Trois mots sur la Toile (que nous tairons volontairement) suffisent aux internautes pour visionner des centaines de vidéos d’enfants, sur Youtube. Des vidéos de fillettes pour la plupart. Qui s’adressent à des amies via leur webcam et sont à mille lieues d’imaginer que de l’autre côté de l’écran, des milliers d’adultes les regardent ensuite. Car si les images sont anodines, elles sont abondamment consultées par des prédateurs sexuels. Sur les vidéos, on voit donc des enfants allongés sur leur lit, s’amuser avec des jouets, danser, chanter, faire de la gymnastique ou d’autres activités banales. Les jeunes protagonistes portent un simple pyjama, un tee-shirt ou un débardeur. Rien d’exceptionnel. Pourtant, les vidéos atteignent des centaines de milliers de vues, parfois même plus d’un ou deux millions. Et sont accompagnées de commentaires qui ne laissent aucun doute sur la perversion sexuelle de ceux qui en sont les auteurs.
La partie émergée de l’iceberg
C’est d’abord la chaîne Youtube américaine Realy Graceful qui a alerté sur un « réseau de pédophiles » après avoir vu ces vidéos aux millions de vues. En réalité, il ne semble pas qu’un véritable réseau existe, mais plutôt que les prédateurs « savent où chercher », comme l’indique « le Roi des rats », le Youtubeur qui a alerté sur ce phénomène en France. Après avoir hésité à aborder le sujet, il a publié deux vidéos sur sa chaîne, destinées à encourager à signaler ces types de contenus et dresse même une liste des vidéos ou playlists suspectes pour faciliter les dénonciations. Car les nombreuses vidéos que l’on trouve avec les trois mots clés, dans toutes langues, ne sont que la partie visible de l’iceberg. D’autres vidéos attirent le même type de commentaires pédophiles et sont plus difficiles à trouver. Elles n’ont pas de nom de code particulier, mais toujours autant de vues, ce qui met une fois de plus en exergue la capacité des prédateurs sexuels à les retrouver dans l’immensité d’Internet.
On trouve également des « playlists ». Certaines chaînes s’apparentent à des sites web dédiés aux vidéos d’enfants. Repérées par le « Roi des rats », elles proposaient plusieurs catégories et des liens vers d’autres sites proposant des images d’adolescent(e)s en sous-vêtements. Elles ont été supprimées mais devraient réapparaître sans difficulté sous un autre nom. D’autres profils anonymes, sans photo ni description, « aiment », « sauvegardent » et « compilent » ces vidéos, souvent publiées par les enfants eux-mêmes. Dans certains cas, ce sont les parents eux-mêmes qui postent les vidéos et ne se rendent compte qu’après-coup de la récupération qui en est faite. Une mère confiait au magazine britannique New Statesman avoir dû supprimer ses vidéos mettant en scène son enfant après en avoir retrouvé certaines sur des sites pédopornographiques.
Si les vidéos monétisées permettent un suivi pour savoir si elles sont reprises, ce n’est pas le cas pour les autres. Un porte-parole de Youtube nous explique compter sur les signalements de la « communauté ». Pour l’hébergeur, la problématique c’est « lorsque la vidéo n’est pas choquante, mais qu’elle génère une activité suspecte anormale ». Dans ce genre de cas, la société acquise par Google en 2006 en appelle là encore aux signalements, mais cette fois sur les comptes ayant posté les commentaires et les playlists. YouTube assure signaler ces cas aux autorités. Et rappelle également qu’il est possible de mettre en « privé » les vidéos pour ne pas qu’elles tombent entre de mauvaises mains.
Les autorités à la peine
Depuis les publications du « Roi des rats », de nombreuses vidéos ont été supprimées, mais éradiquer le phénomène représente « un travail de titan vu la quantité de vidéos qui sont publiées chaque jour », estime le Youtubeur. Selon lui, le travail doit se faire en amont avec un durcissement des règles autour de l’utilisation de Youtube par les enfants. En théorie, le règlement de la société américaine interdit d’ouvrir un compte et de publier des vidéos à toutes personnes de moins de 13 ans. En France, la police et la gendarmerie ont des unités qui luttent contre la cybercriminalité et traquent notamment les prédateurs sexuels. Mais face à des pédophiles qui sont à l’étranger ils sont bien démunis. Par ailleurs, dans les cas que nous citons, les contenus visionnés ne sont pas interdits par la loi : les enfants ne sont pas nus, personne ne se livre à un acte répréhensible… Les prédateurs sexuels ont donc trouvé le moyen d’assouvir leurs fantasmes sans la moindre conséquence pénale.
Les forces de l’ordre peuvent en revanche par ce biais les repérer et enquêter de manière plus approfondie afin d’envisager d’éventuelles sanctions. L’association E-enfance, spécialisée dans la prévention auprès des enfants et parents sur Internet, n’était pas au courant de ces types de comportements. Mais la menace de voir des images, peu importe le contenu, sortir de la sphère privée est bien connue. C’est l’un des axes développés par l’association lors de ses interventions dans les écoles. En attendant, les pédophiles peuvent donc encore consulter des milliers de vidéos d’enfants, en toute légalité…