Congolais ? », etc. Autant de titres sensationnels distillés dans les réseaux sociaux, voire dans la presse. 

Quel crédit donner finalement à tous ces propos pessimistes sur le RAM ? La plupart des critiques, entendues jusque-là, visent apparemment à contrecarrer le projet qui vise tout simplement la protection des utilisateurs de téléphones mobiles, et obliger ainsi le gouvernement à y renoncer. Disons-le, la campagne anti-RAM a sapé le moral de la population à laquelle on fait croire que le RAM vient l’appauvrir davantage. D’où la nécessité d’une opération de sensibilisation aux bienfaits et aux opportunités du RAM auprès de la population.

Au fur et à mesure que la date du 24 septembre prévue pour le lancement du RAM en RDC s’approche, l’intox et la désinformation s’intensifient. Derrière cette campagne de RAM bashing se profilent des intérêts privés alors que tout le monde sait que ce dispositif de protection est légal. 

Il y a eu d’abord le décret n°20/005 du 9 mars 2020 relatif aux droits d’enregistrement IMEI, puis l’arrêté ministériel du 10 juin 2020 de mise en place du système d’enregistrement des appareils mobiles.

« Les autorités de la République démocratique du Congo ne devraient pas se laisser abattre par toutes ces critiques anti-RAM », avance un expert qui recommande au ministre de PT&NTIC « ténacité et détermination absolue » comme atouts essentiels à la réussite de la mise en œuvre du RAM en RDC. L’agitation que l’on observe n’a qu’un seul objectif : faire échouer le projet. Pourtant, c’est une avancée dans le secteur des télécommunications. 

Au cabinet du ministre Augustin Kibassa et au siège de l’Autorité de régulation de Poste et télécommunications du Congo (ARPTC), on affirme ne pas être surpris par le flot d’accusations, car des études sérieuses insistent sur la nécessité de légiférer ou de réglementer sur la circulation des téléphones contrefaits et le vol des smartphones. Selon des experts, c’est un nouveau fléau dont les effets néfastes prennent des proportions inquiétantes. 

Contrefaçon : ça va mal !

D’après les mêmes experts et selon plusieurs enquêtes, la RDC est un terrain propice pour les produits contrefaits de tous genres. Les enquêtes réalisées en Afrique montrent que les téléphones contrefaits y constituent une réelle menace pour la santé, la sécurité, la qualité de services et les finances publiques. Et c’est vraiment à partir de 2018 que certains pays africains ont pris la mesure de la menace et ont décidé de s’engager dans la lutte contre les téléphones ne répondant pas aux normes internationales. 

Hormis des pays comme le Kenya, l’Afrique du Sud, le Ghana, le Nigeria et la Tanzanie où les régulateurs de télécoms sont réactifs, partout en Afrique, le phénomène prend de l’ampleur. Par exemple, il est encore difficile d’établir clairement le volume global de téléphones mobiles contrefaits en vente en RDC.

« Avec le boom du numérique qui requiert l’utilisation du mobile, c’est normal que les gouvernements veillent à la qualité des téléphones pour assurer l’accès à de nombreux services numériques », fait remarquer un expert. 

Au Kenya, par exemple, l’Agence anti-contrefaçon (ACA) estime que les téléphones mobiles constituent 51,8 % des produits contrefaits circulant dans le pays. Pour sa part, l’Ouganda a mis en place un dispositif technique qui lui permet d’identifier les téléphones contrefaits ou de seconde main. « Comme on peut le constater, le dispositif d’enregistrement et/ou d’identification des appareils mobiles pour lutter contre les produits contrefaits paraît un enjeu stratégique », poursuit le même expert. 

La demande de services numériques devenant de plus en plus croissante, le téléphone mobile passe pour être un outil de prédilection pour des millions d’Africains dans un monde de plus en plus numérisé. En effet, le téléphone portable permet de réaliser, stocker et partager des photos et vidéos, contacter des amis et parents sur les réseaux sociaux, poster des avis sur des blogs, surfer sur Internet, télécharger et écouter de la musique, procéder à des opérations bancaires… Dès lors, les téléphones contrefaits exposent les consommateurs à un risque important de sécurité. 

Symantec, une entreprise de cyber-sécurité, a prévenu que « l’Afrique risque de devenir le terrain privilégié des opérations pour les cybercriminels au regard de nombreuses failles de sécurité informatique qu’elle présente, notamment à travers les téléphones contrefaits qui inondent ses marchés ». Ce sont donc plusieurs milliards de dollars, issus de diverses activités comme le chantage ou encore le vol de fonds privés, qui sont aujourd’hui en jeu.

Pour sa part, Qualcomm souligne que « les lacunes des téléphones contrefaits ont également un impact sur le réseau en termes de pertes de capacité au niveau des appels, de vitesse de transmission des données et de qualité de la couverture ». Et que « les appareils contrefaits nuisent non seulement à l’expérience de l’utilisateur, mais sont également à l’origine de lourdes charges pour les opérateurs réseaux qui sont obligés d’investir continuellement… » 

Par ailleurs, les téléphones mobiles contrefaits sont un danger sanitaire pour les utilisateurs, car ils sont faits de matériaux non conformes aux normes internationales. Ces téléphones ont également un impact sur l’économie (perte de recettes fiscales et douanières due à la fraude), etc. 

Vol : nouveau fléau !

Chaque année, des millions de portables sont volés dans le monde, particulièrement les smartphones dernier cri, dont les prix en boutique atteignent ou dépassent les 1 000 dollars. Les voleurs qui sont parfois violents, ciblent surtout les femmes, car elles ont plus de mal à réagir que les hommes. Les opérateurs réseaux, quant à eux, tentent de décourager le vol de portables avec les numéros d’identité internationale des équipements mobiles  (IMEI). Ce code, attribué à chaque portable, permet de faire opposition à son téléphone en cas de vol. 

Mais il existe une méthode (flashage) pour le débloquer, et les délinquants la connaissent. Cette opération s’effectue facilement dans la rue ou dans l’arrière-boutique des magasins de téléphonie complaisants. Les receleurs rachètent et revendent les téléphones volés.