Sonahydroc : le ras-le-bol plein tube

Notre article sur la Société pétrolière publique, publié dans l’édition n°277, suscite encore des commentaires. La plupart des courriers émanent des agents eux-mêmes, qui mettent à notre disposition pas mal d’informations à propos surtout de la cession des actifs de « leur » entreprise

EN MATIÈRE de gouvernance pétrolière à l’échelle internationale, la Société nationale des hydrocarbures (SONAHYDROC SA) figure parmi les compagnies pétrolières publiques les moins transparentes. La compagnie pétrolière nationale se classe dans la catégorie « mauvaise gouvernance » de l’indice ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives). Aucun rapport financier annuel n’est accessible au public. En 2017, le secteur pétrolier et gazier de la République démocratique du Congo a obtenu une note de 25 sur 100, la plaçant à la 84è place sur 89 pays évalués dans le cadre de l’Indice de gouvernance des ressources naturelles (RGI). 

Sleeping Partner

L’État ne dispose d’aucune part de production à ce jour. Tout le capital technique et financier est apporté par les sociétés productrices. Lesquelles versent des revenus sous forme de royalties, impôt spécial forfaitaire sur les bénéfices, taxe statistique, frais de forage, etc. à l’État par le biais de régies financières, la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations (DGRAD) et la Direction générale des douanes et accises (DGDA). La SONAHYDROC n’effectue aucune opération de commercialisation du brut. Son rôle se limite à une contre-expertise (?) des données fournies par les sociétés productrices parce que ne disposant pas de moyens de contrôle. Bref, l’État est réduit au rôle d’un partenaire dormant (Sleeping Partner).  

En 2010, dans le cadre de la vision du gouvernement consistant à exploiter les ressources pétrolières et gazières du pays, la compagnie pétrolière nationale a reçu mission de participer à la prospection pétrolière et gazière par le biais de contrats de partage de la production et de contrats de services avec des sociétés privées, ainsi que la mission de commercialiser la part de production pétrolière revenant à l’État. 

Les agents de la SONAHYDROC font savoir que les contrats de concessions qui ont été signés, depuis, ne préservent pas les intérêts de l’État, ni de leur société, et encore moins de la population. On a encore à l’esprit le contrat de partage de production du bloc pétrolier offshore entre l’ex-COHYDRO et SONANGOL (compagnie pétrolière nationale angolaise), présenté en 2007 comme « le plus gros contrat de partage de production », dans le cadre de la Zone d’intérêt commun (ZIC) sur l’Atlantique. En 2013, le ministre des Hydrocarbures de l’époque avait soutenu que la RDC et l’Angola allaient négocier un autre accord de partage de production pour le bloc 14C dans la même ZIC. En réalité, ça n’était que « supercherie d’État », puisqu’en 2017, le gouvernement a nié jusqu’à l’existence de tels contrats. 

Un autre contrat qui a défrayé la chronique, c’est l’affaire Surestream Petroleum Ltd. Pour les agents de la SONAHYDROC, ce fut une cession « illégale » des actifs de la société, « bradés » en faveur de la société Ledya Oil & Gas (LOG), sans expertise pétrolière reconnue dans l’amont pétrolier (exploration-production) et sans assiette financière suffisante selon les normes de l’industrie pétrolière internationale. Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement avait approuvé en 2014 l’avenant n°1 au contrat de partage de production avec l’association Surestream Petroleum Ltd et l’ex-COHYDRO sur les blocs Yema et Matamba-Makanzi du bassin côtier de Muanda, sur le bloc Ndunda en partenariat avec Eni Congo, sur le bloc Nganzi avec Soco DRC et sur le bloc V dans le Graben Albertine. 

Passation des marchés

D’autres accords ont été signés avec la société FracGeo LLC, la SOMICO, Petrocam… On retiendra utilement que la procédure d’octroi de ces contrats est jugée « opaque ». Pourtant, le code des hydrocarbures de 2015 instaure la procédure de passation des marchés publics pour tout octroi de bloc pétrolier, pour améliorer la transparence. À ce jour, renseigne-t-on, aucun titre n’a été octroyé sur la base de cette nouvelle procédure. « Lorsqu’on n’a pas une évaluation correcte ou lorsqu’on fait une mauvaise évaluation des réserves, il y a possibilité de bradage ou de détournement et de corruption », se contente de souligner un expert maison. 

D’après les agents de la SONAHYDROC, la cession des actifs se fait « dans un flou total et sans contrepartie avérée ». En réalité, « une transaction opaque et à la limite mafieuse ». Conséquence : le manque à gagner pour l’État est immense. Pourtant, le pays dispose de réserves de pétrole qui pourraient nettement augmenter au fil des découvertes. Par exemple, en 2014, une réserve estimée à trois milliards de barils a été découverte. Les réserves pétrolières de la RDC se situent essentiellement dans l’Est du pays, dans des milieux naturels (cuvette centrale, littoral).

En 2014, FracGeo LLC qui a son siège à Houston (États-Unis), avait proposé à la RDC un projet de « digitalisation et vectorisation des données existantes » et de « traitement des données numérisées » par la méthode 3G (géologie, géophysique et géo-mécanique) dans ses centres à Houston et à Pau en France. Le projet visait « l’optimisation de la production des réserves et la découverte des ressources additionnelles, notamment dans la zone du bassin côtier : blocs de Nganzi ainsi que Yema Matamba/Makanzi/Ndunda, et dans la cuvette centrale. FracGeo a estimé le coût du projet à 2 millions de dollars, mais était prête à consentir une remise de 800 000 dollars. 

Cependant, Augustin Matata Ponyo, alors 1ER Ministre, avait, après analyse, retoqué ce projet. En témoigne sa correspondance (CAB/PM/COHC/ME/2014/16532) adressée en date du 9 décembre 2014 au ministre des Hydrocarbures : « La précarité des données existantes de nos bassins sédimentaires ne permet pas d’évaluer le potentiel par la méthode proposée… » Néanmoins, il autorisa, « en attendant l’acquisition des données nouvelles », de « procéder à la digitalisation et la vectorisation des données existantes en vue de les archiver sur des supports fiables ». Et tout en prévenant également que « les travaux d’exploration (nouvelles acquisitions) demeurent encore l’un des préalables pour la certification des réserves pétrolières des bassins de la RDC ».

C’est à la suite de ces « observations pertinentes », lit-on dans une note technique interne à la SONAHYDROC, que « le contrat d’assistance RDC/FracGeo a été reporté par le 1ER Ministre ». 

En dépit de cela, la SONAHYDROC signera quand même un accord d’assistance technique avec FracGeo pour la réalisation de la revue des données techniques d’exploration du Graben Tanganyika. Et sur base de cet accord, le ministre des Hydrocarbures de l’époque va signer le protocole d’accord y afférant avec l’association SONAHYDROC/LOG. 

Le projet vise la certification des potentiels pétroliers et est préfinancé par LOG Sarl à hauteur de 450 000 dollars. Dans ce protocole d’accord, il est dit que « le ministère des Hydrocarbures attribuera par appel d’offre restreint  tous les meilleurs blocs retenus par l’étude à l’association, conformément à la loi n°12/012 du 1er août 2015 et non à la loi n°12/012 du 1er août 2015 sur le régime général des hydrocarbures ».

Selon la note technique consultée par nous, « la revue des données techniques attendue de ce protocole d’accord se fonde sur le traitement des données préexistantes du Graben Tanganyika ». Cependant, de l’avis des experts de la SONAHYDROC, « l’absence d’une nouvelle acquisition des données plus élaborées ne pourra aucunement permettre à FracGeo de certifier des réserves en hydrocarbures du Graben Tanganyika ». C’est dire : « Sauf avis contraire d’un expert assermenté, cette revue ne pourra jamais orienter le gouvernement à négocier en connaissance de cause la hauteur de bonus de signature des CPP et autres redevances dues à l’État à une hauteur appréciable. »