Que se passe-t-il à la Sonahydroc ?

C’est le départ de l’actuel directeur général et de son adjoint qui est réclamée à cor et à cri par le syndicat de l’entreprise. La tension est montée d’un cran et l’épreuve de force se déroule désormais sur le terrain médiatique.

C’EST un nouveau « scandale » qui a éclaté au grand jour à la Société nationale des hydrocarbures (SONAHYDROC SA), ex-Congolaise des hydrocarbures (COHYDRO), ex-Pétro-Zaïre sous Mobutu. Depuis qu’Hubert Miyimi Muwawa, le directeur général de cette société publique transformée en société commerciale en 2009, est passé sur les antennes de la Radiotélévision nationale (RTNC), avec une partie du banc syndical, pour « vanter » l’arrivée des produits pétroliers, le personnel est vent debout. Faux !, lui lance à la figure les agents. Pour Médard Simbi Ngemba, le président de l’intersyndicale, « ce passage à la télévision est un trompe-l’œil médiatique », dans la perspective de la nomination des nouveaux mandataires dans les entreprises du portefeuille de l’État. « Malheureusement, c’est tombé au mauvais moment », s’en moque-t-il.

Et de porter l’estocade à l’estomac : « Peut-on passer commande de produits pétroliers avec un fonds de roulement négatif de plusieurs millions de dollars et un passif des 15 mois d’arriérés des salaires des agents dans toutes les provinces et des 12 à 14 mois pour ceux de Kinshasa selon les catégories ? En fait, les produits dont question sont une commande du partenaire Petrocam. L’actuel comité de gestion de la Sonahydroc SA n’a jamais acheté le moindre litre de carburant sur fonds propres depuis son arrivée en juin 2017. »

Les griefs du syndicat

Pour rappel, en vue de moderniser ses infrastructures de stockage et de transport de produits pétroliers dans le Haut-Katanga, la Sonahydroc qui est une société pétrolière publique, a signé en juin 2019 un contrat de « partenariat exclusif et stratégique » avec une entreprise privée (FTL Pipeline). Le contrat vise  à « renforcer les attributions légales accordées à Sonahydroc SA dans la logistique pétrolière en RDC ». Ce partenariat renforce ainsi « les dispositions de l’arrêté interministériel (n°046/CAB/MINET/ECONAT du 10 décembre 2018, n°346/CAB/MIN/FINANCES/2018, n°012/CAB/ANM/MIN/HYD/2018 et n°013/CAB/MIN/PORT/2018) portant mesures de renforcement de la participation de la Sonahydroc SA dans les activités de l’aval pétrolier en République démocratique du Congo ». Le feuilleton médiatique actuel n’est que l’arbre qui cache la forêt. Il s’agit de « la mégestion » de l’entreprise qui aligne des « résultats toujours négatifs » à en juger par ses bilans annuels depuis plusieurs années. « Le DG est aux abois, ça ne sert à rien de s’accrocher au fauteuil quel qu’en soit le prix. Il doit rendre le tablier car il y aura des audits de la République qui mettront à nu sa gestion opaque et calamiteuse », déclare Médard Simbi Ngemba. Que reproche en fait le syndicat de la Sonahydroc SA au directeur général Hubert Miyimi Muwawa ainsi qu’à son adjoint Louis Gérard Vununu Di Makwala ?

Dans une correspondance adressée à Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, le syndicat, particulièrement le syndicat Tous au Travail (TT), dénonce « le trafic d’influence » par le directeur général pour « étouffer toute action de revendication des agents ». On reproche à Hubert Miyimi « son refus de payer les droits légaux et conventionnels, notamment les cotisations syndicales ». On lui impute aussi « le détournement des sommes décaissées par la direction générale pour la construction des stations-service à Gemena (499 490,52 dollars) par CORTEC et à Kananga (594 163,38 dollars) par OTC. Le parquet de la Cour d’appel de Kinshasa-Matete a d’ailleurs été saisi quant à cette affaire.

En août 2019, un piquet de travailleurs a bruyamment manifesté devant le palais de la Nation, siège de la présidence de la République, pour réclamer les salaires non payés et les avantages sociaux dont ils sont privés. Ils demandaient même à être reçus par le président de la République pour présenter leurs doléances. Ils demandaient également que l’État consente une subvention de 20 millions de dollars pour la relance des activités et la paie des salaires.

« Canard boiteux » ? 

Le comité de gestion que dirige Hubert Miyimi a toujours rejeté en bloc les revendications des travailleurs les qualifiant d’« injustifiées ». Ayant pris les clés de la société en juillet 2017, le management actuel se contente de dire que « la Sonahydroc SA était totalement à l’arrêt à son arrivée » et que « grâce aux efforts consentis, les ventes des produits pétroliers ont augmenté bien qu’il s’agit de produits de collaboration ». S’agissant de salaires, « ils ont été relativement payés régulièrement en dépit de quelques mois d’arriérés liés au faible chiffre d’affaires de la société ». Celui-ci résulte des « ventes des produits de collaboration avec partage des marges, ce qui explique la persistance des arriérés des salaires pour tout le monde, mandataires y compris ! ».

En attendant, les travailleurs de la Sonahydroc SA traînent une dizaine de mois des salaires non payés. D’après le syndicat, « cette situation sociale calamiteuse est due aux malversations financières savamment entretenues par l’actuel comité de gestion ». Et de ce fait, « l’employeur n’est plus en mesure de garantir les droits conventionnels des employés (frais scolaires et colis de fin d’année) aux agents actifs et passifs ». En septembre 2019, le directeur général avait promis de payer trois mois des salaires. Et depuis, rien n’est tombé dans l’escarcelle des agents. Selon le syndicat, la dette sociale est salée : quelque 3,7 millions de dollars (environ 250 000 dollars par mois).

À la vue des derniers états financiers, le solde est négatif selon le syndicat, la direction générale indiquait l’année dernière que la trésorerie est passée de -15 millions de dollars à -4 millions. À l’époque, le ministre de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance sociale a tenté une réconciliation entre le comité de gestion et les travailleurs. Que reste-t-il du plan de relance 2017-2021 de la société présenté par le management actuel ? Il est évident que les travailleurs n’ont pas repris confiance en l’entreprise. La réhabilitation et/ou la construction des stations-service ne sont pas perceptibles. La logistique de transport pétrolier ou la remotorisation des unités fluviales se fait attendre… 

Les objectifs stratégiques confiés à la direction générale par l’État concernent en amont, la prospection, l’exploration,  la certification des hydrocarbures (pétrole et gaz) et le relèvement du niveau de la production nationale actuelle du pétrole brut, en mettant en valeur tous les gisements identifiés de différents bassins sédimentaires. En aval, il y a la constitution des stocks stratégiques et l’approvisionnement régulier sur toute l’étendue du territoire national en produits pétroliers.

En fait, la Sonahydroc SA n’effectue aucune opération de commercialisation du brut congolais. Les sociétés productrices versent un royalty à l’État de 12.5 de la valeur des hydrocarbures à la tête de puits, contrairement à la plupart des pays producteurs qui font référence à la valeur d’exportation. Les producteurs on shore  paient également un impôt spécial forfaitaire sur les bénéfices et ne transmettent à la Sonahydroc SA que les chiffres inhérents à la quantité du brut au titre des royalties revenant à l’État. Ainsi le rôle de la Sonahydroc SA ne se limite qu’à une contre-expertise des données fournies par les sociétés productrices. Bref, la société publique n’est pas en capacité de jouer son rôle.

Depuis l’arrivée du management actuel, les travailleurs soulignent que la Sonahydroc S.A. n’a pas changé de visage comme cela leur a été promis. Cette société, pourtant à vocation nationale, ne compte que quelques stations-service dans neuf provinces du pays, et seulement deux à Kinshasa. Quant aux unités flottantes, le management actuel avait annoncé le renouvellement des moteurs plus performants ainsi que la mise en conformité de pousseurs et barges.