COMME à son habitude, la presse financière internationale a été si prompte à diffuser l’information de la publication de la nouvelle notation de la dette souveraine attribuée par l’agence Moody’s Investors Services à la République démocratique du Congo. Cette évaluation est l’aboutissement logique des consultations (annuelles) et des contacts téléphoniques, ces deux derniers mois, initiées par les experts de Moody’s. Ces consultations qui ont porté sur la période de décembre 2017 à juin 2019, ont conduit l’agence à modifier ses perspectives de la notation dans le cas de la République démocratique du Congo.
En effet, la notation de la RDC qui était fixée à « B3 négative stable » au cours de ces trois dernières années, est dégradée à « Caa1 négative stable ». Chez Moody’s, soulignent des spécialistes, la notation « C » correspond à « la pire des notes ». En clair, cela signifie que « l’emprunteur est en situation de défaut de paiement ».
Il va de soi que cette publication suscite encore des commentaires divers chez les initiés dans des salons d’affaires au pays comme à l’étranger. C’est pourquoi, les rédactions de Business et Finances ont estimé qu’il est de leur devoir d’approcher des acteurs politiques, des opérateurs économiques mais aussi des experts, afin d’apporter un éclairage sur l’effet que cette mauvaise notation peut avoir sur l’économie nationale, ainsi que sur ses tenants et ses aboutissants.
Vu sous cet angle, une question vient immédiatement à l’esprit : pourquoi recourt-on à une agence de notation indépendante ? Mieux, en quoi la notation d’une agence indépendante est-elle pertinente pour l’économie ? Dans les milieux d’affaires, voire chez les experts, on explique que la notation souveraine d’une agence spécialisée procède généralement de « la nécessité de mettre à la disposition des investisseurs des informations leur permettant d’évaluer le risque encouru par la détention de tel ou tel actif financier ». Classique !
C’est donc par souci de crédibilité des informations que les emprunteurs, dont les États, évitent de se juger eux-mêmes. Ils recourent ainsi à une agence indépendante qui est censée a priori donner l’information la plus objective possible. Actuellement, trois agences de notation internationale ont pignon sur rue. Il s’agit de Moody’s Investors Services, Standard and Poor’s et Fitch Ratings. Des observateurs font remarquer que de ces trois agences, Moody’s est la plus stricte dans la notation. C’est tout dire !
Pour rappel, Moody’s a été fondée en 1909 par John Moody, journaliste financier reconverti, qui crée la notation. L’agence se spécialise dans l’évaluation des risques des entreprises sur base des notes, le fameux « triple A to C ». Elle note aussi les dettes publiques. Selon des experts, la notation n’est rien d’autre qu’une « appréciation sur la volonté et la capacité » d’un émetteur à assurer le paiement ponctuel des engagements d’un titre de dette. Sur l’échelle de Moody’s, la notation varie du maximum « Aaa » (excellent) au minimum de « C » (moins bon ou mauvais).
Critères d’évaluation
Quelques critères comptent dans l’évaluation de l’agence pour la notation. Selon des spécialistes, donner un avis sur un émetteur souverain éventuel signifie évaluer les différents facteurs susceptibles d’affecter sa solvabilité. Chez Moody’s, ces facteurs sont la solidité de l’économie, la solidité institutionnelle, la solidité du gouvernement et la vulnérabilité de l’économie aux chocs exceptionnels.
À l’analyse, sur le critère de la solidité de l’économie, les experts de l’agence interrogent la « capacité de l’économie à produire de la croissance » et apprécient le « niveau de vie de la population ». Il va de soi qu’une croissance élevée traduit une création significative de richesses. Quant au revenu par habitant, il donne une indication sur le niveau moyen de richesse des habitants d’un pays.
Sur le critère de la solidité institutionnelle, les experts de Moody’s regardent la qualité des institutions, c’est-à-dire leur « capacité à gérer la production et l’allocation des ressources de manière soutenable ». En d’autres termes, ils jaugent la « qualité de la gouvernance » institutionnelle.
Sur le critère de la solidité du gouvernement, les experts de l’agence évaluent la « solidité tant qualitative que quantitative de la situation budgétaire » du gouvernement. Est-ce que les dépenses sont à la hauteur des besoins ? Est-ce que les recettes publiques sont en mesure de couvrir les dépenses courantes et d’investissement ? Est-ce que la dette publique est soutenable ? Bref, il s’agit d’une évaluation sur les capacités financières de remboursement de l’État comme le ferait un banquier sur un agent privé.
Enfin, sur le critère de la vulnérabilité de l’économie aux chocs exceptionnels, les experts de l’agence cherchent à savoir dans quelle mesure « l’économie du pays est susceptible de résister aux chocs politiques ou économiques internes et externes », c’est-à-dire ayant leur origine dans d’autres économies ou tout simplement concernant l’économie mondiale.
Le but de la notation
D’après les experts consultés, une notation est « toujours et nécessairement une traduction de la volonté de mettre à l’avant la transparence sur la gouvernance » dans un pays. Prise comme telle, expliquent-ils, la notation devient un indicateur précieux pour les gouvernants, autant que pour les gouvernés, de se savoir que tout ce qu’ils disent ou vont dire, et tout ce qu’ils font ou vont faire, sont soumis à l’appréciation objective des autres, dont les investisseurs.
Par conséquent, la notation incombe le sens de responsabilité et de redevabilité. Dans le cas de la RDC, conseille un acteur politique, il nous faudrait donc être « conscients de la fragilité de notre économie et des risques internes et externes » auxquels elle doit faire face. Pour cela, une « gestion rigoureuse et prudente » est le passage obligé « si nous voulons réellement améliorer notre note et attirer davantage d’investisseurs ».
La notation de Moody’s, si mauvaise soit-elle, ne devrait pas être un motif de découragement. Au contraire, c’est une motivation, fait comprendre un patron. « Je comprends que le chemin à parcourir est long, mais il faut absolument les réformes pour changer les choses », confie-t-il. Et c’est maintenant qu’il faut le faire. Le scénario du pire que tout le monde redoutait en lien avec l’organisation des élections a été évité, mais cela ne veut pas dire que tout va bien maintenant. Avec l’opposition politique fragmentée, avec l’insécurité grandissante à Bunia (Ituri) et Minembwe (Sud-Kivu), sans oublier Beni (Nord-Kivu), avec les égarements de la Cour constitutionnelle qui s’est fourvoyée dans la gestion des contentieux électoraux, consécutifs au désordre organisationnel des élections par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), il va de soi que « le degré actuel d’incertitude politique menace de nuire davantage à l’économie ». Les investissements étrangers importants sont regardants à propos des risques politiques dans le pays où ils veulent aller.
Publié dans l’édition BEF No 229 du 1er au 7 juillet 2019