Primes des Léopards, quand la cagnotte suscite des remous dans la Fonction publique

Pour leur deuxième sortie en phase des poules, les Léopards ont laissé un doute dans les esprits des Congolais. Déjà la victoire (1-0) sur le Maroc a été arrachée sans la manière, voilà que le nul (2-2) face à la Côte d’Ivoire remet la RDC dans son contexte habituel de qualification dans la douleur, et relance le sempiternel débat sur les primes des joueurs.

Chaque match gagné en phase des poules de la Coupe d’Afrique des nations (CAN Gabon 2017) donne droit à une prime de 5 000 dollars à chaque joueur, a précisé le 3ème vice-président de la Fédération congolaise de football association (FECOFA) chargé des finances, Roger Bondembe. Une qualification pour les quarts de finale donne droit à un gain de 10 000 dollars à chaque athlète, la prime passe à 15 000 dollars si les Léopards atteignent les demi-finales. Ces primes ont été ainsi fixées depuis la CAN 2013 qui s’était déroulée en Afrique du Sud, a laissé entendre le chargé des finances de la FECOFA. Avant d’ajouter que la prime pour la finale est laissée à l’appréciation du chef de l’État.

La circulaire n°002/VPM/MIN.BUDGET/2014 du 19 juin 2014 contenant les instructions relatives à l’élaboration de la loi de finances de l’exercice 2015 n’aura donc pas été mise en application pour le onze national de football alors que dans la Fonction publique, elle est de stricte application. Par ce temps de basse conjoncture, où faute d’argent, des primes des médecins sont par endroits gelées, nombre de fonctionnaires recalés au processus d’éligibilité à la paie, des chantiers routiers (dont la route By-Pass) mis en veilleuse, l’État se retrouve cependant dans l’obligation de décaisser des centaines de milliers de dollars par le hasard du calendrier de la CAN alors que le pays fonctionne sous le régime des crédits provisoires : juste le douzième du budget révisé de 2016 chiffré à quelque 6,6 mille milliards de nos francs. Tenez : rien que pour le premier match (1-0) face au Maroc, 115 000 dollars ont été versés aux 23 sélectionnés de la RDC, d’après l’arithmétique du 3ème vice-président de la FECOFA.

Quid du coach Florent Ibenge et ses collaborateurs du staff technique ? Rien à signaler. L’on s’imagine toutefois qu’ils devraient être logés à la même enseigne, sinon percevoir un peu plus, d’autant plus que le salaire mensuel de l’entraîneur national est officiellement de 18 000 dollars. « Le sport, c’est du divertissement ! Pour avoir joué 90 minutes, peut-être moins, l’on vous donne 5 000 dollars d’un trait. Alors que ceux qui traitent les dossiers sensibles de l’État au ministère des Affaires étrangères, quémandent leurs primes depuis 5 ans ! », tempête Mme Bijou, fonctionnaire à ce ministère. « Des médecins qui ont la vie et la mort des gens au bout du bistouri, ont en vain battu le pavé pour la révision à la hausse de leur revenu cristallisé à moins de 600 dollars », déplore ce jeune médecin à l’Hôpital général de Kinshasa.

Des primes sur base caisse. 

Experts du ministère des Sports, des Finances et du Budget avaient pourtant convenu, selon un document disponible au ministère du Budget, d’établir les primes des Léopards à un niveau qui ne dérogerait au principe sacro-saint cher au gouvernement (Matata) de « dépenses sur base caisse ». En termes clairs, des sorties de fonds qui ne soient pas susceptibles d’éroder les caisses du Trésor public et de déstabiliser la stabilité du cadre macroéconomique. Les primes et les collations sont en effet établies suivant la compétition et le niveau de qualification, lit-on dans la circulaire précitée. Elles sont fixées comme suit : pour les compétitions de niveau inférieur se déroulant au pays, 174 000 FC ; et à l’étranger 400 dollars. Pour les compétitions de niveau supérieur ou avec qualification, 580 000 FC pour le match at home, et 800 dollars à l’étranger.

Pour les membres du staff technique, la collation est de 600 dollars. À la FECOFA, la question des primes des Léopards relève du secret d’État, à considérer les réactions de son président, Constant Omari, à ce propos. Le secrétaire général du ministère des Sports, Barthélemy Okito, s’en est même offusqué, estimant qu’il n’y a rien à cacher à ce sujet. Commentaire de la presse, il est plausible d’avoir les statistiques des recettes de l’Agence nationale des renseignements (ANR) que celles de la Fédération nationale de football association.

En 2013, le président de la fédération, Constant Omari, avait publiquement refusé de divulguer à la presse la nature de l’apport de la firme Orange au onze national, les Léopards. En septembre 2014, le « très sérieux » Kabulo Mwana Kabulo, a fustigé le fait que certains joueurs de l’équipe nationale de football ont été floués par la FECOFA, lors de la paie de leurs primes au terme de deux premiers matches de la phase qualificative de la CAN 2015 joués à Lubumbashi.

Puis, plusieurs mois après la CAN 2015, Matata Ponyo a levé à son tour le ton contre la FECOFA qui n’a pas reversé au Trésor public la quote-part de l’État sur les centaines de milliers de dollars perçus par les Léopards auprès de la Confédération africaine de football (CAF), au terme de la campagne équato-guinéenne.

Selon nos sources, la bisbille entre le gouvernement et la FECOFA a porté sur une bagatelle somme de 750 000 dollars. Le sport doit rapporter à l’État des revenus substantiels à la dimension de son évolution financière, avait laissé entendre l’alors Premier ministre. Depuis 2015, le gouvernement recommande au ministère des Sports d’instaurer cinq nouveaux faits générateurs de recettes portant essentiellement sur le football. Hélas ! Rien n’est venu. Se fondant sur les directives de la Fédération internationale de football qui interdisent aux gouvernements de s’immiscer dans la gestion de leurs fédérations, les dirigeants de la FECOFA s’estiment comme jouissant d’une immunité diplomatique les dérogeant de tout contrôle.

Denis Kambayi, ministre  des Sports dans le dernier cabinet Matata, a dit aussi son ras-le-bol sur la confusion entretenue par la FECOFA sur la clé de répartition des recettes des rencontres du championnat national, LINAFOOT. Et pourtant, « le ministère des Sports, lit-on dans un rapport du ministère du Budget sous seing de l’ancien ministre Michel Bongongo, devra également évaluer de manière claire les droits et revenus provenant des organismes internationaux tels que la FIFA… afin de les retracer dans le budget de l’État. De même que la quotité revenant à la FECOFA doit également être retracée au titre de compte spécial pour son inscription au budget ». La circulaire n°002/VPM/MIN.BUDGET/2014 du 19 juin 2014 contenant les instructions relatives à l’élaboration de la loi de finances de l’exercice 2015 fait également obligation au ministre des Sports de mentionner le produit des transferts internationaux d’athlètes afin de permettre à la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations (DGRAD) de capter la quotité sur les transferts et les autres taxes y afférentes et à la Direction générale des impôts (DGI) de saisir l’impôt sur le bénéfice et les profits.

Il y a encore quelques mois, un agent de la DGRAD, venu faire le compte des recettes lors de différentes rencontres sportives, a été sauvagement éconduit de l’enceinte du stade des Martyrs par des agents identifiés comme de la FECOFA.