La traite des êtres humains est en augmentation, selon le dernier rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (1). En 2016, 70 % des personnes qui en étaient victimes étaient des femmes ou des jeunes filles. En Afrique subsaharienne, le travail forcé des enfants reste la forme d’exploitation la plus fréquente. Mais 31 % des victimes de traite dans cette région le sont à des fins d’exploitation sexuelle, en tant qu’esclaves en situation de conflit armé ou prostituées dans les centres urbains et les zones touristiques (2).
Le Sénégal, et plus particulièrement la station balnéaire de Saly, située sur la «Petite Côte», à 60 kilomètres au sud de Dakar, joue un rôle spécifique dans la structuration des réseaux de traite qui alimentent le marché européen de la prostitution. Les jeunes filles exploitées à Saly sont souvent mineures, mais toutes ont tendance à majorer leur âge, conformément aux instructions données par les trafiquants qui les séquestrent et les obligent à se prostituer (3).
Elles sont sénégalaises ou étrangères ; 17 nationalités ont été répertoriées ; les plus nombreuses sont burkinabées, camerounaises, gambiennes, ghanéennes, ivoiriennes, maliennes, nigérianes, sierra-léonaises, parfois thaïlandaises ou chinoises. Toutes ont transité par d’autres lieux d’exploitation sexuelle, principalement des pôles touristiques situés en Gambie ou en Guinée-Bissau, la ville de Ziguinchor en Casamance, région encore fragilisée par un conflit armé de plus de trente ans, mais aussi des bassins miniers de bauxite en Guinée et des sites d’orpaillage du Sénégal oriental. Certaines effectuent une étape préliminaire au Bénin. A Cotonou, les personnes qui les ont recrutées rencontrent notamment des femmes de Kédougou, ville du bassin aurifère du Sénégal oriental, qui viennent négocier leur «achat». A ce moment-là, la jeune fille vendue ne connaît pas les termes de la négociation ; elle découvre la réalité seulement à son arrivée sur le site d’orpaillage. Ses pièces d’identité lui sont confisquées. Le prix du rachat d’une hypothétique liberté est fixé par les «maîtres» ou les «patrons» à 3 000 euros environ. Pour s’affranchir de cette «dette», les jeunes filles se prostituent et font des versements quotidiens, enregistrés dans des carnets par les «gestionnaires». Ce fut le cas de Mercy, une jeune Nigériane, à qui un trafiquant avait promis une vie meilleure et des études supérieures en Angleterre (4) : «Je suis venue il y a deux ans. J’ai été amenée par un homme qui m’a forcée à coucher avec lui d’abord, puis à me prostituer pour racheter ma liberté» (Saly, juillet 2018).
Les réseaux de traite implantés à Saly reposent sur une organisation très hiérarchisée. Ils réunissent cinq à dix jeunes filles, étrangères ou sénégalaises ; elles sont exploitées dans les rues et les bars. Parmi elles, Fatu, jeune Sierra-Léonaise, a été volée sur le chemin de l’école, puis conduite dans un hôtel avant d’être vendue par un homme qu’elle n’a jamais revu depuis qu’elle est arrivée à Saly. Son souhait le plus cher est de retrouver les siens : «Je veux rentrer ; je n’ai jamais exercé le métier de prostituée auparavant», dit-elle (Saly, juillet 2018). Ces jeunes filles sont «encadrées» par des «tantes» plus âgées : elles-mêmes victimes de traite, elles sont utilisées par les trafiquants pour recruter de nouvelles victimes (5). Ces «madam’s» espèrent ainsi solder leur «dette» et gèrent les jeunes filles pour le compte des «tuteurs» et des «fiancés» qui sont un à deux par réseau, le plus souvent nigérians ou italiens. Ainsi, bien que les réseaux de traite se déploient principalement à l’échelle régionale en Afrique de l’Ouest (6), d’importantes routes de trafic international se structurent autour de pôles touristiques comme Saly où les jeunes victimes sont non seulement exploitées, mais également «initiées» aux pratiques du marché européen de la prostitution.
Entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe, le Sénégal occupe désormais une position stratégique sur les routes de la traite des jeunes filles à des fins d’exploitation sexuelle.
(1) Onudc – Global Report on Trafficking in Persons, 88 p., 2019.
(2) Ibid.
(3) La prostitution est autorisée au Sénégal pour toutes les personnes majeures disposant d’un carnet sanitaire et social en cours de validité.
(4) Par souci de confidentialité, tous les prénoms utilisés sont fictifs.
(5) Les «tantes» sont généralement des femmes plus âgées qui gèrent au quotidien l’exploitation sexuelle des plus jeunes. Appelées également «madam’s» en anglais.
(6) Onudc (2019) Ibid.