Dans le quartier huppé de la Gombe, dans le nord de Kinshasa, une odeur pestilentielle emplit l’atmosphère. Touchant l’Institut des Beaux-Arts, une décharge publique déborde jusque dans la rue.
Casquette bleue sur la tête, grosses chaussures couvertes de boue, Papy Mputu y déverse une brouette pleine d’ordures ménagères. Depuis plusieurs semaines les immondices de ce centre de stockage temporaire et d’une soixantaine d’autres ne sont plus évacués vers leur destination finale: le centre d’enfouissement des déchets de Mpasa, en périphérie est de la capitale de la République démocratique du Congo.
Tout fonctionnait normalement jusqu’au mois d’août. Les problèmes ont commencé fin septembre, un mois après que l’Union européenne (UE) eut transféré aux autorités locales la gestion du Programme d’assainissement urbain de Kinshasa (PARAU-PAUK) lancé en 2008 et couvrant aujourd’hui 9 des 24 communes de Kinshasa, mégapole pauvre de près de 10 millions d’habitants.
A l’indépendance du Congo en 1960, Kinshasa passait pour l’une des plus belles villes d’Afrique. On la surnommait «Kin la Belle». Mais dans les années 1990, après des années d’incurie des autorités, les habitants ont commencé à appeler la capitale «Kin la poubelle», tant il était rare de voir une rue non parsemée d’ordures.
Mais depuis quelques semaines, le spectacle des décharges temporaires a pris des proportions inédites. Près des Beaux-Arts, des nuées de mouches entourent le gigantesque tas d’ordures dans lequel plusieurs dizaines de garde-bœufs picorent en quête de nourriture. M. Mputu sautille pour ne pas marcher sur les gros rats qui ont élu domicile dans la montagne d’immondices. Les passants se bouchent le nez, accélèrent le pas en sautant les eaux de pluie ou se faufilent entre les véhicules qui passent toutes vitres fermées.
«Prenez les images, montrez-les (au Premier Ministre) Matata Ponyo et (au gouverneur de Kinshasa André) Kimbuta», lance un passant.
«Les Blancs sont partis»
«Avant, avec l’Union européenne, les camions passaient tous les deux ou trois jours pour ramasser les ordures. C’était propre. Maintenant que les Blancs sont partis, nos autorités ne font plus rien», déplore Roger Loko, mécanicien du garage situé en face de la décharge.
«Jusqu’à quand vont-ils nous laisser dans cette situation ? Nous sommes quand même des humains», s’emporte cet homme de 39 ans, alors que ses collègues et plusieurs passants déplorent le manque d’engagement des autorités dans l’assainissement de la ville.
En temps normal, le PARAU-PAUK permet de traiter 11.000 m3 de déchets chaque semaine, selon l’UE et le gouvernement provincial de Kinshasa.
Selon l’UE, qui y injectait chaque mois un million d’euros, ce programme a contribué à l’amélioration du cadre de vie des habitants des communes concernées, avec une baisse des maladies d’origine hydrique. Le transfert du projet au gouvernorat de Kinshasa devait avoir lieu en 2014 mais l’UE a accepté de rester un an de plus à la demande des autorités de la ville-province.
«Le retard dans l’évacuation des immondices pose un vrai problème de santé publique» car «les décharges sont des foyers de microbes», met en garde le Dr Odette Zola. «Évacuer ces immondices, c’est soigner en amont, au lieu d’attendre que les gens tombent malades», dit ce médecin généraliste.
Les gestionnaires des centres de transfert de déchets assistent impuissants au débordement de leurs décharges.
«C’est une poubelle publique, il n’y a pas moyen d’interdire aux gens de venir y jeter les ordures. Avec l’Union européenne, on n’avait jamais vu ça. Mais à peine trois mois [après] que les autorités ont repris l’affaire, ça capote», se plaint le superviseur du centre de Lingwala, dans le nord de la capitale.
Nouvelle taxe
«Les engins sont là mais on ne (nous) donne pas de carburant. Et si on nous le donne, c’est au compte-gouttes», témoigne Bengi Batuseka, chauffeur de benne à ordures, en route vers le centre d’enfouissement de Mpasa.
Un haut responsable à la délégation de l’UE assure qu’il «n’est pas question pour l’UE de reprendre le programme», ajoutant qu’au terme du projet, «la mairie avait assuré qu’elle prendrait le relais». Thérèse Olenga, ministre provinciale de l’Environnement et porte-parole du gouvernement de Kinshasa reconnaît «un seul problème grave: le manque de ressources financières».
Le gouvernement provincial affirme que pour prendre le relais du financement du PARAU-PAKU assuré par l’UE, il s’était entendu avec le gouvernement national pour que celui-ci en assure 80% pendant un an, jusqu’à ce que la ville passe d’un financement de 20% à 100%.
Le gouvernement central, lui, rétorque s’être engagé uniquement à verser 640.000 dollars le premier mois (septembre), et ajoute que la collecte et l’évacuation des ordures, «dans toutes les villes de la République, relèvent des gouvernements provinciaux».
Depuis lundi, certains centres de stockage temporaires commencent à être évacués. Selon une source gouvernementale, cela a été permis par un nouveau décaissement de la part du gouvernement central.
Le Journal officiel a publié en 2014 un arrêté du gouvernorat de Kinshasa imposant une nouvelle taxe d’évacuation des ordures ménagères, allant de 5 à 30 dollars par ménage selon les quartiers. Mais selon Mme Olenga, l’idée est encore en discussion. Nul doute qu’elle n’enchantera guère une population largement miséreuse.