LE MOINS que l’on puisse dire est que la facture de consommation d’eau du mois de mai est salée pour les uns et presque rien à payer pour d’autres. C’est le grincement des dents : pourquoi deux poids deux mesures, s’interroge-t-on dans les quartiers ? Antoine Mb, avocat, habite Lemba. Au mois de février dernier, avant la mesure de gratuité de consommation d’eau et d’électricité, sa facture indiquait ceci : ancien index (15, le 01/02/2020) et nouvel index (30, le 01/03/2020). Consommation en m3 : 15. Montant à payer en FC sur la facture émise le 09/03/2020 : 12 996,07. Après la mesure de gratuité, sa facture est ainsi libellée : ancien index (60, le 01/05/2020) et nouvel index (112, le 01/06/2020). Consommation en m3 : 52. Montant à payer en FC sur la facture émise le 15/06/2020 : 65 840,47.
Antoine Mb. n’a vu que du rouge. Quand il se présente au bureau de réclamation de l’agence de Regideso de Lemba Super, Antoine Mb. est tout simplement éconduit. Pourtant, cet avocat a voulu tout simplement savoir : « Comment un ménage dont la consommation moyenne est de 15-20 m3 par mois est sommée de payer 65 840,47 FC pour 52 m3 ? », râle-t-il, lui qui n’aura aucune explication des agents de la Regideso. « De moi-même, j’ai compris que la Regideso m’a fait payer trois mois de consommation d’eau. En effet, pendant la période de mars à début juin, on a vu aucun agent de la Regideso passer prélever l’index. Mais pourquoi ? Est-ce que le gouvernement n’a pas honoré son engagement vis-à-vis de la Regideso et de la Société nationale d’électricité ? », demande-t-il à comprendre.
Le cas de cet avocat est loin d’être un cas isolé. Les réclamations abondent dans les agences de la Regideso. Partout, la facture est largement au-dessus du niveau des moyens du citoyen lambda. Marie M., habitant Matete, a été facturée 10 000 FC en février, et au mois de mai, elle doit payer 22 000 FC. Dans les quartiers huppés de Kinshasa : Gombe, Ngaliema, etc., on crie à l’escroquerie. Partout, on se plaint que les factures sont passées du simple au triple voire au quadruple, à la grande stupéfaction des ménages, déjà meurtris par les restrictions dues à la pandémie de Covid-19.
Sauf dans les quartiers à revenus bas et où l’eau ne coule au robinet que de manière sporadique. Et toutes les raisons sont bonnes pour en demander plus aux clients alors que le service rendu n’est nullement à la hauteur de ce qu’on paie pour ce service. Ici, payer ce que vous consommer n’est jamais la règle d’or. Les abonnés sont à la merci des fournisseurs d’eau et d’électricité. Par ailleurs, la population se demande si cela ne serait pas une façon pour la Regideso et même la Société nationale d’électricité (SNEL) de récupérer les sommes dues à la gratuité parce que l’État a promis mais n’a pas réalisé. « Alors que cette mesure a été prise par le gouvernement pour alléger les dépenses courantes des ménages, voilà que la Regideso en rajoute », rumine sa colère, Siméon U.
Société en faillite
D’une manière générale, les clients de la Regideso sont les industriels, les commerçants et les ménages. Selon des sources, l’entreprise ne produit 300 000 m3 en plein régime pour des besoins estimés à 600 000 m3. Par rapport à la facturation, la consommation domestique par habitant varie considérablement selon la localisation. La Regideso se plaint souvent de la faiblesse de la consommation domestique (27 l/j/hab) par rapport à la production (65 l/j/hab), en raison notamment des fuites du réseau. Par ailleurs, le recouvrement est très faible. En effet, la moitié des compteurs sont hors de service (facturation au forfait) et une partie importante de la population refuse de payer les factures.
Pour compenser le manque à gagner, la Regideso avait demandé un forfait mensuel de 26 millions de dollars. Les ménages retiennent leur souffle car la SNEL qui détient encore le monopole de la desserte en électricité, n’a pas encore distribué ses factures pour le mois de mai. La défaillance de la Regideso dans la distribution de l’eau et aussi de la SNEL dans la fourniture de l’électricité conduit à l’installation des réseaux locaux alimentés par des forages plus efficaces et moins coûteux ou par des mini-centrales hydroélectriques ou d’énergie solaire. Pour nombre de ménages à Kinshasa, il y a longtemps que la SNEL et la Regideso ne devaient plus exister. La population en a vraiment marre. D’où il faut, pense-t-on, les dissoudre pour laisser la place aux privés pour la sortir du calvaire que lui imposent ces deux sociétés publiques.
C’est plutôt du côté du gouvernement qu’il faut aller voir si l’on veut des explications, se défendent des agents, souvent pris à partie. « C’est l’État qui nous impose les indices de tarification calculés on ne sait sur quelles bases. Tout ce que l’on sait, c’est que les tarifs appliqués suivent l’évolution du taux de change », renseigne un commis au service de gestion des abonnés dans cette agence de Regideso de Lemba Super. « La tarification, elle, change, mais le service rendu n’a pas changé. Au contraire, il est de plus en plus médiocre. On ne maugréerait pas, en payant le prix le plus fort, si le service rendu était de qualité », déclare un autre abonné, courroucé.
La majorité des abonnés domestiques de la Regideso, et aussi de la SNEL, est constituée des retraités, fonctionnaires et agents de l’État. Ceux-ci se demandent légitimement où vont alors les centaines de millions de francs que les agences de perception brassent à longueur de journées. À voir comment ces deux sociétés publiques sont managées, tout porte à croire qu’elles ne vont pas survivre au nouvel environnement. Sinon qu’elles seront contraintes d’améliorer absolument leurs conditions de travail qui laissent à désirer.