C’était aux Jeux olympiques d’Anvers, en 1920, à une époque où la Coupe du monde de la FIFA n’existait pas encore, et où les JO faisaient office de principale compétition internationale. Et ceux-ci sont un événement, comme le relate dans un style d’époque le quotidien sportif L’Auto, l’ancêtre de L’Équipe: « Le tournoi de football association est, il est vrai, unique, au point de vue compétition. Il [a] réuni les engagements des quinze meilleures équipes du monde, représentant tous les pays qui pratiquent ce sport. Jamais un tel lot de soccers ne s’était réuni dans un même tournoi. »
Pour la première fois, une formation africaine, l’Égypte, vient se greffer aux sélections du Vieux Continent. De quoi faire de cette joute olympique le premier tournoi à la dimension internationale, et non plus seulement européenne. Et la Belgique, directement qualifiée pour les quarts de finale en tant que pays hôte, va y briller.
Les Bleus sortis par les ogres tchécoslovaques
Plusieurs rencontres du premier tour se concluent sur un score-fleuve (9-0 pour la Suède contre la Grèce, 7-0 pour la Tchécoslovaquie contre la Yougoslavie). « Mais c’est l’élimination surprise du Royaume-Uni qui fait les gros titres des journaux », souligne la notice historique de la FIFA. Première équipe professionnelle, doubles tenants du titre, inventeurs du sport et tenanciers du règlement, les Britanniques sont sortis par la Norvège (1-3).
En cette année 1920, pour les septièmes JO de l’ère moderne et les premiers de l’après-guerre, les règles du « football association » (par opposition au « football rugby ») sont plus rustres qu’aujourd’hui. Un joueur blessé n’a, par exemple, pas le droit d’être remplacé ; les cartons jaunes et rouges n’existent pas encore ; et cela ne fait que huit ans que les gardiens de but n’ont plus le droit de prendre le ballon à la main en dehors de leur surface. En revanche, depuis la réforme de 1891, une faute dans la zone du gardien est punie d’un « coup de pied de la mort », ou penalty, que le joueur doit désormais frapper depuis un rond dessiné, et non plus d’où il le souhaite à onze mètres du but.
En quarts de finale, trois coups de pied de la mort sont accordés. Un aux Pays-Bas, victorieux 5-4 de la Suède dans « une partie émotionnante au possible et splendidement jouée », dixit l’ancêtre de L’Équipe. Un à l’Italie, défaite 1-3 par la France. Et un pour l’Espagne, éliminée « au milieu des acclamations du public anversois », relève L’Auto, par la Belgique locale, qui envoyait son ambiance musicale. Les ogres tchécoslovaques et « leurs shots très secs », eux, terrassent la Norvège 4-0 et sont désormais favoris.
Les demi-finales sont une désillusion pour des Bleus qui, après une bonne entame, s’éteignent et se font sortir 4-1 par les redoutables Tchécoslovaques. Mais pas pour la Belgique. Sur un terrain rendu glissant par une pluie continue, les Diables rouges se défont 3 à 0 des voisins néerlandais, devant une foule en liesse. « Le coup de sifflet final avait à peine retenti, relate L’Auto, que les spectateurs envahissaient le terrain et portaient les joueurs belges en triomphe aux accents d’une vigoureuse Brabançonne, chantée par des milliers de poitrines ». Mais l’histoire reste encore à écrire.
Une finale chaotique
Le 2 septembre à 16 h 30 au Stadium d’Anvers, devant 30 000 supporteurs acquis à leur cause, sans stadiers ni grillage pour les séparer du terrain, les Diables rouges défient les favoris de la compétition pour leur seconde participation seulement au tournoi international des JO. Dans une ambiance bouillante, la Belgique résiste héroïquement aux premiers assauts adverses, et sur un contre éclair à la 6e minute, c’est de la main qu’un défenseur slave stoppe la frappe du demi-centre belge, Mathieu Bragard. L’avant-centre Robert Coppée, déjà auteur d’un triplé en quarts de finale, transforme le coup de pied de la mort. 1-0 : la route de l’exploit est tracée.
Dès lors, les Diables rouges développent un jeu de plus en plus rapide. « Le onze belge se montra splendide de bout en bout, triomphant et par la vitesse et par la rapide et lucide conception de son jeu et par l’efficacité de ses shots imparables », s’enflamme L’Auto. Les Tchèques, eux, s’impatientent et protestent régulièrement auprès de l’arbitre anglais, M. Lewis. Le quotidien sportif évoque des Slaves vexés, énervés, menaçant d’abandonner.
À la 30e minute, la Belgique double le score d’une frappe bien placée de l’attaquant Henri Larnoe. Les Tchécoslovaques fulminent et perdent leur nerf. L’arrière gauche des visiteurs, Steiner, cogne un joueur belge au bas-ventre. L’arbitre l’expulse pour « brutalité » – le carton rouge n’existe pas encore, mais ce n’est pas pour autant que la boxe anglaise est tolérée en compétition. La partie devient folle, relate L’Auto : « Les Tchèques prirent fait et cause pour leur joueur et une bagarre s’ensuivit. Le public envahit alors le terrain et s’apprêtait à faire un mauvais parti aux Tchèques, lorsque la gendarmerie intervint. Les joueurs tchèques sortirent sous sa protection. »
Après de longs moments de flottement, l’arbitre anglais décrète la partie terminée et les Belges champions. La France, dont les joueurs sont déjà repartis chez eux, ne prend pas part au match de classement, au contraire de l’Espagne. La Roja bat les Pays-Bas en petite finale et hérite de la médaille d’argent après la disqualification de la Tchécoslovaquie. La Belgique est championne olympique et tenante du titre de l’unique grande compétition mondiale de football alors existante.
Titre non reconnu par la FIFA
Près d’un siècle plus tard, faut-il considérer cette victoire comme l’équivalent d’une Coupe du monde, et accorder à la Belgique une étoile honorifique au-dessus de son écusson ? Pour certains observateurs belges, comme le quotidien Le Vifou, le think tank sur le football, Die Witte Duivel, il ne fait aucun doute que cette reconnaissance leur est bel et bien due : « La Belgique a été championne olympique en 1920 aux Jeux d’Anvers. C’était la première fois que le tournoi se jouait avec quinze équipes, dont un pays non européen. La presse internationale avait alors écrit : “ les Diables rouges sont la meilleure équipe du monde’’. »
Les Belges savent qu’il existe un précédent qui joue en leur faveur. Pour les éditions 1924 et 1928 remportées par l’Uruguay, la FIFA a accepté que la Celeste arbore deux étoiles supplémentaires, en plus de ses Coupes du monde 1930 et 1950, estimant à propos de cette joute olympique qu’il s’agit d’un « tournoi ayant à l’époque valeur de championnat du monde ». Un privilège dont aimeraient bénéficier aussi les Belges. Mais la FIFA ne l’entend pas de cette oreille. Certes, la Fédération internationale reconnaît qu’avec ces JO 1920, « lentement mais sûrement, le tournoi de football se développe ».
Mais ce n’est qu’à l’issue de celui-ci que sera élu à la tête de la FIFA Jules Rimet, le Français, à l’initiative de la naissance de la Coupe du monde, dont le trophée porte le nom. Comme le relate Slate, un document officiel depuis retiré du site de la puissante Fédération internationale précise que les JO précédents 1924 ne sont pas concernés : « La FIFA a accepté lors du Congrès de 1924 d’assumer la responsabilité de l’organisation des tournois olympiques de football en ratifiant la proposition suivante : “À condition que les tournois olympiques de football se déroulent selon les règles de la FIFA, cette dernière reconnaît le tournoi comme un championnat du monde de football.” »
Le tournoi de 1920 n’est pas dans ce cas, et avec sa finale chaotique, il ne rentre particulièrement pas dans les canons d’une compétition encadrée par la FIFA. Cela ne signifie pas que les Diables rouges ne pourront jamais se floquer une étoile au maillot. Mais pour cela, il leur faudra plutôt remporter la Coupe du monde 2018, pour laquelle ils sont encore en lice (ndlr : jusqu’en demi-finale).