Alors que se tenait dans la capitale de la République démocratique du Congo la 4è édition de la Semaine française de Kinshasa et les journées d’échange organisées par l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), l’Union africaine (UA) célébrait ses 54 ans d’existence tandis que le Groupe de la Banque africaine de développement (BAD) venait de tenir les Assemblées annuelles BAD/FAD). Apparemment, ces événements… sans lien direct entre eux, ont en réalité abordé la problématique de l’investissement, direct ou indirect, de l’étranger pour le développement de l’Afrique.
L’argent peut-il résoudre le problème du développement de l’Afrique en général, et de la RDC en particulier ?
La question est reposée parce qu’elle a toujours été posée. Et les avis ont souvent été partagés, voire en confrontation. Aujourd’hui, il n’est plus question de chercher à connaître le sexe des anges comme dans le vieux débat oui ou non. Mais la préoccupation au cœur du débat actuel est la remise en question du paradigme même du développement de l’Afrique. Les jeunes voudraient qu’il y ait désormais un vrai débat, une cinquantaine d’années après les indépendances en cascade de la majorité des pays africains.
Ils sont nombreux à penser que le problème en Afrique n’a jamais été le manque d’argent, mais plutôt « l’incapacité à exploiter l’esprit inventif des Africains ».
Selon les projections de la BAD, avec une population active qui devrait augmenter de 910 millions entre 2010 et 2050, la création d’emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité reste un défi majeur pour les décideurs africains. « La clé d’un développement réussi en Afrique est de nourrir la culture naissante de l’entreprenariat…, une voie à même de libérer cette créativité débordante et de transformer les opportunités en réussites phénoménales », pose le directeur du Bureau régional pour l’Afrique du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Abdoulaye Mar Dieye.
Par exemple, un cultivateur de café ou de bananes dans un village rural d’Afrique devrait avoir le pouvoir et le choix de déterminer sa priorité de dépense. Une marge que ne lui laisse pas une subvention ou un prêt car, dans ces cas-ci, son choix serait limité à ce que le donateur voit comme une priorité. Sur environ le milliard d’Africains dans 54 États, il y a les innovateurs et les entrepreneurs qui, s’ils sont récompensés par le marché, se pencheront sur les défis auxquels fait face le continent. Si l’argent était vraiment la clé pour résoudre les problèmes, James Shikwati, le fondateur et directeur d’Inter Region Economic Network, pense que les banques enverraient carrément, dans ce cas, des agents dans les rues pour fournir de l’argent aux personnes dans le besoin. « Mais les banques ne peuvent offrir de l’argent qu’à des personnes qui ont réussi à traduire leurs problèmes en opportunités. », souligne-t-il. Une aide britannique de 7 millions de dollars à 228 éleveurs de Samburu au Kenya en 2002, poursuit-il, ne les a pas empêchés de se transformer en pauvres cinq plus tard.
L’argent, résultat et non préalable
D’après lui, l’argent en soi est neutre. « Des montants importants d’argent considérés comme du capital, argumente-t-il, ont conduit les stratèges (qui dépeignent l’Afrique comme prise au piège dans un cycle de pauvreté) à plaider en faveur de flux massifs de capitaux comme le seul moyen de sortir de la pauvreté. » Au contraire, explique James Shikwati, voir l’argent comme le résultat d’une création de valeur, un effet résultant de l’échange entre différentes parties, offre une occasion de traduire les problèmes africains en opportunités.
Comme Lord Peter Bauer l’a très bien fait remarquer : « l’argent est le résultat de la réussite économique et non pas une condition préalable. » Comment les Africains peuvent-ils s’engager dans des activités qui mèneront à la réussite économique?
Il semble que le moment est venu de « recycler » la mentalité de la population africaine de moins de 20 ans afin de transformer les problèmes de l’Afrique en opportunités. En Afrique aujourd’hui, et plus particulièrement en RDC, il y a des occasions d’affaires pour nourrir des centaines de millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire. La Semaine française de Kinshasa a montré que la RDC est une « terre d’agribusiness ». Un secteur à même de créer des milliers d’emplois et de richesse grâce à sa chaîne de valeurs. Point n’est besoin de dire que l’Afrique a un capital énorme sous forme de ressources naturelles qui comprennent le pétrole, l’énergie hydroélectrique, les diamants, l’uranium, l’or, le cobalt, 70 % du coltan du monde et 34 % de sa cassitérite. Le coltan et la cassitérite sont stratégiques dans la production de téléphones cellulaires, d’ordinateurs portables et autres produits électroniques.
Mettre l’accent sur la créativité
Si les Africains employaient le pouvoir de la raison, l’industrie mondiale des téléphones portables qui débite 25 téléphones cellulaires par seconde donnerait une énorme source de revenus pour les pays respectifs; élargissant ainsi leurs choix possibles. Mettre l’accent sur l’esprit humain africain comme capital permettra de traduire les ressources en richesses, contribuant ainsi à résoudre les problèmes de l’Afrique. Comme James Shikwati, bien des observateurs pensent que l’utilité et la valeur de l’argent ne seront générées que par des réponses rationnelles aux défis qui interpellent le continent à travers l’échange de produits et de services au niveau du village, au niveau national, continental et international.
Quelque chose ne va pas avec les concepts de développement. Le professeur James Tooley est d’avis que l’argent peut résoudre le problème de développement de l’Afrique. Mais seulement s’il vient sous forme d’investissement. « L’Afrique n’a pas besoin d’une aide des gouvernements et des organismes internationaux. », déclare-t-il. L’aide au développement a notablement échoué à éliminer la pauvreté, poursuit-il. D’après lui, la « philanthropie » ne devrait avoir qu’un rôle limité – pour les secours aux sinistrés – et assister les décideurs politiques à promouvoir la bonne gouvernance, l’état de droit et les droits de propriété. « Ce dont l’Afrique a besoin pour surmonter ses problèmes est identique au besoin de n’importe quelle autre région ou pays: des entreprises florissantes qui fournissent des emplois et créent de la richesse. »
Un secteur privé dynamique
L’existence d’un secteur privé en plein essor révèle la manière dont des grosses sommes d’argent – en fait, même des petites sommes d’argent – pourraient aider à résoudre les problèmes de l’Afrique si cet argent était canalisé vers des investissements plutôt que sous forme d’aide. Le professeur James Tooley illustre son propos par l’exemple des parents pauvres : « Ils ne veulent pas des écoles publiques où les enseignants ne se présentent pas ou, s’ils le font, n’enseignent pas. Ils veulent des écoles privées, où les enseignants sont responsables devant les parents par le biais du directeur de l’école. »
Ce progrès entrepreneurial dans l’enseignement privé a ouvert une nouvelle frontière créative pour les investisseurs cherchant à contribuer à l’amélioration de la qualité de l’éducation en Afrique. Par exemple, Orient Global a créé son Fonds Éducatif de 100 millions de dollars, qui investit dans des projets d’enseignement privé dans les pays en développement, y compris la recherche et le développement pour une chaîne d’écoles à bas coût. Opportunity International a ouvert un programme Microschools of Opporunity (micro-école de l’opportunité) pour financer des prêts de quelques milliers de dollars ou moins, aux taux d’intérêt commerciaux, pour aider les entrepreneurs en éducation à construire des latrines, à rénover des salles de classe, ou acheter des terres.
Dans le passé, les organismes d’aide ont littéralement jeté des milliards par les fenêtres pour essayer de faire en sorte que les écoles améliorent leurs programmes d’études ou d’enseignement. Ces interventions ne sont pas durables et s’effacent dès que les experts financés par des donateurs s’en vont. Les équipements comme les ordinateurs se retrouvent souvent dans les maisons des responsables politiques ou scolaires, pas à l’école pour laquelle ils sont destinés.