Saint Augustin Mwendambali évoque les facteurs à la base de l’incivisme fiscal

Dans les administrations fiscales, l’éthique n’est plus une vertu cardinale, ce qui les empêcherait de mobiliser de manière optimale les recettes publiques, selon le directeur général de l’OCEP. Quels sont les moyens pour lutter efficacement contre le phénomène ?

Selon la définition qu’en donne l’Observatoire congolais de l’éthique professionnelle dans la Fonction publique et les services publics (OCEP), le civisme est la connaissance de ses droits en tant que citoyen et de ses devoirs vis-à-vis de la collectivité. C’est aussi l’état d’un citoyen respectueux de ses devoirs et des principes collectifs ; le dévouement et l’attachement du citoyen à la cité, tels qu’il assume ses devoirs avant de réclamer ses droits. En tant qu’attitude, explique le directeur général de l’OCEP, Saint Augustin Mwendambali, le civisme fiscal est « le comportement conforme aux règles du fisc et le souci permanent de s’en acquitter sans la moindre résistance », c’est-à-dire d’une manière libre et consciencieuse.

Par ailleurs, la fiscalité est l’ensemble des normes, règles et principes en matière d’impôts en vigueur dans un pays, explique-t-il. « La fiscalité désigne donc l’ensemble des pratiques utilisées par un État ou une collectivité pour recevoir des impôts et autres prélèvements obligatoires. Elle est un moyen qui permet à l’État de se procurer des recettes, et ainsi de financer ses programmes au profit des collectivités locales ». Sous cet angle, « la fiscalité est un levier qui oriente les politiques économiques d’un pays avec des répercussions sociopolitiques ».

D’après le directeur général de l’OCEP, le civisme fiscal est « le fait pour un citoyen/agent/contribuable à participer aux charges publiques en s’acquittant de ses impôts, taxes et redevances, afin de permettre à l’État de s’acquitter de ses missions régaliennes ». Et l’éthique, « un ensemble des valeurs et principes qui orientent le comportement, les agissements et les attitudes des citoyens à faire ce qui est demandé et à éviter ce qui n’est pas demandé ». Par contre, la conscience fiscale participative est « une capacité ou un état d’éveil permanent d’un citoyen, caractérisé par le souci obsessionnel de s’acquitter de ses obligations fiscales sans la moindre contrainte externe ».

La vérité fiscale en RDC

Le professeur Saint Augustin Mwendambali fait remarquer que l’inadéquation entre les recettes fiscales de la République démocratique du Congo et les potentialités agricoles et minières dont elle regorge pose d’emblée la problématique de la politique d’incitation fiscale. Est-ce qu’il existe une politique nationale incitative ? Certains observateurs avisés parient que même si on lui transposait les modèles du système fiscal ayant fait leur preuve dans certains pays, notamment africains (Togo, Madagascar, Maurice, Maroc, Côte d’Ivoire, Sénégal…), la RDC est encore loin de relever le défi de la fiscalité. Que faire alors face à la régression des recettes fiscales de la RDC ? Il y a lieu de se demander quel est le rôle que peuvent jouer le civisme et l’éthique dans l’amélioration de l’assiette fiscale du pays.

« En interrogeant les paramètres fiscaux en cours actuellement en RDC, on observe vite qu’il y a eu une tension irréductible entre les acteurs intervenant dans la mobilisation des recettes fiscales », déclare Saint Augustin Mwendambali. D’après lui, le triangle rétroactif de la vérité fiscale montre à bien des égards que la RDC doit diligenter en urgence les réformes fiscales, en tenant compte non seulement de l’identifiant fiscal unique (IFU), mais aussi, en mettant un accent particulier sur la « conscience fiscale participative » des acteurs en compétition. L’OCEP a réalisé une enquête auprès d’un échantillon d’agents des services publics. On leur a posé les questions suivantes : d’où provient l’argent qui permet à l’État de payer les salaires ? Que représente pour vous, l’impôt que l’État vous demande de payer ? Les réponses ont été variées comme le montre le tableau en bas. Le triangle de la vérité fiscale en RDC est caractérisé par une tension irréductible entre les acteurs devant participer à l’amélioration du rendement fiscal, souligne le directeur général de l’OCEP.

Il y a d’une part les redevables/les assujettis et les agents fiscaux. Et d’autre part, l’État décideur en tant que personne morale et physique. Selon le professeur Mwandambali, il ressort de la tension observée dans ce triangle « l’absence totale de culture de l’impôt en RDC », suite à « un déficit criant de civisme fiscal et de conscience fiscale participative ». Au total, il y a 165 000 assujettis pour une population de plus ou moins 80 millions d’habitants.

À l’OCEP, on pose quelques préalables : savoir définir et distinguer le civisme de la fiscalité, savoir distinguer les caractéristiques d’une fiscalité respectueuse des règles civiques, identifier les paramètres définitionnels d’une fiscalité chaude (une fiscalité qui se passe des règles d’éthique et déontologiques par rapport à la fiscalité froide (une fiscalité qui respecte les règles d’éthique). Ici, on définit la fiscalité froide comme une fiscalité rectiligne et volontariste. « C’est une fiscalité consentante où tout le monde s’acquitte librement de ses devoirs, sans passer par des contraintes (fiscalité à rendement élevé). Tandis que la fiscalité chaude est « une fiscalité qui méconnaît l’existence des règles d’éthique et entraîne des tensions, les uns paient l’impôt et les autres ne payent pas ». Bref, c’est une fiscalité en dents de scie  ou fiscalité à rendement faible.

Pourquoi la fiscalité de la RDC est dite chaude

Le directeur général de l’OCEP explique que le triangle rétroactif montre « une tension permanente » entre les différents acteurs intervenant dans le circuit fiscal, suite au déficit criant des valeurs morales, éthiques, déontologiques et professionnelles. Il considère que le civisme fiscal est une valeur négligée par les différents acteurs intervenant dans le circuit fiscal congolais.

« Cette tension chaude tire son origine de la théorie de la fuite en avant qu’on retrouve dans la gestion du jardin d’Eden ». L’observatoire congolais de l’éthique professionnelle apporte sa contribution dans la formation de la conscience fiscale participative.

Outre l’identifiant fiscal unique préconisé par les théoriciens d’imposition obligatoire, l’OCEP propose une approche d’imposition basée sur la formation de la personnalité fiscale constituée d’éléments basiques dont la morale fiscale (qui propose des jugements moraux à connaître les avantages et inconvénients de ne pas s’acquitter de ses impôts), l’éthique fiscale (qui oriente vers l’acquittement des ses obligations fiscales), la déontologie fiscale (qui oblige de s’acquitter sans faille de ses devoirs et obligations fiscaux. Éthique de conviction et éthique de responsabilité fiscale), le professionnalisme fiscal (qui exige que la fiscalité soit appliquée dans le respect de l’art), et la justice fiscale (qui impose la fiscalité comme une obligation constitutionnelle sous peine des sanctions pénales.

D’après le professeur Mwendambali, grâce à ces éléments, la personnalité fiscale peut déboucher sur deux types d’éthiques fiscales: l’éthique de conviction (Kant) qui renvoie à l’existence des lois fiscales et des sanctions ; et l’éthique de responsabilité qui renvoie aux remords de la conscience individuelle et collective avec la nécessité de s’amender. Pour stimuler la culture de l’impôt, il faut inculquer aux Congolais la notion de conscience fiscale participative. « Cette notion se caractérise par l’intériorisation des valeurs morales, éthiques, déontologiques, professionnelles et judiciaires dans l’exécution des devoirs et obligations de chacun.

Chacune de ces valeurs constitue un pilier dans la formation de la personnalité fiscale éthique, gage indispensable pour intérioriser la culture de l’impôt ».

Il faut aussi intégrer l’OCEP dans le processus de maximisation des recettes fiscales pour une moralisation permanente ; accorder une amnistie fiscale aux fraudeurs qui se dénoncent, et leur faire signer des actes d’engagement éthiques, avec promesses de ne plus récidiver ; créer un système de dénonciation des pratiques fiscales inciviques ; instaurer une taxe symbolique pour financer les organes de lutte contre la corruption, la fraude et la contrebande.

Il faut également renforcer les mesures incitatives en administrant des sanctions positives en faveur des agents des régies financières; mettre progressivement fin aux exonérations et aux procédures d’allègement d’urgence, derrière lesquelles se cachent généralement des fossoyeurs de la fiscalité congolaise ; introduire les modules et la thématique sur l’impôt dans les manuels scolaires et au sein de l’enseignement supérieur et universitaire.

En conclusion, en tant que valeur universelle, l’impôt constitue un des Objectifs du développement durable (ODD). Les États doivent recourir aux impôts de leurs citoyens afin de couvrir leurs charges publiques (école, eau potable, construction des routes, santé, éducation). En tant que marque de solidarité et de partage avec les plus démunis, l’impôt devient une valeur éthique car il contribue à alléger la souffrance des autres. L’éthique représente pour le  civisme fiscal ce que le sel représente pour les aliments.

Le sel n’a pas seulement pour rôle de donner le goût ou la saveur aux aliments mais il permet de les conserver en retardant leur décomposition. De même, l’éthique nourrit le civisme fiscal en le mettant à l’abri des antivaleurs (corruption, concussion, détournement, minoration des impôts). Voilà pourquoi Gaston Geze confirme que l’impôt sert à couvrir les charges publiques.