Pourquoi les Congolais ne se lancent-ils pas dans la création de banques

Depuis une dizaine d’années, on assiste à l’essor du secteur bancaire. Dix-huit banques commerciales sont opérationnelles en RDC, toutes sont entre les mains de non-nationaux. Augustin Dokolo et Pascal Kinduelo sont les seuls cas connus à ce jour de nationaux patrons de banque. C’est déjà du passé.

Qu’il s’agisse d’Augustin Dokolo Sanu ou de Pascal Kinduelo Lumbu, ce sont avant tout des selfs made men. Aujourd’hui, l’évocation de ces noms ne dit peut-être rien à la jeune génération. Pourtant, ils font partie de l’élite économique dont le pays peut être fier. En dehors d’être des vrais capitaines d’entreprises, ce sont les seuls entrepreneurs congolais qui ont osé créer une banque en République démocratique du Congo, à l’époque République du Zaïre. Oui, ils ont osé, parce que le contexte politique des années 1970-1980 a été caractérisé par le trafic d’influence, le clientélisme… Ceux qui montaient financièrement en puissance étaient dans le viseur des tenants du pouvoir. Ainsi, réussir dans les affaires sans le « coup de pouce » du pouvoir en place était perçu comme « un crime de lèse-majesté ».

Dokolo l’a malheureusement appris à ses dépens. Son ascension sociale incarne, mieux que chez quiconque, le rêve d’une réussite personnelle par le travail et le mérite. Décédé à Paris en 2001, cet homme discret reste, de l’avis de beaucoup, un parfait représentant de la race en perdition des selfs made men en RDC. Ses proches disent qu’il avait le flair et un grand sens des affaires. Bref, un chasseur d’opportunités, qui a été quasiment présent dans tous les secteurs de l’économie. Passionné d’art, Dokolo fut un grand visionnaire économique. Déjà en 1967 – l’année où Mobutu lança le Mouvement populaire de la Révolution (MPR), le parti-État – Dokolo entreprit son œuvre la plus ambitieuse : la création de la Banque de Kinshasa (BK). Une banque commerciale à capitaux nationaux : 600 000 dollars à sa création. En 1974, la BK est dans le collimateur du MPR, frappée par les « mesures de radicalisation », quelques mois après seulement  celles de « zaïrianisation » des unités de production appartenant à des étrangers. Mais en 1976, le régime dictatorial de Mobutu se résout de rendre à Dokolo sa banque.

Cependant, cela n’a pas infléchi cet homme d’affaires originaire de Kongo-Central, refusant d’accepter une fonction politique et de faire allégeance au MPR devenu parti-État. La BK devint à nouveau la cible du régime mobutien. C’est ainsi qu’en 1986 elle est placée sous gestion administrative de la Banque du Zaïre, officiellement à cause de son endettement vis-à-vis de la Banque centrale. À la fin de la période légale de mise sous gestion administrative, la BK est nationalisée, et son patrimoine transféré à la Nouvelle Banque de Kinshasa (NBK). Dans la foulée, toutes les sociétés de Dokolo, une trentaine au total, sont confisquées et cédées à l’Union nationale des travailleurs du Zaïre (UNTZA) à la suite d’une mesure politique. Selon les indiscrétions à Kinshasa, Dokolo était soupçonné d’être l’argentier du parti non autorisé Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Dokolo ne se remettra jamais de cette spolitaion programmée, jusqu’à sa mort.

Pascal Kinduelo Lumbu, lui, n’a pas connu le même sort que Dokolo. Originaire de Kongo-Central comme lui, Kinduelo avait pu démontrer auparavant ses capacités de bon manager à travers plusieurs sociétés qu’il a créées et façonnées de ses propres mains : Kilou Olivetti, Alaska…, avant d’atterrir dans le secteur de la banque en créant la Banque internationale de crédit (BIC). L’expérience a duré quelques années avant de vendre la BIC aux Israéliens, au moment où cette banque venait en 5è position en termes de total du bilan en 2009. Il prendra sa retraite après avoir été président du conseil d’administration de la BGFIbank/RDC.

Le secteur en plein essor

Et depuis, aucun Congolais ne s’est illustré dans le secteur bancaire, pourtant, en pleine expansion. À ce jour, 18 banques commerciales – contrôlées quasiment toutes par des capitaux étrangers – opèrent en RDC, un territoire de 2 345 000 km². Ces banques sont : BIAC, BIC, BCDC, Equity, ex-ProCredit, Access Bank, Standard Bank (STD), Ecobank, Citi, Rawbank, Fibank, Trade and Merchant Bank (TMB), Byblos, Advans Bank, MBANK, Sofibanque (SFB), BOA et BGFIBank, Afriland First Bank (AFRL). Selon les estimations de la Banque centrale du Congo (BCC), seulement moins de 6 % des Congolais utilisent actuellement une banque ou d’autres services financiers formels. Parmi les causes à l’origine des faibles taux d’inclusion financière et de bancarisation, moins de 25 % pour une population de plus ou moins 70 millions d’habitants, figure en bonne place le manque de confiance de la population dans les banques. Contre seulement 43 mille comptes en 2001, le secteur bancaire totalise aujourd’hui plus de 5 millions de comptes dans 257 institutions agréées par la BCC que sont les banques commerciales, les institutions de microfinance, les coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC), les bureaux de change, les messageries financières, les établissements de monnaie électroniques et autres institutions spécialisées comme la Société pour le financement du développement (SOFIDE) et le Fonds de promotion industrielle (FPI).

Les banques à capitaux étrangers, c’est-à-dire celles qui empruntent ailleurs et placent leurs bénéfices à l’étranger, faute d’un marché des capitaux dans le pays, font tout pour se déployer à l’intérieur du pays à la recherche de nouveaux clients. Outre les familles Rawji (Rawbank), Forest (BCDC), Blattner (BIAC), Levy (TMB), le potentiel du marché domestique a généré l’arrivée de groupes bancaires à capitaux « panafricains » tels que Ecobank, Standard Bank, BGFIBank, Access Bank, Bank of Africa (BOA), Afriland First Bank, Equity Bank… Et d’autres ont annoncé leur venue prochaine…

Si l’on peut, bien entendu, se féliciter d’un tel succès, qui ne fait que confirmer la nouvelle attractivité de la RDC aux yeux des investisseurs étrangers, l’absence de capitaux nationaux dans le secteur bancaire local est à déplorer. L’urbanisation croît à une vitesse exponentielle et conduira plus de 50 % de la population locale (contre moins de 35 % actuellement) à vivre en zone urbaine à partir de 2030 et fera de Kinshasa à l’horizon 2035, selon toute vraisemblance, la douzième ville la plus peuplée de la planète (avec une population estimée entre 15 et 20 millions d’habitants). Certes, les évolutions démographiques constituent un atout pour le secteur bancaire, surtout avec l’évolution du mobile banking.

Politique d’incitation

En conséquence, les Congolais devraient-ils laisser le secteur aux seuls mains des étrangers ? Le centre de décision des banques commerciales devrait se trouver impérativement en RDC. La population a besoin d’un signal fort, pouvant restaurer sa confiance dans l’intermédiation financière du pays et susceptible de lui démontrer que des nationaux sont tout aussi capables, grâce à leur initiative, de tirer profit de l’amélioration de l’environnement macro-économique. L’État doit encourager et faciliter les nationaux, par exemple, en octroyant le bénéfice du code des investissements, et de ses avantages fiscaux conséquents, au secteur bancaire ou en finalisant aussi rapidement que possible la mise en place d’un véritable marché des capitaux. Au-delà de la nationalité des actionnaires, il est également fondamental que les banques recentrent rapidement leurs centres de décision localement, que ce soit en termes de stratégie commerciale, de contrôle des risques, de politique des ressources humaines ou de gestion financière.

En effet, les spécificités du marché congolais, nombreuses et quelquefois très complexes à cerner, ne peuvent être correctement appréhendées que par des décisionnaires ayant une proximité géographique et culturelle avec la clientèle locale… Une banque à capitaux congolais, délibérément orientée vers les particuliers et les PME-PMI, ferait la fierté de la population de par sa fiabilité et son professionnalisme, et au sein de laquelle Congolais « de sol » et de la diaspora pourraient s’épanouir et mettre à profit leurs compétences et leurs expériences, afin de contribuer à ramener le taux de bancarisation de la RDC à des niveaux plus conformes au potentiel gigantesque de ce pays.