André Kadima Kayembe est un opérateur privé averti. Il a pré féré investir dans le secteur du tourisme où il excelle tant bien que mal. Il est patron du restaurant la Chaumière situé tout juste en face de l’Ambassade sud-africaine à Kinshasa. Ce restaurant, qui fait le plein entre midi et les heures tardives du soir, est fréquenté habituellement pour ses buffets et autres mets qu’il propose depuis plus de 15 ans. Parfois, il est le point de chute de beaucoup d’habitués au menu que propose le restaurateur. La sérénité et l’offre sont parmi les préférences de ses clients. Non loin de là, André Kadima s’occupe de son luxeux hôtel African Dream; hôtel situé à proximité du cimetière de la Gombe et d’un autre situé vers le rond-point Forescom. André Kadima n’est pas aussi limité. Il a préféré embrasser un autre secteur lié toujours au tourisme. A cet effet, il a signé un contrat de gestion du parc animalier de la N’sele avec l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). Une sorte de contrat public-privé. En ami de la nature, André Kadima a sauté, sans hésiter, sur une bonne occasion afin de préserver ce qui reste encore de ce jardin zoologique après plusieurs pillages à répétition. Ce parc est constitué d’une trentaine d’espèces animales qui font la joie de plusieurs
BUSINESS ET FINANCES
Le tourisme est-il un secteur porteur en RD Congo?
André Kadima Kayembe
Le tourisme est un secteur très important et négligé dans notre pays. Il y a des pays qui ne vivent rien qu’avec le tourisme. Le Kenya est un pays-phare en la matière. A elle seule, l’Afrique du Sud, a enregistré un chiffre non négligeable de 9 millions de touristes l’année der nière. Parmi eux, des malades qui sont allés se faire soigner. Faites un calcul simple, si un seul touriste arrive à dépenser au moins 1.000 dollars américains pour avoir l’idée de ce qui peut revenir à l’Etat sud africain? Nous savons que la RD Congo est un grand pays touristique par excellence. Nous ne pouvons pas continuer de pleurer. Après les pleurs, on essuie ses yeux pour bien regarder les choses en face. On ne doit pas toujours compter sur les autres éternellement.
BEF – La RD Congo peut-elle vivre de son tourisme à l’instar des pays comme le Kenya, l’Egypte ou l’Afrique du Sud?
Le Congo a beaucoup de diversités touristiques qui peuvent attirer bon nombre de touristes à travers le monde. La RD Congo est un grand pays touristique. Nous avons beaucoup d’endroits à faire visiter aux touristes. Mais, rien n’est fait jusqu’à ce jour pour accéder à ces endroits. Prenez le cas de la réserve des Okapi à Epulu, en Province-Orientale, vous vous rendrez compte que beaucoup de touristes préfèrent y effectuer un bon séjour à la découverte des espèces rares. Mais, quelle gymnastique faire pour y arriver. Nos routes très chaotiques ne favorisent pas ce genre de tourisme dans une telle réserve. Epulu est très célèbre. Beaucoup de touristes rêvent d’y aller. Que faire pour y accéder? Si ce n’est que par avion. Et à quel prix? Voilà tout le problème.
BEF – Avec tous les détails énumérés, pensez-vous que notre pays s’en sort bien?
Du point de vue sécuritaire par exemple, la RD Congo dépasse de très loin beaucoup de pays qui sont visités par les touristes. Vous ne me direz pas que l’Afrique du Sud est plus sûre que la RD Congo. C’est à ce niveau que le gouvernement congolais devrait faire appel aux véritables spécialistes des pays avancés pour développer notre tourisme. Quand le tourisme congolais reprendra, nous serons en mesure de récupérer tout ce que les autres pays nous ont volé. Nous serons une destination de premier choix pour les touristes étrangers. Dans notre pays, chaque province est un lieu touristique. Un exemple suffit. Mbandaka est une ville magni fique. Je peux la comparer facilement à Venise (Italie) pour ses différents îlots qui l’entourent. Vous pouvez perdre de l’altitude et atterrir sur ces ilots sans difficulté aucune.
BEF – Qu’est-ce qui empêche alors le tourisme congolais de pouvoir se développer?
Le tourisme est un problème de tous. La RD Congo est le seul pays au monde qui est très mal vendu par ses propres enfants. Ils le critiquent devant les étrangers. Ils leur font voir qu’il n’y a rien qui marche. Dans ces conditions, comment voulez-vous attirer les probables touristes au pays? Voyez vous à quel prix le président Alassane Ouattara s’est battu pour le retour du siège de la Banque africaine de développement (BAD) à Abidjan. Le président ivoirien savait davantage qu’en ayant obtenu le retour du siège de la BAD à Abidjan, comme c’était le cas avant la crise militaro-politique d’il y a plus de dix ans, la Côte d’Ivoire s’ouvrirait plus au monde. Beaucoup de délégations venues de partout passeront par Abidjan. Le cas de l’Ethiopie avec le siège de l’Union africaine (UA) à Addis Abeba est plus frappant. Combien de personnes s’amènent dans ce pays lors des différents sommets de l’organisation. Je parle uniquement de ceux qui composent les délégations des chefs d’Etat. Pouvez-vous vous imaginer encore le nombre de personnes qui se déversent dans la ville de New York lors des assemblées générales de l’ONU? Notre pays devrait, à son tour, chercher à offrir les conditions nécessaires à l’implantation des sièges de certains organismes internationaux à Kinshasa. Cette condition est plus que nécessaire pour développer notre tou risme en si peu de temps. Paris ou Genève sont très attractifs par le fait qu’ils abritent les sièges de certaines organisations telles que l’UNESCO, l’OMS, la Commission des Droits de l’homme des Nations Unies et la FIFA.
BEF – Voulez-vous dire que le retard pris par la RD Congo ne sera jamais comblé un jour?
J’ai foi que ce retard sera comblé. Il faut plutôt admettre que le retard est là. Ainsi, pour développer notre tourisme, nous devons d’abord réhabiliter nos propres infrastructures de base. Améliorer notre système de santé, restaurer nos parcs nationaux et valoriser surtout les autres sites touristiques existants. Faire de certaines chutes des lieux touristiques qui peuvent attirer les touristes. Adapter nos compagnies d’aviation aux standards internationaux. Parce qu’à ce niveau beaucoup d’expatriés résidant à Kinshasa préfèrent transiter par Nairobi pour atteindre la ville de Lubumbashi par avion. Chose rare au monde. Ils pensent que nos avions ne rassurent pas. Voilà par où on peut déjà créer les conditions dignes d’un tourisme que nous attendons. Le tourisme, c’est une affaire de tous. Nous ne devons pas toujours jeter la balle aux autorités pour dire qu’elles ne font rien. Il faut penser également au tourisme scolaire qu’il faut développer. Je constate que beaucoup de nos enfants kinois n’ont jamais visité Maluku à quelques dizaines de kilomètres. Que dire alors de la province du Bandundu ou du Bas-Congo si proches de Kinshasa?
BEF – Dans ces conditions, pensez-vous qu’il est aussi possible de développer le tourisme scolaire?
J’amène déjà les enfants vers plusieurs destinations. Je suis en pourparlers avec le ministère de l’EPSP pour tenter de créer les conditions propices au développement du tourisme scolaire. Ce genre de tourisme est préférable à tout le reste.
BEF – Voulez-vous dire que le Congolais n’a pas la culture du tourisme?
Non. Les Congolais aiment le tourisme. Ce qui leur fait défaut, c’est plutôt le pouvoir d’achat qui est encore faible. Nous ne sommes que 70 millions d’habitants. Avec un pouvoir d’achat élevé, tous ces millions des Congolais auront à réserver une part de leur budget au tou risme. Pour le moment, le tourisme ne figure pas parmi ses priorités.
BEF – Que dites-vous de ces opérateurs privés qui se lancent dans la construction des hôtels et des sites touristiques à travers la ville?
Je les encourage à faire plus. Ne comptez pas le nombre d’hôtels déjà érigés. Ce n’est pas encore assez. Nous n’avons pas encore atteint 5.000 chambres d’hôtels. Nous ne pouvons pas non plus loger 5.000 personnes à Kinshasa. Nous sommes encore loin du seuil acceptable. Au besoin, nous devons doubler beaucoup d’efforts en ce sens. Les organisateurs du XIVè Sommet de la Francophonie ne savaient où mettre la tête pour loger les hôtes de la RD Congo. Par moment, ils envisageaient de passer de l’autre côté du fleuve Congo, à Brazzaville. Un vrai casse-tête pour les organisateurs. Pour ce qui est des sites, prenons le cas du site de Zongo. Il est devenu un merveilleux cadre prisé par beaucoup de touristes. Zongo d’avant n’est pas comparable à celui réhabilité aujourd’hui. Il affiche plein. Un autre site à ne pas oublier, c’est le site de la N’sele. Celui-là répond aux normes touristiques. Il est plus développé que n’importe quel autre site touristique au Congo. Il est adapté au tourisme international. Vous avez d’une part le parc, l’hôtel, la salle des congrès, le restaurant, le complexe DAIPN, et de l’autre, la porcherie et le poulailler. Un ensemble complet qu’il faut réhabiliter sans attendre. Vous pouvez y accéder par la route, par bateau et en avion. Un héliport a été construit à cet effet.
BEF – Pourquoi avez-vous préféré vous occuper de la gestion du Parc de la N’sele?
Nous avions signé un contrat de gestion de dix ans avec l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). Cela fait deux ans depuis que nous avons les choses en main. Nous l’avions trouvé dans un état de délabre ment total parce que vandalisé quelques années auparavant. Aujourd’hui, nous y avons placé 30 bêtes qui attirent les touristes. Le parc est ouvert chaque jour. Nous comptons y ériger un bungalow et une salle de conférences.
BEF – Quelles sont les espèces animales que vous logez dans ce sanctuaire?
Sur les 30, nous avons les ânes, les babouins, les singes, les dindes, les oies, les crocodiles de marécage et les serpents. Ce genre de crocodiles venus de Mbandaka ne résistent pas à Kinshasa. Ils n’arrivent pas à s’acclimater ici. C’est pourquoi, nous avons décidé de construire des enclos en lieu et place des cages. Le plus souvent, nous recourons à des amis vivant en provinces pour acheter des bêtes. Actuellement, je peux vous affirmer que le parc est fréquentable.
BEF – Les opérateurs privés, qui se lancent dans l’hôtellerie, comme c’est le cas aujourd’hui, ne sont pas du tout soutenus par le gouvernement. Comment jugez-vous pareille situation?
Le gouvernement congolais devrait favoriser la production au niveau interne. C’est-à-dire produire tout matériel interve nant dans la construction. Ceux qui s’aventurent dans ce secteur souffrent du manque du matériel adéquat devant embellir nos hôtels. Tout est cher s’il faut compter avec ce que le marché congolais nous offre. On importe tout, même les clous. Tout cela a de l’incidence sur le prix de la chambre. Celui qui investit a tendance à rentrer dans ses frais le mois suivant. Commençons par produire ici chez-nous pour qu’on arrive à réduire les coûts. Oui. Construire des hôtels n’est pas l’apanage des seuls Congolais. Les étrangers sont aussi appelés à nous emboîter le pas. L’Etat doit inciter les banques à octroyer beaucoup de crédits à long terme aux opérateurs désireux d’investir dans ce secteur si important. C’est avec nos propres moyens que nous parvenons à investir. Ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays.
André Kadima a signé un contrat de gestion du parc animalier de la N’sele de 30 espèces avec l’ICCN.