Questions à… Serge Onyumbe Wedi, le leader du Mouvement Jeunes ze Vieux

« Les vieux sont un repère pour les jeunes en termes d’expérience et d’expertise, et les jeunes symbolisent la redynamisation sur laquelle tout pays doit miser pour que l’avenir soit meilleur »

C’est au salon de la 2è édition de Kinshasa Digital Week (KDW) dans le chapiteau de Pullman Hotel, vendredi 12 avril, que nous avons rencontré Serge Onyumbe Wedi, le coordonnateur du Mouvement Jeunes ze Vieux (MJV). L’idée d’un entretien au journal était en l’air depuis un certain temps. Et sans trop y réfléchir, l’occasion faisant le larron, on se décide de l’avoir malgré la sono et les bruits de fond des conversations comme cela est coutume dans les salons d’affaires. 

Aussitôt installés dans un coin, Serge Onyumbe Wedi y est allé de sa verve pour nous expliquer, avec un intérêt qui ne semble pas feint, comment est née l’idée de la création du MJV en juillet 2017. Avec un argumentaire taillé sur mesure, son propos ressemble fort à un essai sur une société congolaise qui vit en mal de référents sociaux. « Nous sommes partis d’un constat : la crise des modèles intergénérationnelle. Une crise des références qui est perceptible en République démocratique du Congo. Tout le monde vit cette crise à travers le clivage qui est marquant entre les aînés qui nous ont précédés et vivent encore avec nous, et nous les jeunes qui prétendons les remplacer », nous déclare-t-il.

Évidemment, on n’a pas besoin d’un dessin pour comprendre cela. Il s’agit là de l’un des pans du mal congolais. « Il était donc important pour nous de nous assurer qu’il y a un pont entre les vieux et les jeunes. Voilà pourquoi nous avons mis en place cet espace de mutualisation des expériences, entre les vieux et les jeunes en RDC », ajoute Serge Onyumbe. 

Depuis sa création, l’association sans but lucratif MJV fonctionne comme une plateforme d’échange organisée en réseau de cellules menant des actions sur terrain. La première phase, nous dit son coordonnateur, a consisté en son implantation. « Elle est effective aujourd’hui, car nous sommes présents partout à Kinshasa et dans quelques provinces et villes du pays, comme à Matadi, Kikwit, Lubumbashi, Tshikapa. Partout où nous sommes déjà opérationnels, le mouvement a une assise sociale indéniable ».

Ce qu’il faut savoir

Avec le chic qu’on reconnaît aux anglo-saxons pour décrire un mal, Serge Onyumbe a le bon ton pour faire comprendre la magie du concept, notamment au niveau du discours. Quel discours ? « Le Mouvement Jeunes ze Vieux tient un discours d’espoir à une peuple. Celui de lui dire de ne pas désespérer, car demain pourra être meilleur. Et pour être mieux demain, c’est aujourd’hui qu’il faut assurer notre lendemain, l’asseoir sur des valeurs qui doivent transformer l’homme congolais », répond Serge Onyumbe. Un discours digne de remèdes pour un Congo malade d’antivaleurs : « C’est pourquoi au niveau du Mouvement Jeunes ze Vieux, nous avons un regard particulier sur la qualité du Congolais, en termes de formation et d’éducation ». Quoi de plus normal que le MJV fasse de l’éducation son cheval de bataille pour « la transformation du Congolais d’aujourd’hui en un autre homme ». 

Eh bien, le MJV, conçu comme un cadre d’échange d’expériences pour l’épanouissement du pays, a mis en place un « programme particulier » appelé « Bourse scolaire Jeunes ze Vieux ». C’est une idée simple mais une recette efficace, comme le dit Serge Onyumbe : « C’est un programme intelligent et citoyen qui permet à des enfants congolais qui fréquentent l’école mais en situation difficile, et également à ceux qui sont en dehors du système éducatif dont les parents sont démunis ou n’ont pas de moyens suffisants pour les envoyer à l’école, de pouvoir bénéficier de l’égalité des chances dans l’accès à la scolarité. »

C’est vrai que la constitution du pays garantit la gratuité de l’enseignement primaire à tous les enfants congolais. Mais c’est un constat d’échec que dresse Serge Onyumbe : « La réalité est tout autre ! Voilà pourquoi, nous venons en appui aux parents, en donnant véritablement des bourses à ces enfants en échange d’une souscription. » D’où le MJV trouve-t-il l’argent pour financer ce programme ? « L’argent provient bien sûr des cotisations des membres, mais aussi des partenaires. C’est ici l’occasion pour moi de remercier notre partenaire Yambo (détergent) pour son soutien efficace et les autres personnes de bonne volonté qui nous accompagnent dans cette démarche. Ils ont surtout capté notre message et compris le bien-fondé de l’appel que nous avons lancé », fait remarquer Serge Onyumbe.

Oxygéner le débat national

Partant de là, environ 200 élèves ont bénéficié de la « Bourse scolaire Jeunes ze Vieux », notamment au complexe scolaire Amour du prochain (significatif !) de Masina à Kinshasa. Grâce au succès que récolte ce programme, le MJV pense déjà à l’étendre au cours de l’année scolaire 2019-2020. « L’objectif est d’atteindre le nombre de 10 000 enfants à scolariser ». Le MJV reste d’abord un mouvement d’action et de plaidoyer pour oxygéner le débat national devenu atone aussi bien sur le modèle social que sur la vie politique. Face donc à cette situation, le MJV se veut également un mouvement d’interpellation des gouvernants. « À travers nos actions, nous interpellons le gouvernement. Par exemple, sur la véritable gratuité de l’école et la réforme du programme scolaire afin de l’adapter aux enjeux de la technologie, de l’innovation, de l’entrepreneuriat et du développement du pays. Bref, il y a beaucoup d’aménagements à apporter à notre système éducatif que nous pensons porter à bras-le-corps avec notre programme de Bourse scolaire », souligne Serge Onyumbe.

Autant, il faut réformer le système éducatif, autant le pays doit également faire de la bonne gouvernance une des valeurs cardinales dans la conduite des affaires publiques. « Cette année, nous pilotons un autre programme axé sur la bonne gouvernance. C’est bien de parler de rupture, mais il faut aussi parler de la bonne gestion. La bonne gouvernance et la bonne gestion ne se décrètent pas. Ce n’est pas non plus une recette magique. C’est un ensemble des principes et pratiques qui doivent être de mise et non pas l’exact inverse de ce qui doit être fait comme nous l’avons vécu ces dernières années », dénonce le coordonnateur du MJV.

Et de poursuivre : « Arrêtons de dire qu’en RDC la transformation des mentalités est impossible… Au contraire, il faut conscientiser les Congolais pour les réformes indispensables. Enfin, redonnons aux Congolais le goût du risque, sans lequel aucune de ces innovations qui sont aujourd’hui le vrai moteur du développement du pays ne serait possible. Voilà pourquoi, le Mouvement Jeunes ze Vieux est occupé à former des véritables gardiens de la bonne gouvernance dans leurs microcosmes professionnels et dans les quartiers où ils habitent. Question de permettre aux pouvoirs publics de correspondre leur politique aux desiderata de la population.» 

Pourquoi le faites-vous ? « Nous voulons promouvoir la gouvernance de proximité. Elle exige qu’il y ait un rapport entre les décisions prises et le vécu quotidien du Congolais lambda, pour que demain, quand il y aura élection, le Congolais qui va aux urnes vote utile, en âme et conscience », souligne Serge Onyumbe. 

Les remèdes pour le pays

Certes, ce sont là des idées simples, mais qui ont la chance d’être appliquées. C’est pour cette raison que le MJV salue l’avènement du nouveau régime au pays, soutient les efforts des 100 jours du nouveau président de la République. « Nous disons que le président actuel a 5 ans devant lui pour mieux faire. Nous devons lui prêter main forte, tout en restant vigilants pour qu’il n’y ait pas d’égarements. Nous insistons également sur la nécessité d’avoir des hommes et des femmes qu’il faut à la place qu’il faut », explique Serge Onyumbe.

Qui lance un appel à l’alternance qualitative et systématique. « Ne dit-on pas que les hommes passent et les institutions restent ? » Décidément, Serge Onyumbe connaît bien la RDC, car il ne se fait guère d’illusion là-dessus. « Nos ambitions sont nobles… nous pensons que de là où nous sommes, nous pouvons apporter notre pierre à la reconstruction de l’édifice qu’on appelle RDC », nous déclare-t-il.  

Serge Onyumbe estime humblement qu’il représente l’ensemble des énergies de la jeunesse de la RDC qui demande à être capitalisées. « C’est faux de penser que les jeunes en RDC sont hostiles aux vieux. Au sein de notre mouvement, nous disons que les vieux sont un repère pour les jeunes en termes d’expérience et d’expertise, et les jeunes symbolisent la relance et la redynamisation sur laquelle tout pays doit miser pour que l’avenir soit meilleur. En effet, les jeunes d’aujourd’hui sont les vieux de demain, et les vieux d’aujourd’hui étaient les jeunes d’hier. » 

MJV concentre donc son action sur la jeunesse, l’avenir de la nation. Il s’agit de la responsabiliser, surtout dans la prise de décisions communautaires. « Nous devons capitaliser ce qu’on appelle le conflit des générations, parce que ce cycle va continuer. » Comment ? « Faire de sorte que ce conflit profite à la nation congolaise afin qu’il y ait des hommes, des femmes et des jeunes ayant l’énergie nécessaire et avérée pour permettre au pays de décoller. Voilà le message que nous portons haut et fort, avec beaucoup d’engagement », conclut Serge Onyumbe.