La tension est encore vive chez le transporteur multimodal public, sur le boulevard du 30 Juin. Les syndicats posent des préalables à toute forme de cession de la gestion de tout ou d’une partie de son patrimoine.
Que va-t-il se passer, après le 9 novembre, date butoir pour les soumissionnaires à l’appel d’offres sur la gestion des ports de Matadi et Boma, ainsi que du chemin de fer Kinshasa-Matadi ? Les syndicalistes de la Société commerciale des transports et des ports (SCTP), gestionnaire de ces infrastructures, promettent du grabuge. Depuis qu’ils ont été engagés, le 22 octobre, les pourparlers avec le gouvernement achoppent. Le banc syndical campe sur sa position : le retrait pur et simple de l’avis d’appel d’offre, lancé le 7 octobre. Par contre, le gouvernement inscrit sa démarche dans le cadre de la réforme des entreprises publiques en vue d’accroître l’efficience de la SCTP. Non seulement les représentants des travailleurs qualifient d’« illégale » la décision du gouvernement, mais ils protestent énergiquement contre le transfert aux privés du droit exclusif d’exploitation des ports de Boma, de Matadi et du chemin de fer Kinshasa-Matadi reconnu à la SCTP, qui a été créée sur les cendres de l’Office national des transports (ONATRA).
Une affaire de bifteck
L’option de concession levée par l’éxécutif n’est pas du goût des agents de la SCTP. D’après eux, le département des ports maritimes est actuellement la vache à lait de cette entreprise. « Le gouvernement veut nous arracher le bifteck de la bouche. On ne l’acceptera pas », râle un syndicaliste, très remonté. Le Comité de pilotage de la réforme des entreprises du portefeuille de l’État (COPIREP) en charge du dossier, est devenu la cible des attaques des agents de la SCTP. Un dialogue des sourds semble s’installer entre ces derniers et le gouvernement. Pourtant, plusieurs rapports, notamment celui de la Banque mondiale publié en septembre, indiquent que les entreprises publiques sont devenues un fardeau pour les finances publiques et un obstacle au développement économique. D’où la mise en place de procédures de cession, à travers, notamment, le partenariat public-privé.
Des arguments de droit
À en croire les délégués syndicaux, il y a vice de procédure dans la démarche de l’État. D’après eux, la loi portant dispositions générales relatives au désengagement de l’État des entreprises publiques stipule que la réforme de celles-ci se fait à travers les organes statutaires de l’entreprise concernée. Par ailleurs, ils n’ont pas été consultés. Enfin, dans le rapport sur lequel le gouvernement s’est fondé pour motiver sa décision, les actifs de la SCPT ont été sous-évalués. Par exemple, soutiennent les délégués syndicaux, les données sur les actifs immobilisés publiées dans l’avis d’appel d’offres ne sont pas fiables, parce que n’ayant pas été inventoriés normalement pour permettre de fixer le capital réel de l’entreprise. Ce rapport, insistent-ils, ne prend pas en compte les droits des travailleurs. « La SCTP n’est pas un canard boiteux, comme certains rapports fantaisistes le soulignent. Nous avons les moyens de redresser notre entreprise en vue de lui permettre de bien fonctionner. La mise en concession intégrée que le COPIREP envisage pour notre société est un danger pour le pays », fait remarquer Lambert Osango, président de la délégation syndicale. À ses yeux, il y a des préalables au processus de privatisation, notamment le redressement de l’entreprise. « Il est prévu dans le cadre de la réforme que l’entreprise soit d’abord stabilisée », explique-t-il.
Quid de la redevance logistique terrestre ?
Autre question qui fâche : la redevance logistique terrestre grâce à laquelle la SCPT a encaissé environ 40 millions de dollars ces trois dernières années. « Que fait-on de cet argent qui devrait, en principe, aider à résoudre les difficultés de l’entreprise ? », s’interroge un syndicaliste. Cette taxe avait été instituée à l’époque de l’ex-ONATRA pour financer les travaux de modernisation des infrastructures et l’acquisition de matériel. Le constat est amer : selon les syndicalistes, une grue coûte en location 83 000 dollars par mois à la SCPT, alors que son prix d’achat est de quelque 300 000 dollars. En outre, ils fustigent également le fait que 10 millions de dollars provenant de cette redevance soient placés dans la nouvelle compagnie aérienne, Congo Airways. Ils dénoncent aussi le fait que le gouvernement ait soutiré de la même cagnotte 10 autres millions de dollars pour financer l’achat de wagons et de voitures pour le compte de la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC).
Les syndicalistes font leur la recommandation du cabinet international Canadian Pacific Consulting Services (CPCS) recruté par le COPIREP pour réaliser l’étude de mise en œuvre du partenariat public-privé.
En guise de recommandation, le CPCS a levé l’option d’un moratoire de trois ans. « Ce délai nous paraît nécessaire pour la remise à niveau des infrastructures d’exploitation de la SCTP. Les travailleurs demandent que ce moratoire soit respecté de manière à permettre à l’entreprise de mettre en application son plan d’urgence avec le comité de gestion en poste et de procéder à l’évaluation au bout de trois ans. L’exécution de ce plan requiert 40 millions de dollars et cet argent nous l’avons grâce à la redevance logistique terrestre. Donc, nous pouvons, nous-mêmes, redresser notre société avec cet argent », explique le président de la délégation syndicale.
État de grâce pour le comité de gestion
Le comité de gestion qui a pris les rênes de l’entreprise en mars 2015 semble avoir les faveurs des syndicalistes. Depuis son avènement, l’entreprise réalise entre 10 et 11 millions de dollars par mois, grâce essentiellement aux activités portuaires à Matadi. La reprise du trafic ferroviaire, grâce au Train Express, a permis d’engranger cinq millions de dollars. Pour consolider ce trafic, l’entreprise a d’abord besoin de 40 millions de dollars. La SCPT compte actuellement cinq locomotives en bon état ; d’autres sont en réparation dans ses ateliers grâce aux pièces de rechange importées.