Malgré la réticence du gouvernement et la frilosité du patronat, la 33è session du Conseil national du travail (CNT) a placé la barre du Smig à 5 dollars, applicable dès janvier 2018. En fait, il passe 1 680 à 7 075 francs au taux de 1 415 francs le dollar. La décision a été prise à l’issue de la session du CNT à l’Institut national de préparation professionnelle (INPP). Les assises ont été présidées par le ministre d’État chargé de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance sociale, Lambert Matuku Memas. Précision : le nouveau Smig sera appliqué en 4 paliers tous les 6 mois, en raison de 25 % par palier, notamment dans le secteur agro-industriel et pastoral. Il est conditionné par la prise des mesures d’allègement.
Par ailleurs, le CNT a décidé de la création d’une commission tripartite, chargée d’examiner et statuer sur le taux journalier des allocations familiales par enfant, la quotité saisissable par l’employeur de la contrevaleur du logement et d’annuité. L’ordonnance-loi sur le Smig devra incorporer ces trois indicateurs ou taux. Tout comme le CNT a recommandé la création d’une autre commission tripartite chargée de faire le lobbying auprès du gouvernement pour la réduction des impôts professionnels sur les revenus (IPR). Par ailleurs, une autre commission technique tripartite doit être mise en place pour étudier les mécanismes de fonctionnement du nouveau cadre permanent du dialogue social dont les conclusions seront soumises aux travaux du prochain CNT.
Lambert Matuku a déclaré à la clôture des assises que « le gouvernement mettra tout en œuvre pour faciliter l’accès aux mesures d’accompagnement en vue d’une applicabilité efficace et efficiente du Smig ». D’après lui, les conclusions issues des assises du CNT témoignent de l’intérêt que tous les Congolais portent sur l’amélioration des conditions de travail en général et surtout sur le pouvoir d’achat de la masse laborieuse. Il s’est engagé à mettre tous les moyens à la disposition de la commission nationale tripartite chargée du suivi et de l’application du Smig de manière à mener les enquêtes et les études pouvant concourir à son ajustement.
L’application pose problème
L’application du Smig pose encore problème. On se demande s’il s’applique aussi aux hommes de métier comme les artisans, les hommes et femmes de ménage, etc. La loi fixe le Smig sans compter les avantages sociaux et autres. « Les gens sont pauvres parce qu’ils sont peu qualifiés et ils n’accèdent pas à des emplois mieux rémunérés », explique l’économiste Dominique Esambo. Selon lui, les indicateurs du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale qualifient de « pauvre » tout travailleur qui gagne moins de 370 dollars par mois. « L’amélioration du niveau de vie passe par une réforme du marché du travail au Congo », préconise-t-il.
Selon ce chercheur qui mène une étude à travers le pays, le marché du travail congolais est dominé par le secteur privé informel. « Les diplômés universitaires préfèrent obtenir un poste de cadre garantissant un emploi et des avantages sociaux non négligeables dans le secteur privé. En effet, un travailleur du secteur privé obtiendra un salaire de cinq à dix fois supérieur à celui qu’obtiendrait un fonctionnaire », explique-t-il. Dominique Esambo estime que la réforme du système d’enseignement est liée à celle du marché du travail. « Elle devrait réduire, sinon supprimer les privilèges des employés du secteur privé par rapport au secteur public pour les mêmes activités, de manière à annuler les distorsions. Un marché du travail fonctionnant de façon concurrentielle permettra d’allouer le capital humain aux activités les plus propices à la croissance ainsi que de réaliser des gains de productivité de chaque travailleur », souligne-t-il. Il pense que ce surplus de richesse permettra aux employeurs d’investir davantage et aux travailleurs d’avoir plus de pouvoir d’achat, améliorant ainsi leur niveau de vie.
Par ailleurs, fait-il observer, la réglementation du marché du travail est plutôt restrictive en RDC. La rigidité de la réglementation décourage les employeurs d’embaucher de nouveaux travailleurs. Les employeurs recourent de plus en plus aux « travailleurs temporaires », une pratique qui ne fait que consolider les inégalités et les exclusions dans l’accès à l’emploi. Dominique Esambo plaide pour « la décentralisation du Smig ». C’est le chef de l’État qui, après avis consultatif du CNT, en fixe le niveau par voie réglementaire (ordonnance). « Ce mode centralisé pose problème car les augmentations du salaire minimum se répercutent sur les prix à la consommation et, par conséquent, donnent lieu aux revendications pour de nouvelles revalorisations salariales. La spirale inflationniste va à l’encontre de la sauvegarde du pouvoir d’achat des travailleurs », argumente-t-il. Et de conclure : « Le niveau de vie n’étant pas le même partout dans le pays, les provinces ne peuvent donc pas avoir le même niveau de salaire minimum. Imposer aux entrepreneurs des zones les plus pauvres le même salaire minimum que les zones les plus riches les empêchera d’embaucher, de faire croître leurs entreprises et de contribuer au développement local. La loi peut toujours obliger un employeur à verser un salaire plus généreux ou à ne pas licencier, mais elle ne peut pas l’obliger à embaucher ».