Que peut encore faire la Banque centrale européenne?

Alors que la croissance de la zone euro subit de plein fouet les effets du confinement économique avec une baisse historique du PIB de 3,8 % au premier trimestre, la BCE est une nouvelle fois attendue au tournant pour soutenir l’économie du Vieux continent.

APRÈS des premières mesures vigoureuses et exceptionnelles annoncées en mars dernier, quelle est la marge de manœuvre de l’institution de Francfort? Rassurer encore et encore. La Banque centrale européenne (BCE) devrait une nouvelle fois s’attacher à démontrer qu’elle est bien présente et qu’elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour limiter la casse. Elle devrait ainsi se dire prête à aller plus loin, tout en exhortant les gouvernements à accoucher d’une réponse commune. Ce qui pour le moment n’est pas le cas, accentuant encore plus la pression sur ses épaules.

La carte du statu quo

De nombreux analystes pensent néanmoins qu’au-delà de ce discours interventioniste, dans les faits, elle s’alignera sur la dernière décision de la Réserve fédérale américaine (Fed), qui a laissé mercredi 29 avril sa politique monétaire inchangée. « L’exercice du jour pour la BCE va consister à faire preuve de pédagogie afin d’expliquer le dispositif enclenché depuis le début du mois de mars pour faire face à la crise et à laisser la porte ouverte à de nouvelles mesures, vraisemblablement annoncées en juin », commente à Reuters Christopher Dembik, le responsable de l’analyse macroéconomique chez Saxo Bank.

Il s’agit également pour la BCE de soutenir les mesures déployées par les gouvernements pour aider ménages et entreprises, qui vont créer une montagne de dette publique chiffrée à 1 000 milliards d’euros rien que pour l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne. Or « tant que le partage des risques » entre États européens sera « limité », les tensions « persisteront » sur les emprunts émis par des pays aux finances fragiles, comme l’Italie, souligne la banque Goldman Sachs. La BCE « discutera probablement d’une extension du programme d’achat d’urgence (PEPP) », estime donc Fritzi Köhler-Geib, cheffe économiste de la banque KfW à l’AFP.

Dégainé le 18 mars, ce bazooka inédit prévoit déjà de dépenser 750 milliards d’euros en dette publique et privée d’ici la fin de l’année. 

Goldman Sachs table sur un gonflement de volume « de 500 milliards d’euros », et s’attend même à une décision. 

D’autres économistes misent davantage sur le mois de juin, au moment où la BCE disposera de nouvelles prévisions économiques pour se décider.

Rachats de dette

La BCE pourrait aussi choisir d’augmenter les achats mensuels de dette dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif (QE) mené depuis 2015, au-delà des 120 milliards déjà ajoutés en mars, prévoit Eric Dor, le directeur de recherche à l’Institut d’économie scientifique et de gestion (IESEG). Alors que l’institution vient d’accepter comme garanties bancaires des obligations dégradées en catégorie « spéculative », couramment appelée « pourrie » (junk), une option serait d’intégrer ces titres aux programmes de rachat de dette, ce qui reste interdit à ce jour. À moins que la BCE ne lève cette barrière juridique de son propre chef.

Christine Lagarde devrait également expliquer comment la BCE va mener ses rachats d’obligations, maintenant qu’elle a fait sauter la limite de 33 % du stock de dette détenue pour un pays donné, dans une décision retentissante du 26 mars.

Il est en revanche peu plausible, aux yeux des économistes, que l’institut abaisse son taux de crédit déjà négatif à -0,5 %, qui revient à ponctionner les banques sur les liquidités qu’elles confient à la BCE au lieu de les distribuer sous forme de crédits. 

Pour soulager les établissements financiers, et surtout « les encourager à prêter », la BCE devrait au contraire relever la part de ces fonds exonérée du taux de crédit, poursuit Eric Dor. Un autre geste envers les banques pourrait consister à rendre encore plus favorables les prêts de long terme (dits TLTRO) que leur accorde la BCE, à condition qu’elles soutiennent à leur tour les PME fragilisées par la crise.

Relancer la consommation qui s’est littéralement écroulée en distribuant directement du cash aux habitants de la zone euro (comme aux États-Unis) est une idée qui fait débat. 

L’économiste Daniel Cohen propose ainsi, dans Les Echos, un versement de « 1 000 euros à chaque citoyen le jour de Noël » par la BCE, en dernier recours. « Ça ferait 340 milliards. Si ça relance l’inflation, très bien, sinon très bien aussi ! » Parmi les partisans de l’helicopter money, le très influent think tank Bruegel, dirigé par Jean-Claude Trichet, aurait, selon le Spiegel, conseillé à Christine Lagarde, entre autres mesures, de réfléchir sérieusement à cette opportunité. Mais cette solution est présentée par de nombreux experts comme un dernier recours. Et nous n’en sommes pas encore là.