Selon trois économistes, les travailleurs sans-papiers font du bien aux entreprises

C’est une étude à trois qui le démontre : les entreprises françaises qui font le plus appel aux migrants connaissent de multiples effets positifs dans leur activité. L’un des enquêteurs, Cristina Mitaritonna, détaille les conclusions de cette étude dans un entretien accordé au Capital.

IL Y A QUELQUES jours, en ce début du mois d’août, les restaurateurs ont lancé un appel aux pouvoirs publics : confrontés à une pénurie de main-d’œuvre dans leur secteur, ils souhaitent pouvoir embaucher des travailleurs sans-papiers et réclament que les autorisations de travail soient facilitées pour ces populations. Une demande qui part d’un constat pragmatique mais qui peut avoir du mal à imprimer dans l’opinion publique, tant les questions migratoires font l’objet de crispations. 

Pourtant, l’arrivée de travailleurs étrangers en France peut être bénéfique pour nos entreprises, voire même améliorer les conditions de travail de l’ensemble des salariés. C’est ce qu’ont démontré trois économistes, Cristina Mitaritonna, Gianluca Orefice et Giovanni Peri. 

Les résultats de l’enquête

Dans une étude intitulée « Immigrant and firm’s outcomes : évidence from France » (littéralement « les résultats de l’immigration en entreprise : l’exemple français), publiée il y a quelques mois dans la revue European Economic Review, ils ont étudié les conséquences de l’emploi de travailleurs étrangers dans l’ensemble des départements français. Hausse des salaires, meilleure productivité, augmentation des exportations… Les effets positifs sont multiples. Pour Capital, Cristina Mitaritonna, coauteure de l’étude, a détaillé les principales conclusions de ce travail de fond. 

En étudiant les données économiques de l’ensemble des départements français sur une décennie, entre 1995 et 2005, les trois auteurs se sont donc aperçu que ceux qui ont accueilli le plus de travailleurs étrangers ont eu de meilleurs résultats pour leurs entreprises que ceux qui en avaient moins… « Exactement. Pour cela, nous nous sommes directement basés sur les données des entreprises. Nous avons uniquement retenu les établissements manufacturiers. Il faut d’abord dire que cette augmentation des travailleurs immigrés a bénéficié à l’ensemble des entreprises », a expliqué Cristina Mitaritonna. 

Et de poursuivre : « Mais, celles qui en ont le plus bénéficié sont les entreprises qui employaient auparavant moins de travailleurs immigrés, avec un niveau de productivité plus bas : ce sont elles qui en ont le plus profité. Par ailleurs, les chiffres le montrent, les sociétés qui recrutent le plus d’immigrés ont une durée de vie plus élevée, et suppriment moins d’emplois ». 

N’y a-t-il pas des études qui montrent que les étrangers peu qualifiés embauchés nuisent aux natifs ? D’après elle, il en existe. Elle cite l’économiste américain Georges Jesus Borjas, spécialiste de l’impact économique, qui a publié plusieurs travaux de recherches montrant effectivement des conséquences négatives, même si elles sont relativement faibles, pour les travailleurs natifs peu qualifiés quand sont embauchés des travailleurs étrangers. 

A la question de savoir pourquoi, grâce au travailleurs immigrés, l’étude démontre que les entreprises connaissent aussi une augmentation de leurs exportations, elle répond : « C’est effectivement un autre effet que nous avons découvert en réalisant cette étude. Qui dit entreprise plus productive, dit aussi plus de possibilité à l’export. 

Par ailleurs, même si ce n’est pas une conclusion tirée de notre travail, d’autres économistes ont déjà démontré que ces exportations se développent parfois dans les pays d’origine des travailleurs immigrés. » C’est le cas notamment de l’économiste allemande, Sanne Hiller, qui a exploré la question au Danemark dans un article paru en 2013, ou encore d’une étude, datant de 2009, sur l’Espagne, de l’économiste américain, Giovanni Peri, et de son confrère espagnol, Francisco Requena. 

Plus étonnant encore, les trois auteurs de l’étude expliquent que l’embauche de travailleurs immigrés a permis une augmentation générale des salaires… « Tout ça est encore une histoire de productivité. Si l’entreprise est plus productive grâce aux travailleurs étrangers, alors elle peut se permettre d’augmenter la rémunération de ses salariés, comme elle génère plus de profits », souligne Cristina Mitaritonna. 

Les PE, grands bénéficiaires

Parfois, lorsque les entreprises préfèrent embaucher des travailleurs étrangers, les natifs sont poussés vers des entreprises qui font moins appel à de la main-d’œuvre étrangère. Mais est-ce facile pour eux de trouver du travail ? « Oui, il y a un effet de mobilité. Mais ces natifs sont généralement recrutés dans des entreprises qui sont aussi plus productives au départ, et qui le deviennent encore plus avec leur arrivée ! », répond-elle. 

Pourquoi ? « Parce que les travailleurs natifs recrutés sont très qualifiés, qui viennent s’ajouter à des salariés tout aussi qualifiés qu’eux, ce qui vient augmenter naturellement la productivité de l’entreprise ». 

Selon elle, chacun est donc gagnant, que ce soit les salariés, qu’ils soient natifs ou étrangers, et les entreprises, qu’elles partent de très bas ou qu’elles aient déjà une bonne productivité. « Nous avons tout de même remarqué que ce sont plutôt les petites entreprises qui ont le plus bénéficié des effets positifs de l’embauche de travailleurs étrangers ».