Le gouvernement a-t-il raison de mettre en avant les chiffres positifs de la croissance enregistrés depuis quelques années alors que la population vit de plus en plus difficilement ? C’est pour répondre à ce dilemme qu’a eu lieu, à Kinshasa, une « Conférence de haut niveau pour une croissance économique inclusive en RDC », organisée par l’exécutif congolais et l’université de Harvard, les 8 et 9 janvier.
C’est devenu une mécanique bien huilée que l’on peut répéter à souhait en changeant juste le nom de la conférence et certains acteurs comme une maquette adaptable. L’« initiateur » est toujours le même, le Premier ministre Matata Ponyo. Sa machine à communiquer parvient à transformer une conférence en événement international, voire une vitrine. Le comité d’organisation, bien rodé, s’active pour faire respecter les différentes phases et étapes de l’événement, selon un chronogramme préétabli. Depuis son arrivée à la primature, Matata Ponyo a déjà organisé, notamment, une conférence sur la gestion des ressources naturelles. C’était en 2012. L’année suivante, ce fut le tour du Forum économique international. Pour la Conférence de haut niveau sur la croissance inclusive économique en RDC, le gouvernement congolais a invité des professeurs de l’université américaine de Harvard (coorganisatrice de la rencontre) et d’autres universités du Nouveau Monde et d’Europe pour réfléchir à la meilleure façon de faire goûter les fruits de la croissance économique à la population congolaise, l’une des plus pauvres au monde, malgré les immenses ressources naturelles dont regorge le pays. En somme, il s’est agi d’une sorte d’état des lieux et d’une appropriation des expériences ayant réussi ailleurs, selon les termes utilisés par les organisateurs.
Une réponse aux critiques
L’initiative est, certes, louable car la RDC a, à son compteur, douze années consécutives de croissance économique. Elle se classe dans le top 10 des pays du monde ayant entrepris des réformes. Avec 8,9% de croissance et un taux d’inflation de 1%, le pays a réalisé de bonnes performances macroéconomiques. Le gouvernement n’a de cesse de le répéter et de le rappeler à longueur de journées. Mais pour ses détracteurs, ces résultats économiques n’ont pas sorti la majorité des Congolais de la grande pauvreté, ajoutant que le secteur moteur de cette croissance, les mines, ne rapporte presque rien à l’économie et à l’État en termes de recettes substantielles (presque un million de tonnes de cuivre produit pour seulement 400 millions de dollars de recettes pour le Trésor public). Conséquence, la RDC, en matière de développement et de climat des affaires occupe les dernières places (185ème dans le classement du Doing Business, 186ème place pour l’indice de développement humain, IDH, 154ème place dans le classement de Transparency International). Le chômage est passé de 90% à 70% en presque douze ans et touche majoritairement des jeunes (une bombe à retardement), pendant que 70% des Congolais vivent en dessous du seuil de pauvreté (avec moins de deux dollars par jour) et la misère semble ne pas reculer. À travers cette conférence, Matata Ponyo a sans doute cherché à répondre à ceux qui lui reprochent de trop s’attacher à la stabilité macroéconomique au détriment du bien-être de la population. « Les effets distributifs de la croissance demeurent encore faibles mais commencent à être ressentis par la majorité de la population », a-t-il relevé dans son discours d’ouverture. Face à la presse, le chef du gouvernement a affirmé que la diversification des secteurs de l’économie est la voie royale pour développer la RDC, créer des emplois et éradiquer la pauvreté. Il a fait allusion aux mines dont il faut augmenter la valeur ajoutée. L’agriculture, l’industrie manufacturière, le tourisme, l’hydroélectricité et bien d’autres secteurs…
Le diagnostic des « professeurs et experts »
La première impression qu’on a de ce genre de forums est que les intervenants étrangers ont une meilleure maîtrise des problèmes de la RDC. Leurs analyses semblent actuelles et fournies, pour ne pas dire pertinentes. Il est vrai que « ces professeurs et experts » venus d’ailleurs ont des meilleures conditions de travail. Ce qui n’est pas toujours le cas pour l’élite locale. Celle-ci arrive à sortir la tête de l’eau extra-muros ou en travaillant pour certains chercheurs dans des grandes universités occidentales. Ici la palme revient au professeur émérite belge Stefaan Marysse, qui a parlé de «rente minière et croissance cloisonnée », une parfaite illustration de l’extraversion économique en RDC. Son propos est illustré par deux chiffres comparatifs entre deux pays dont le cuivre est la principale source de revenus : 370 millions de dollars de recettes pour la RDC et… 35 milliards pour le Chili. Le rapport est de 1 à 100. On peut croire à la malédiction des richesses pour la RDC. Mais le professeur Ragnar Tovik, de la Norwegian Technology and Science University, a montré comment y échapper en parlant de ressources naturelles, de croissance et de gouvernance.
Une prise en compte de l’espace
L’intérêt de cette conférence est aussi de présenter les études qui abordent les aspects spatiaux de la RDC. C’est le cas de l’exposé sur les contraintes géographiques, l’aménagement du territoire et le développement régional du professeur Roland Pourtier de l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a mis en exergue le manque de centralité géographique de la RDC. Avec cette belle formule sur les routes : « L’état des route a signé la déroute de l’État. » Le vice-président de la Banque mondiale, Makhtar Diop, a plaidé pour l’investissement dans le capital humain et le développement des emplois jeunes en RDC. Mais qui dit capital humain dit espérance de vie et productivité. Des maladies comme le paludisme sont des vrais fardeaux qui bloquent le décollage de l’Afrique. La croissance économique est souvent reportée à l’évolution de la population. « Il faut la connaître », a affirmé le démographe par le père Léon de Saint Moulin, historien et professeur émérite à l’université de Kinshasa. La trame des exposés a fait état d’un cercle vicieux de la pauvreté qui résulte du chômage, des pillages de triste mémoire, des guerres, de la faiblesse de l’État. Le nouveau défi est environnemental pour l’amorce d’un développement durable. D’où l’idée selon laquelle la protection de l’environnement ne doit pas se faire au détriment du développement.
« Les solutions » préconisées
À y regarder de plus près, on peut se dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Le gouvernement Matata a néanmoins le mérite de regarder en face les vrais problèmes et d’essayer de trouver des solutions. Mais comment capitaliser le résultat des prestations scientifiques de haut niveau ? Les participants ont proposé la convocation d’un forum national pour un meilleur suivi et un approfondissement des 57 recommandations de la conférence. Certaines ont particulièrement intéressé le Premier ministre, comme la justice spatiale dans l’aménagement du territoire. Selon les experts, la gestion des ressources naturelles passe par la mise sur pied d’institutions fortes, crédibles et de qualité pour que la rente minière profite réellement et durablement à la population. L’augmentation de l’espérance de vie de la population doit devenir un véritable enjeu pour permettre à celle-ci d’accumuler des connaissances et d’être plus longtemps productive. La démocratie doit être promue surtout comme moyen pour les électeurs d’identifier des candidats compétents et jouissant d’une bonne réputation. Quant à la décentralisation, il faut qu’elle soit bien pensée, bien conçue pour être bien appliquée. En ce qui concerne la gestion de l’environnement, elle doit être l’objet d’arbitrages judicieux sans tomber dans des conservatismes « stériles et appauvrissant ».
Pour une meilleure appropriation des recommandations
Les experts et professeurs congolais se sont mis à « l’école » pour « une appropriation des expériences réussies des autres ». N’aurait-il pas fallu aux Congolais d’identifier eux-mêmes leurs problèmes et proposer leurs propres solutions ? Une fois les recommandations et leurs politiques élaborées, ils auraient pu les passer au feu des critiques de l’expertise étrangère. L’échange n’aurait été que plus enrichissant pour tous. L’avantage est surtout une meilleure mise en valeur de l’expertise nationale et une appropriation quasi assurée des recommandations qui auront fait l’objet à chaque niveau d’un consensus national.