Sommet Inde-Afrique: quoi de neuf pour la France ?

En 2020, la demande solvable en Afrique sera de 600 milliards de dollars. Conséquence d’une classe moyenne qui se développe dans le cadre d’un continent qui réalise des taux de croissance très importants. Les 120 millions de consommateurs attendus à cette échéance sont bien entendu l’enjeu majeur des entreprises du monde entier. Et les États, conscients de cette évolution essaient de ne rien laisser au hasard. Ils vont en Afrique et ouvrent des perspectives à leur secteur privé, à la recherche de nouveaux relais de croissance.

La Chine, les États-Unis, l’Europe, en plus d’économies moins développées comme la Turquie, y ont déjà réalisé quelques performances au détriment de la France qui, à un certain moment considérait l’Afrique comme sa chasse gardée. Le pays de Mahatma Ghandi et de Bollywood a montré lui aussi un intérêt pour le continent. Et il dipose de sérieux arguments. Pour renforcer sa présence et améliorer sa perception en Afrique, l’Inde organise tous les trois ans, le sommet Inde-Afrique. Elle en est à sa troisième édition qui s’est ouverte aujourd’hui à New Delhi, après celles de  2008 et 2011, respectivement  à New Delhi et à Addis Abeba. La France avait commencé ce processus, avec son sommet France-Afrique, mais au vu des résultats aujourd’hui, nous sommes obligés de reconnaître que les choses ont bel et bien changé.

Pour l’Inde, il s’agit d’assurer l’approvisionnement de sa croissance qui exige des sources de produits énergétiques et de matières premières. Déjà, l’Afrique couvre un cinquième des besoins indiens en pétrole. Et cette proportion est appelée à augmenter. Avec ses 8 % de croissance économique et ses 1,2 milliard d’habitants, l’Inde trouve en Afrique aussi bien une source d’approvisionnement en matières stratégiques qu’un marché juteux pour ses industries.

En cinq ans seulement les importations indiennes en acier ont été multipliées par 3. 70% de la consommation des produits pétroliers sont couverts par les importations d’Afrique. Toutefois, à la différence d’autres pays et notamment la Chine, c’est le secteur privé indien qui a pris les devants. En cinq ans, il s’est approprié 80 entreprises africaines et en dix ans il a investi 16 milliards de dollars.

La démarche est tout à fait différente de celle de la France qui mélange relations politiques et business ce qui, on l’a vu, ne fonctionne qu’à court et moyen terme, la politique étant très versatile.

L’Inde est déjà familière de certains pays africains, comme le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie, Maurice ou encore l’Afrique du Sud. Toutefois, ses besoins en matières premières l’ont poussée à explorer d’autres possibilités dans d’autres pays, plus particulièrement en Afrique centrale et de l’Ouest. C’est le cas notamment du Nigéria qui est devenu un de ses plus importants fournisseurs en pétrole. Elle a établi de bonnes relations avec la Mauritanie et le Sénégal, au cœur même de cette Afrique que la France considérait comme sienne.

Les entreprises indiennes ont rencontré un grand succès dans le continent et la raison est à chercher dans leur mode opératoire qui repose sur la production et les ressources locale. En plus, elles n’ont aucun problème avec le transfert de technologies. C’est ce qui leur donne une force face à la Chine par exemple qui a plus tendance à ne rien partager avec les pays africains. C’est aussi le reproche qu’on a souvent fait à la France.

L’Inde veut se distinguer des autres pays justement. Elle offre un partenariat de développement basé sur le respect mutuel.  Et c’est ce qu’exprime le premier ministre indien Shri Narendra Modi en soulignant que le partenariat avec l’Afrique n’est pas à sens unique  et que l’Inde a aussi beaucoup à apprendre des « nombreuses réussites en Afrique ». Une modestie qui change des comportements jugés transcendants de certains pays qui auraient plus pensé à leurs intérêts qu’à ceux des Africains. L’Inde veut montrer qu’une coopération bien conçue profite à toutes les parties, surtout lorsque les gouvernements en posent les jalons.

L’intérêt de l’Inde pour l’Afrique est certes économique, mais il n’y a pas que cet aspect. Le pays est candidat à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il est en concurrence avec l’Afrique du Sud. L’intérêt d’une entente avec ses partenaires africains est donc évident. De leur côté, les pays africains seraient rassurés d’avoir un ami au CS de l’ONU qui pourrait casser la bipolarisation de l’institution.

Pays émergent, l’Inde a encore besoin de développer davantage son économie et au 1,2 milliard d’Indiens les conditions d’une vie meilleure.

Le pays de Ghandi peut profiter de canaux déjà existants qui pourraient lui faciliter la tache du fait de leur pénétration en terre d’Afrique soit par des entreprises industrielles soit par un réseau bancaire solide bien implanté, comme le Maroc.

La France l’a peut-être déjà compris. Elle est sans doute le pays qui connaît le mieux le Maroc et surtout sa progression dans le continent. Les banques marocaines ont remplacé nombre de banques françaises qui ont quitté l’Afrique et elles semblent s’en porter bien. Les entreprises marocaines font de juteuses affaires dans plusieurs pays d’Afrique, là justement où les entreprises françaises opéraient sans concurrence.

La situation n’est pas anecdotique et nous sommes en droit de nous poser la question de savoir pourquoi la France a perdu son influence économique dans un continent qui regorge de matières premières et de sources d’énergie.

Et ce n’est pas tout, elle fait toujours pression pour maintenir le Franc CFA qui commence à être critiqué dans les pays qui l’ont adopté. La Banque de France continue, des décennies après les indépendances, de gérer la politique monétaire de 14 pays africains, incapables de jouer sur la valeur de la monnaie en fonction des conjonctures économiques.

Contrairement à la France, que ce soit dans le cas du Maroc ou de l’Inde, et c’est leur point commun, la coopération se fait dans le cadre Sud-Sud. Le Maroc a bien su employer à son avantage le concept. Quand il va dans un pays africain ce n’est pas en conquérant mais en partenaire égal qui a quelque chose à proposer mais aussi qui est à la recherche d’un enrichissement mutuel. Et pour démontrer que ces relations revêtent une grande importance pour le royaume, le roi Mohammed VI se déplace en personne pour rencontrer ses pairs africains et veiller sur les nombreux accords que le pays a signés avec plusieurs pays.

Le roi du Maroc ajoute du crédit aux relations de coopération et cela s’explique par le respect dont il jouit dans le continent. Sa démarche contre l’extrémisme séduit tous les pays où ce fléau fait des dégâts. C’est vers lui que les pouvoirs africains se tournent lorsqu’il s’agit de former les imams et les prêcheurs des mosquées. C’est aussi l’expertise marocaine en matière de gouvernance sociale qui est recherchée, notamment l’Initiative nationale de développement humain (INDH) que plusieurs pays africains tentent de reproduire avec l’aide du Maroc.

Le pays de Mohammed VI a fait petit à petit sa place dans une Afrique fortement convoitée, grâce à sa proximité avec la culture africaine à laquelle il appartient lui aussi et dont il comprend les subtilités. Et la France donc dans tout ça? Pourra-t-elle faire face aux invasions chinoises ou indiennes ? Sans doute pas toute seule. L’idée d’une association avec le Maroc fait son bonhomme de chemin et ce ne serait pas une mauvaise idée.