Racisme : l’État ne peut plus rester un spectateur oisif

Face à la violence des débats sur le racisme, l’Etat doit reprendre son rôle de régulateur démocratique et non d’agitateur public.

Je prenais récemment un café avec un ami Porte Dorée face à l’ancien musée des Colonies (1) à Paris. Une Française de parents malgaches et un Français d’origine juive à la même table : cette scène, il y a soixante-dix-neuf ans, aurait été improbable voire impossible. La France n’était pas la même : elle était marquée par un antisémitisme légal et le code de l’indigénat qui dépouillait les Malgaches de leurs pleins droits, les considérant comme des «sujets français». Nous n’aurions pu vivre une amitié insouciante d’égal à égal. L’un aurait constamment cherché à dissimuler ses origines juives et l’autre à éviter le travail forcé. Ce pays a profondément changé et nous devons nous rappeler combien cela est précieux. Aujourd’hui, être traité de «raciste» demeure encore – c’est une victoire – une infamie, notre combat est de faire en sorte qu’il le reste. Comme beaucoup, nous avons vu la vidéo de George Floyd avec horreur. La pression sur la poitrine exercée par cet officier de police, Derek Chauvin, est le symbole de la brutalité raciale américaine. Le cas d’Ahmaud Arbery, joggeur noir abattu, par erreur, en février par deux civils blancs chasseurs de primes est bien plus pathétique encore. Présumés «en état de légitime défense», ils ne seront arrêtés que plusieurs semaines plus tard.

Le racisme étouffe

Les victimes de discriminations de la part d’un employeur, d’un propriétaire, d’un policier le portent comme un poids qui les empêche de respirer l’air frais de la vie. Le racisme étouffe, il est systémique quand une administration couvre les actes racistes des représentants de l’autorité publique. Le nier n’est qu’une pression supplémentaire qui empêche les victimes de respirer encore un petit peu plus. Pourtant, reconnaissons qu’on demande trop à la police : on voudrait qu’elle efface à elle seule les problèmes d’insécurité qui relèvent dans beaucoup de cas de problèmes sociaux, mais une telle mission surdimensionnée ne peut que faillir dans les circonstances actuelles. Reconnaissons aussi que certains citoyens voient trop souvent les habitants des quartiers populaires non-blancs comme des criminels en puissance ou des jihadistes. Il faut aussi que tous, nous comprenions que laisser la police comme principal instrument de régulation sociale est indirectement une incitation au racisme chez les policiers. Ce constat funeste appelle un remède : une réconciliation basée sur la volonté politique.

Sur le plan historique, il faut cependant éviter des écueils démagogiques. Gardons-nous de tomber dans une présomption de culpabilité de racisme contre un Blanc parce qu’il aurait eu un grand-père colon, un aïeul esclavagiste ou pire, parce qu’il aurait été pris en flagrant délit de manger un plat Uncle Ben’s !

Gardons-nous de traiter de séparatistes les descendants d’indigènes. On ne saurait leur demander de dire «merci la France» d’avoir colonisé leurs ancêtres. Dans les deux cas, nous ne pouvons supprimer l’Histoire parce qu’elle nous dérange, nous devons l’enseigner dans sa globalité.

Régulateur démocratique

La nuance reste l’apanage de la démocratie, le débat public aussi. Refuser cela, c’est créer un terreau favorable pour tous types de radicalisation. Il faut certes réagir, mais sans tomber dans la spirale où le racisme serait assumé par le camp identitaire et transmué en acte de noble résistance face à des velléités séparatistes. 

L’Etat doit reprendre son rôle de régulateur démocratique et non d’agitateur public ou de spectateur oisif. Toujours est-il que la situation raciale est meilleure qu’autrefois, la France va mieux et le racisme va de moins en moins bien. C’est peut-être pour cela que les propos des plus extrémistes (des deux bords) sont encore plus insupportables. En France, les députés de cette législature issus de la diversité sont de 10% lorsqu’ils n’étaient de 2,9% en 2012. Il y a beaucoup de policiers issus de l’immigration visible, comme dans tous les corps de fonctionnaires.

Aux Etats-Unis, George Floyd décède de violences policières et quelques semaines plus tard, le général d’aviation Charlie Brown est nommé commandant en chef de l’US Air Force par Donald Trump. Il devient le premier homme noir à ce poste. Les deux événements ne sont pas concertés, mais concomitants. La démocratie doit travailler, vite, pour dépasser la lutte des races, bien plus efficacement qu’elle ne le fait pour sa cousine, la lutte des classes.

(1) Aujourd’hui musée de l’Histoire de l’immigration.