KINSHASA, Déjà aux prises avec la rébellion du M23 dans le Nord-Kivu, la République démocratique du Congo (RDC) s’inquiète de la résurgence dans cette même province frontalière d’une vieille rébellion ougandaise qui y aurait reçu un soutien des islamistes shebab somaliens.
Depuis une dizaine de jours, cinq localités du Nord-Kivu ont été attaquées et pillées par l’ADF-Nalu (Forces alliées démocratiques). Ces violences ont poussé 65.000 Congolais à chercher refuge en Ouganda voisin, selon la Croix-Rouge ougandaise.
La semaine dernière, nouveau coup d’éclat, les mêmes rebelles ougandais ont brièvement occupé la localité de Kamango, avant d’en être délogés par les troupes congolaises. Selon l’armée régulière, les rebelles sont alors repartis vers le Ruwenzori, chaîne de montagnes qui marque la frontière et dont ils occupent les contreforts depuis des années.
Ces violences touchent la région du “Grand nord”, partie nord de la province du Nord-Kivu, frontalière de l’Ouganda entre le lac Albert et le lac Edouard, et fief de l’ethnie Nande.
Une région devenue une “poudrière”
La zone est devenue “une poudrière”, s’alarme, sous couvert d’anonymat, un expert militaire occidental, redoutant que cette rébellion ne devienne un nouveau foyer de troubles qui s’appuierait sur des revendications des Nande qui s’estiment aujourd’hui délaissés par Kinshasa.
L’ADF-Nalu est né au milieu des années 1990 de la fusion de deux groupes armés opposés au président ougandais Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986. La composante Nalu (Armée nationale pour la libération de l’Ouganda) a depuis lors disparu, mais le mouvement conserve cette appellation d’ADF-Nalu.
Un moment soutenu par le Soudan, l’ADF était à l’origine composé essentiellement de militants du Tabliq, un mouvement missionnaire musulman. Au fur et à mesure des années, ces combattants se sont radicalisés.
Aujourd’hui uniquement composée d’islamistes, l’ADF-Nalu est dirigé depuis 2007 par Jamil Mukulu, un chrétien converti à l’islam. Les Etats-Unis l’ont placé sur leur liste d’organisations terroristes dès 2001 et Jamil Mukulu est visé par des sanctions de l’ONU depuis 2011 et de l’Union européenne depuis 2012.
Ses combattants ont toujours trouvé un abri au Zaïre, devenu RDCongo en 1997, sur les pentes verdoyantes de la chaîne volcanique du Ruwenzori, qui culmine à plus de 5.000 mètres. Ils y cultivaient du café, échangeaient et pactisaient avec les populations locales.
L’ADF-Nalu a très longtemps bénéficié de la bienveillance de Kinshasa, dont les relations avec l’Ouganda ont souvent été houleuses, selon un rapport de décembre de l’International Crisis Group (ICG).
Le groupe rebelle a été visé pour la première fois en 2005 par une offensive conjointe de l’armée régulière et de la Mission de l’ONU (Monuc, devenue Monusco). En 2010, l’armée a lancé une nouvelle offensive contre le mouvement, dont plusieurs camps ont été détruits. Les combats font déjà des dizaines de milliers de déplacés.
Depuis un an, cependant, l’armée congolaise s’est surtout mobilisée contre le mouvement rebelle M23 également implanté au Nord-Kivu, mais plus au sud, autour de la capitale provinciale Goma.
“Les shebab sont chez nous!”
Si l’ADF-Nalu a surtout combattu le régime ougandais de 1996 à 2001, le mouvement est toujours brandi comme une menace par Kampala, qui l’accuse régulièrement d’être lié aux islamistes somaliens shebab.
En 2011, des membres de services de renseignements ougandais soutenaient ainsi que des membres de l’ADF avaient été formés à la confection de bombes par des shebab.
L’Ouganda compte une importante communauté musulmane (environ 10% de la population), et déploie depuis 2007 un contingent de plusieurs milliers d’hommes en Somalie pour y lutter contre les shebab.
Lundi, le porte-parole du gouvernement de Kinshasa, Lambert Mende, a lui aussi assuré que l’ADF-Nalu était associé aux “combattants shebab” et l’a présenté comme “une menace majeure contre la sécurité et l’intégrité de la RDC”.
“Les shebab sont chez nous”, a insisté M. Mende. Il a par ailleurs assuré que la présence de mercenaires somaliens avait été signalée il y a deux mois dans les rangs de ce mouvement.
Pour ICG, l’ADF-Nalu est le seul groupe armé de l’Est congolais à “être considéré comme une organisation terroriste appartenant à la nébuleuse islamiste d’Afrique de l’Est”.
Cependant, le groupe de réflexion jugeait que l’existence d’une coopération directe entre les shebab et les ADF restait “une hypothèse, d’autant plus que le gouvernement ougandais instrumentalise la menace terroriste à des fins intérieures et extérieures”.
Dans un rapport daté du 20 juin, des experts de l’ONU sur la RDC écrivaient: “deux anciens combattants de l’ADF et les services de renseignement ougandais affirment que l’ADF a reçu des virements en provenance de Londres, du Kenya et de l’Ouganda, rassemblés par des intermédiaires congolais à Beni et Butembo”, au Nord-Kivu. Les mêmes sources citées par les experts onusiens soutenaient que l’ADF se finançait aussi par un réseau de taxis opérant dans la zone frontalière et tirait profit de l’or et de l’exportation de bois en Ouganda.
L’ADF-Nalu continue de tenir “tête à l’armée congolaise”, constatait en décembre ICG. Cette “résilience” du mouvement “tient à sa position géostratégique, son insertion dans l’économie transfrontalière et la corruption des forces de sécurité”.
Pour autant, l’ADF-Nalu “ne constitue pas une menace destabilisatrice comme le M23”, dont les combattants sont stationnés aux portes de la ville de Goma.