DANS la course aux vaccins contre le Sars-CoV 2, les mariages (de raison) entre la big pharma et des biotechs à la pointe de la recherche sont d’usage – pour accroître notamment l’assise industrielle du futur produit. Mais les alliances entre titans ? Ce 14 avril, c’est pourtant un accord entre leaders mondiaux qui s’est noué, avec l’annonce d’un partenariat inédit entre le Britannique GSK et le Français Sanofi – respectivement numéro un et numéro trois mondiaux du vaccin (en valeur) – pour dénicher la dose miracle face à la pandémie. Concrètement, les deux industriels ont signé une lettre d’intention visant à partager leurs atouts et savoir-faire respectifs. Dans la corbeille, Sanofi apporte ses travaux lancés au début de l’année autour du virus. En tête, ceux qui consistent à travailler à partir d’un vaccin candidat élaboré il y a plus de dix ans pour prévenir le SRAS (syndrome respiratoire aiguë sévère), un virus apparu en 2002 qui posséderait 75 % des similarités génétiques avec le Sars-CoV 2.
Pas avant 2021
Cette approche s’appuie sur la technologie dite de l’« ADN recombinant », qui utilise une réplique de l’ADN du Sars-CoV 2 recombiné génétiquement avec celui d’un autre virus à la base du vaccin recombinant contre la grippe de Sanofi, actuellement homologué aux États-Unis. Des travaux menés en partenariat avec la Barda (Autorité pour la recherche et développement avancée dans le domaine biomédical), émanation du département américain de la Santé, avec laquelle Sanofi a déjà travaillé au début des années 2000, sur la grippe aviaire.
En parallèle de cet accord, le laboratoire tricolore travaille aussi sur un possible traitement pour la maladie du Covid-19, plus un autre type de vaccin, à base cette fois d’ARN messager (ARNm) – sorte de « logiciel » qui pousse les cellules à produire les protéines thérapeutiques qui soigneront la maladie – théoriquement plus rapide et moins coûteux à produire. Pour ce dernier il s’est associé à la biotech américaine Translate Bio.
De son côté, GSK met au pot son savoir-faire en matière de technologie de production de vaccins avec adjuvant. Un atout qu’il a déjà mis en avant fin février lors de l’annonce d’une alliance avec le Chinois Clover, également pour tenter de dénicher un vaccin anti-Covid-19. Les adjuvants – qui « dopent » la réponse immunitaire – permettent notamment de réduire la quantité de protéines nécessaires dans chaque dose de vaccin. Et, par ricochet, de produire des vaccins en plus grand nombre.
Pour autant, la production n’est pas pour tout de suite. Selon le duo, les essais cliniques du futur vaccin candidat pourraient démarrer au deuxième semestre de cette année, en vue d’une commercialisation, en cas de succès, un an plus tard. Pas avant. Dans cette optique, le tandem promet aussi d’engager suffisamment en amont les discussions avec d’autres États que les États-Unis et les organisations internationales pour garantir l’accès à l’échelle internationale du possible vaccin. « Compte tenu de l’enjeu humanitaire et financier extraordinaire que représente la pandémie », les deux laboratoires promettent enfin de « faire en sorte que tout vaccin issu de leur collaboration soit disponible à un prix abordable. »
Mutualiser les risques et les coûts
Les raisons de cette inattendue union sacrée ? D’abord l’urgence médicale. « Le monde est confronté à une crise sanitaire sans précédent et il est clair qu’aucune entreprise ne peut y remédier seule », a avoué, le jour de l’annonce, Paul Hudson, le directeur général de Sanofi. Unir deux titans, c’est accélérer la recherche, mais aussi garantir des capacités de production inédites pour répondre à une demande qui promet d’être planétaire. Le 19 mars dernier, à Genève, les gros acteurs du secteur s’étaient engagés à fournir partout dans le monde un vaccin dans les 12 à 18 mois. Une vraie gageure alors que des dizaines de projets de recherche, à l’issue par définition incertaine, se développent dans le monde.Enfin, unir les forces, c’est aussi une caution de « sérieux » aux yeux des autorités et des États. De quoi accélérer les procédures réglementaires. GSK, comme Sanofi Pasteur, sont des vétérans de l’industrie. Parmi leurs blockbusters, GSK produit notamment le Shingrix (vaccin contre le zona) ; Sanofi Pasteur le Pentacel, vaccin pour les enfants contre la coqueluche, le tétanos, la diphtérie, le polio et une forme sévère de méningite. Deux produits dont les ventes se chiffrent chaque année en milliards de dollars.
Dans le cas du Covid-19, l’équation économique est loin d’être aussi juteuse, pour l’instant. La mobilisation rapide des équipes, de recherche comme de production, coûte beaucoup d’argent. Les experts parlent de deux milliards de dollars simplement pour la phase de développement. Sans garantie de succès. Et la pression pour vendre le futur produit quasiment à prix coûtant est forte. L’union sacrée est alors le meilleur moyen de mutualiser les risques et les coûts. D’où aussi l’intérêt de multiplier les alliances avec les pouvoirs publics ou les instances internationales, tel l’accord entre le ministère de la Santé américaine et Sanofi. Ultime pari pour tous les laboratoires en lice, que les travaux sur un futur vaccin Sars-CoV 2 nourrissent d’autres projets à venir. Le Covid-19 est alors une formidable (et tragique) occasion de procéder à un test grandeur nature. Autre hypothèse : que la découverte d’un vaccin candidat anti-Covid-19 serve un coronavirus en constante mutation, tel le virus de la grippe, comme l’expliquait Olivier Bogillot, le patron de Sanofi France, le 4 avril dernier sur France Inter : « Le vaccin est vraiment capital si le Covid-19 devient une épidémie saisonnière, ce qui n’est pas impossible. Plusieurs chercheurs disent que cela pourrait revenir en plusieurs vagues successives. Alors, il nous faudra un vaccin pour protéger la population. »