INAUGURÉE en 1971 comme entreprise publique mixte, la Cimenterie nationale (CINAT) de Kimpese dans le territoire de Songololo est à l’arrêt depuis une dizaine d’années. Ce lundi 22 juin, Julien Paluku Kahongya, le ministre de l’Industrie, a effectué une visite dans les installations de la CINAT. Et le constat qu’il en fait est que la relance de cette cimenterie est « possible et faisable ». Mais à quelles conditions, se demandent des experts. Dans cette partie du pays, trois concurrents de taille y opèrent déjà : PPC Barnet, Cimenterie du Kongo (CIMKO) et Nyumba ya Kiba. Sans oublier la Cimenterie de Lukala (CILU). Le gouvernement avait donné des assurances quant aux mesures d’accompagnement pour écouler leur production du ciment gris sur le marché local envahi par des produits d’importation.
Au cours de la séance de travail qu’il a eue avec le comité de gestion de la CINAT, Julien Paluku a insisté sur le programme XXL de 100 jours de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, auquel la CINAT devrait participer activement. Selon des sources du ministère du Portefeuille, la reprise des activités dans cette cimenterie était prévue à partir de 2017 dans le cadre des investissements sur fonds propres du gouvernement. Mais les crédits sollicités par les experts ont fait défaut. Curieusement, le gouvernement a préféré réhabiliter la CILU, une cimenterie privée en faillite depuis 2015.
Dans la tourmente
En 2019, lors de sa campagne électorale, Félix-Antoine Tshisekedi avait promis à la population de Kimpese la réhabilitation de la CINAT, le fleuron du coin. Maintenant qu’il est aux affaires, cette population lui réclame la réhabilitation de cette société publique, après pratiquement une dizaine d’années d’arrêt de production du ciment. Les travailleurs qui attendent impatiemment de reprendre du service, mettent en évidence l’opacité dans la gestion, à la base des déboires de l’entreprise.
En 2016, le ministère de l’Industrie avait ficelé un rapport complet en vue de la relance de la CINAT à partir de 2017. Avec une usine d’une capacité installée de 1 000 tonnes de ciment par jour, la CINAT n’est jamais vraiment arrivée à une production correspondant à sa capacité. En vérité, l’État l’a délaissée sans un réel plan d’investissement en équipements et infrastructures supplémentaires. Sans avoir une solution pour relancer la cimenterie, le gouvernement se réfugie alors derrière le schéma de partenariat public-privé. Sans succès.
C’est en 2012 que l’État décide d’ouvrir le capital de la CINAT aux investisseurs privés. Dix offres de prise de participation sont alors présélectionnées, et seules Pretoria Portland Cement (PPC) d’Afrique du Sud et Nova Cimengola, une entreprise angolaise, ont présenté des offres supérieures. Nova Cimengola voulait prendre 53 % des parts dans CINAT pour 40,6 millions de dollars, tandis que Pretoria Portland Cement voulait acquérir 58 % des actions de la CINAT mises en vente par le gouvernement pour 43,5 millions de dollars. Cependant, l’offre d’achat de l’entreprise sud-africaine était assortie de plusieurs conditions, dont le règlement par l’État de toutes les dettes (42 millions de dollars) de la CINAT. Et le gouvernement a semblé choisir l’offre angolaise.
Mais avant, en 2010, le français Lafarge était aussi intéressé par la reprise de la CINAT. Le premier producteur mondial de ciment lorgnait seulement 31 % des actions pour 45 millions de dollars, envisageait augmenter plus tard sa participation jusqu’à 73,3 % des actions. Pourtant, l’État tenait à garder absolument 41 % des actions et céder 10 % aux investisseurs nationaux. Dans les négociations, Lafarge se tourne vers les frères Rawji, qui détiennent les parts minoritaires (8 %). Le français leur propose alors 6,5 millions de dollars, mais ils en voulaient le double pour céder leurs actions. Lafarge s’est montré méticuleux lors des négociations : annuler des créances, garantie de la vérité de prix et des avantages fiscaux.
Un impératif
Dans la perspective de la reconstruction du pays, la réhabilitation de la CINAT devient un impératif pour répondre à la demande intérieure afin de résorber le déficit. Depuis l’échec des négociations sur la reprise de l’activité à Kimpese, les travailleurs continuent d’entretenir l’outil de production, comme ils peuvent, dans l’espoir de voir un repreneur lui redonner son prestige d’antan. L’usine n’a pas produit un sac de ciment depuis 2011. Les travailleurs sont donc impayés depuis, et vivent de la poudre de calcaire. La carrière se remplit d’eau en saison des pluies. Les pompes marchent toujours, le service technique a même imaginé un système de radeaux pour pallier certaines défaillances.
« Nous sommes conscients des problèmes de la Cimenterie nationale », a déclaré Julien Paluku. Une réunion est prévue avec le ministère du Portefeuille pour trouver les solutions possibles, a promis le ministre de l’Industrie. L’option de partenariat public-privé est toujours privilégiée.
Au début des années 2000, l’industrie locale du ciment en République démocratique du Congo était dans la tourmente. Victime de fraude organisée qui ruinait les efforts du gouvernement pour la production locale de meilleure qualité et à un prix extrêmement compétitif. Avec la faillite de la CINAT, la RDC avait connu une rareté qui a entraîné la hausse vertigineuse du prix du sac de ciment de 50 kg. Celui-ci s’est vendu jusqu’à 50 dollars.
Selon les chiffres officiels, le besoin en ciment gris en RDC était estimé à environ 4 millions de tonnes par an alors que la production locale annuelle ne dépassait pas 500 000 tonnes. Pour combler ce grand écart, plusieurs partenariats public-privé ont été signés pour l’importation des ciments turc, chinois et égyptien. Après les élections de 2006, le gouvernement avait décidé d’exonérer les importations de ciment gris pour soutenir le programme de construction des infrastructures connu sous l’appellation « 5 chantiers ». Mais certaines de ces entreprises bénéficiaires notamment chinoises en ont profité pour importer du ciment et le revendre carrément aux particuliers.
En 2015, en effet, l’exécutif avait conditionné l’importation du ciment gris en RDC par la détention d’un contrat-programme signé entre l’opérateur économique intéressé et le ministère de l’Économie nationale. Cette mesure avait été prise pour lutter contre la fraude sur les importations du ciment gris. Malgré que des cimenteries privées aient pris la relève, en l’occurrence, la CILU, CMKO, PPC en 2017, la production actuelle n’arrive toujours pas à satisfaire la demande intérieure. Mais, le prix du ciment à sensiblement baissé à Kinshasa où le sac de 50 kg se vend à environ 8 dollars.
En 2016, la Direction générale des douanes et accises (DGDA) avait imputé ses contreperformances notamment à la suspension de l’importation du ciment gris. L’apport de la CINAT et de la CILU dans le budget de l’État est nul. PPC Barnet et CIMKO, qui devraient produire en 2017, respectivement 1 million et 1,2 million de tonnes de ciment, ont sollicité des allègements fiscaux. Selon le rapport 2018 de la Banque centrale du Congo (BCC), le secteur secondaire, il connaîtrait une croissance moyenne de 8,3 % sur la période prévisionnelle. L’apport de ce secteur à la création des richesses croîtrait ainsi de 1,39 point en 2019 à 1,42 point en 2021, suite à la bonne tenue attendue au niveau de la branche BTP.
En effet, cette branche croîtrait, en moyenne annuelle, de 21,6 %, entraînant ainsi une forte augmentation de la production nationale de ciment à moyen terme, en relation avec la redynamisation des travaux de réhabilitation et de construction des infrastructures d’intérêt public. La valeur ajoutée de la branche a enregistré un accroissement de 22,4 % en 2018, contre 31,4 % en 2017. Cette évolution s’est traduite par la hausse de la production ainsi que de la consommation du ciment gris de 18,2 %, durant cette année.