Des prétendus pasteurs se servent de la Bible pour rançonner des passagers naïfs à bord des transports en commun.
Confrontés à une conjoncture économique difficile, caractérisée par le manque d’emplois, les Kinois sont très imaginatifs lorsqu’il s’agit de trouver des solutions pour leur survie. Ils ne manquent pas d’initiatives. Ceci a permis l’émergence d’une catégorie de personnes qui s’improvisent « serviteurs de Dieu » et pour qui la prédication est l’unique source de revenus.
Dans la plupart des cas, ce sont des hommes. Ces prédicateurs ambulants s’autoproclament« évangélistes », « pasteurs » ou encore « prophètes ». Ils ont un faible pour les bus effectuant de longs trajets, notamment les lignes Marché central-Kingasani, UPN-Gare centrale. Ces parcours ont l’avantage de leur accorder suffisamment de temps pour flatter et persuader les passagers à coup des prophéties. Et cela, peu importe les conditions de circulation.
Le scénario est presque toujours le même. À l’arrivée des bus à l’arrêt, ces faiseurs de miracles les prennent d’assaut et occupent aussitôt le siège situé derrière celui du conducteur. Souvent la prédication prend des allures d’un véritable culte. Le « pasteur » commence par une brève prière introductive pour « confier le parcours à la providence divine ». Suivent des cantiques d’adoration, avant de passer à la prédication proprement dite. Dès qu’il s’aperçoit que le bus est proche du terminus, le « pasteur » s’empresse de faire la quête. Selon ces diseurs de bonne nouvelle, l’offrande collectée serait ainsi affectée soit à des cas sociaux tels que l’assistance à des malades, des nécessiteux, des orphelins, soit encore à une campagne d’évangélisation.
Dans un taxis-bus desservant la ligne Makala-Marché central, placé à l’endroit « stratégique » du bus, un prédicateur se met debout et exhorte les passagers à adopter une attitude propice à la prière avant la prédication. L’appel ne suffit pas à transformer le bus en temple. N’empêche que l’homme se met à l’œuvre. Après avoir abordé les thèmes favoris (la prospérité, le mariage, la victoire sur les détracteurs, etc.), le « pasteur » gagne la sympathie des passagers. Au bout de quelques minutes, le silence est total dans le bus. À chaque bout de phrase prononcée, on entend les passagers acquiescer : « Amen! »
« Que Dieu vous bénisse »
Finalement, c’est un appel de fonds de cinq dollars qui va mettre un terme à la prédication du jour. « L’offrande sera consacrée à l’achat de biens de première nécessité pour les orphelins encadrés par notre Église », se justifie le « pasteur ». Généralement, les dames se montrent plutôt généreuses. Sinon, les autres passagers donnent chacun selon ses moyens. A chaque donateur, le « pasteur » se montre lui aussi généreux en distribuant des bénédictions du genre « Que Dieu vous bénisse et subvienne à vos besoins ».
Toutefois, la réaction des passagers dans un bus est toujours imprévisible. Un autre prédicateur en a gardé de mauvais souvenirs. Bible en main, « Frère Clément » – comme il s’est présenté –tente sans succès de captiver l’attention des passagers. L’hostilité est consécutive à l’aspect peu engageant de son habillement. Malgré l’indifférence de l’auditoire, il prêche, imperturbable. À quelques encablures du terminus, gêné, il manque le courage de solliciter l’offrande. Le voilà qui descend du bus.
Bien auparavant, deux dames touchées par le prêche lui ont donné l’une cent francs et l’autre cinq cents. Et c’était tout. « Je lui ai donné cet argent parce qu’il avait plutôt l’air d’un nécessiteux. C’est sûr qu’il n’a rien mangé depuis longtemps », confie l’une des bonnes samaritaines.
Pour comprendre ce phénomène, un chauffeur de taxi-bus témoigne : « Je leur permets de prêcher à bord du véhicule par reconnaissance au Seigneur qui m’a sauvé d’un accident mortel, il y a quelques mois. Je ne leur exige rien en contrepartie. Néanmoins, je leur demande de payer le titre de transport, comme tout le monde ».
Contrairement aux transporteurs privés, la société publique de transports urbains, Transco, interdit la prédication à bord de ses bus. Certains conducteurs partagent ce point de vue. Dans un bus reliant la Gare centrale à Matadi Mayo, 25 km à l’ouest de Kinshasa, l’un d’eux affirme : « Je ne permets pas à ces imposteurs d’accéder au bus. S’ils ont réellement reçu une mission divine, pourquoi n’iraient-ils pas prêcher également dans les bistros et les hôtels ? En plus, en tant que fidèle kimbanguiste, je n’ai pas besoin d’eux. Le portrait du prophète Simon Kimbangu collé au pare-brise du bus assure ma protection ».