Alors que la plupart des écoles s’apprêtent, sur la base du volontariat, à accueillir les élèves à partir de mardi, quels parents (ne) vont (pas) envoyer leurs enfants à l’école ? Pour répondre à cette question, dans l’enquête du Cevipof réalisée par Ipsos le 30 avril pour le projet Attitudes des citoyens face au Covid-19, nous avons invité les personnes interrogées à indiquer si elles étaient prêtes à faire reprendre l’école à leurs enfants dès la réouverture : 40% des répondants ayant des enfants actuellement dans leur foyer étaient sûrs de ne pas leurs faire reprendre l’école, 30% certains de le faire et 30% encore indécis.
Une analyse statistique multivariée révèle que les logiques sous-jacentes à ce choix sont plurielles. On peut en identifier quatre types. D’abord une logique d’aversion au risque. Sans surprise, plus l’aversion au risque en matière de santé est marquée, plus la propension à remettre les enfants à l’école diminue. Dans le même esprit, plus la peur du Covid-19 reste forte, moins le retour à l’école des enfants est probable.
Ensuite une logique sociale intervient : dans les foyers où l’un des parents ne travaille pas, le choix de maintenir le ou les enfants à domicile s’impose massivement. De concert avec une valorisation différenciée de l’école, plus les parents sont diplômés, plus ils sont prêts à faire reprendre l’école à leurs enfants. Derrière ce clivage parents diplômés/non diplômés, se joue la contrainte d’une reprise d’activité professionnelle dont les huit semaines de confinement ont montré que le télétravail n’était pas compatible avec un suivi scolaire, en particulier pour les mères dans des familles monoparentales. Ces deux éléments font douter que l’ouverture partielle sur la base du volontariat aura pour effet de diminuer les inégalités. Ils suggèrent plutôt un effet inverse…
Nature spatiale
Et c’est la troisième logique, de nature spatiale. Les parents vivant dans les métropoles (agglomérations de plus de 200 000 habitants) sont les plus enclins à privilégier le retour à l’école. Cependant, dans ces métropoles, plus les cas de coronavirus restent nombreux (mesuré par le taux de passage hebdomadaire aux urgences avec diagnostic de Covid-19), plus le retour à l’école des enfants s’éloigne.
Enfin, la dernière logique est politique. La défiance vis-à-vis du président de la République dissuade les parents de remettre leurs enfants à l’école. Loin d’être anecdotique, l’effet négatif de la défiance présidentielle est équivalent à celui, très terre à terre, d’avoir quelqu’un au foyer pour prendre en charge les enfants. La rupture entre le chef de l’Etat et une partie croissante des citoyens a donc des conséquences lourdes sur la capacité de l’exécutif à gouverner effectivement la crise sanitaire. Celles-ci sont, particulièrement, exacerbées à l’aune de la période de «déconfinement». En effet, si la peur a pu suppléer la défiance, depuis deux mois, pour inciter les citoyens à respecter les consignes gouvernementales, il n’en va pas de même dans la phase actuelle.
Compétence et bienveillance
Les citoyens – qu’ils soient maires, personnels des écoles ou parents – devront, cette fois, dépasser leur peur pour, par exemple, répondre favorablement à l’injonction présidentielle et du ministre de l’Education nationale de retour des enfants dans les écoles, etc. En réalité, de telles décisions parentales dépendent en grande partie de leur confiance dans le triptyque suivant : 1/ les décideurs prennent les décisions dans l’intérêt général ; 2/ les décisions politiques sont jugées efficaces ; 3/ les risques existants sont maîtrisés. Ainsi agissent les deux ressorts de la confiance dans toute société démocratique : compétence et bienveillance.
Conscient des risques pour sa crédibilité, l’exécutif a manifestement privilégié le volontariat pour s’éviter un camouflet : celui de parents s’abstenant massivement de remettre leurs enfants à l’école. Néanmoins, la France ne pourra pas durablement être gouvernée seulement sur la base du volontariat ou de son contraire, la contrainte. Etablir les conditions d’une confiance retrouvée entre décideurs publics et citoyens est impératif dans les circonstances actuelles. Car celle ou celui qui fait confiance dans ses décideurs publics anticipe l’avenir. Et anticiper l’avenir, c’est pour nombre de parents anticiper la capacité du ministère de l’Education nationale à ne pas exposer davantage leurs enfants au risque de transmission intrafamiliale du Covid et dépasser les limites d’un système improvisé de continuité pédagogique.