LA VIE des enfants au XXIe siècle est très différente – et même plus complexe, ajouteront certains – que ce qu’elle pouvait être aux époques précédentes. Mais, s’il y a une chose qui ne change pas, c’est bien que les enfants adorent jouer et que cette activité reste l’un des moyens les plus efficaces pour eux d’apprendre durant les premières années de leur vie.
Dans les scénarios qu’ils élaborent, les enfants font preuve d’imagination et de créativité, posent des problèmes et les résolvent dans des contextes motivants, qui font sens pour eux. Alors que les programmes de qualité dédiés à la petite enfance réservent de plus en plus souvent du temps pour des séances de jeu libre, les parents sont eux aussi bien décidés à aller dans ce sens, en misant sur divers jeux éducatifs.
Ceci dit, qui n’a jamais vu un enfant s’amuser avec l’emballage du cadeau qu’on vient de lui faire, plutôt qu’avec le jeu qui s’y trouve ? Et les baby-boomers de se souvenir de ces bouts de bois qu’ils transformaient en baguettes magiques et des vieux draps qu’ils récupéraient pour créer des décors.
Au-delà des discours promotionnels
Alors cet embarras de choix, caractéristique du XXIe siècle, peut-il aller de pair avec la conviction que le jeu est par définition « éducatif » ? Les catalogues et les sites web invitent avec insistance les parents à s’intéresser à ces jeux qui seraient bénéfiques pour le développement cognitif de leur enfant et respectant soi-disant leur créativité.
Aucune preuve ne vient en général soutenir ce genre d’allégations et il s’avère que ces jeux, très coûteux, ont souvent une portée limitée, sauf si les parents aident leurs enfants à s’en servir correctement. Dans de nombreux cas, ils sont liés à des franchises (Disney, Pixar) qui se préoccupent avant tout de promouvoir leurs produits plus que de savoir s’ils ont une valeur éducative.
Prenons l’exemple de ce magazine en ligne présentant les quatorze jeux les plus efficaces pour stimuler le cerveau des tout-petits, développer leurs compétences et leur raisonnement. Parmi eux, l’on trouve une chenille avec une ficelle à tirer, présentée comme un jeu « stimulant pour l’imagination, propre à divertir les enfants pendant des heures ». Sans en dire plus, toutefois, sur les scénarios de possibles, au-delà du fait de balader cette chenille.
Autre exemple, le casse-tête du robot, conçu dans un bois de bonne qualité, coloré, et qui prétend apprendre aux enfants à associer des images – à partir de trois simples formes. Il est fort probable que ce but soit atteint, mais le prix à payer pour ce résultat est un peu élevé.
Jeux novateurs ou simples franchises
La valeur éducative des jeux tient essentiellement aux interactions de parents avec leurs enfants, de leurs questions, des informations qu’ils peuvent faire passer sur les robots ou les chenilles – dans le cas présent – et de la considération qu’ils vont éveiller, à partir de là, pour les vrais insectes, présentés comme partie intégrante de leur environnement quotidien.
Les remises de prix sacrant « les jeux de l’année » donnent un aperçu des jeux qui sont considérés comme les meilleurs du secteur. Lors des « Toy of the Year Awards » (ndlr : décernés aux États-Unis, des « Oscars du jouet », en quelque sorte), GoldieBlox et son métier à tisser ont été primés en 2014 dans deux des quinze catégories, celles du « choix du public » et du « jeu éducatif de l’année » – couronnant un jeu censé « aider les enfants à développer des connaissances ou des compétences particulières ».
C’est aussi une agréable surprise de voir que la société éditrice du jeu se donne comme objectif « d’inspirer la prochaine génération de femmes ingénieures ». Voici ce qu’on peut lire sur son site : « Les jeux de construction aident les enfants à mieux appréhender l’espace et développent le goût des mathématiques et des sciences.
Pendant des décennies, on les a plutôt destinés aux garçons. Jusqu’à aujourd’hui. GoldieBlox est un livre interactif et un jouet de construction mettant en vedette Goldie, une petite fille qui invente des machines simples pour résoudre ses problèmes. Il est temps de raconter des histoires d’un nouveau genre pour aider nos filles à construire leur avenir. »
Le prix comportait aussi une catégorie distincte pour les garçons, une autre pour les filles, qui ont été respectivement attribuées à une figurine de Moi moche et méchant et à des bracelets élastiques à tisser « rainbow loom » (aussi proposés par la société GoldieBlox). Le premier étant tiré d’une franchise de film, il n’offre pas beaucoup d’autres possibilités aux enfants que de rejouer des scènes avec des personnages aux caractères déjà définis.
Ainsi, bien qu’il y ait des sociétés inspirantes qui se posent en soutien du féminisme, il y a également une surabondance de jeux liés à des franchises qui, non seulement, maintiennent les rôles traditionnels des deux sexes, mais fixent aussi des limites à la créativité de l’enfant. Ils ne peuvent donc en aucun cas être considérés comme éducatifs.
Des moments en famille
Les parents et éducateurs ne doivent pas croire qu’il suffirait de proposer un jeu à l’enfant pour que des apprentissages se fassent spontanément. Le rôle des adultes dans l’environnement du jeu est crucial.
Il est important de réaliser que les plus jeunes enfants ont besoin de temps pour explorer le monde et pour jouer, et de comprendre que le fait de les accompagner dans ces activités n’est pas seulement l’occasion de communiquer dans un contexte plus sympathique. C’est aussi un tremplin pour les aider à mieux s’exprimer et mieux comprendre leur environnement.
Beaucoup de parents semblent acheter des jeux et du matériel éducatif pour divertir et instruire leurs enfants, tout en les occupant pendant qu’eux-mêmes consacrent du temps à d’autres activités. Cela peut marcher lorsqu’il s’agit de jeux de qualité, certes. Mais il ne faut pas perdre de vue que les moments de jeux en commun représentent des opportunités de guider votre enfant dans ses explorations et de lui transmettre un vocabulaire qu’il pourra utiliser dans d’autres contextes.
Le jeu fait partie du rôle des parents qui veulent offrir le meilleur environnement d’apprentissage possible à leurs enfants. Ils peuvent éveiller leur curiosité des plus jeunes en leur posant toute une série de questions simples : « De quoi s’agit-il ? », « Que fait le personnage ? », « De quelle couleur est-ce ? », « Peux-tu me montrer… » ? « Peux-tu me dire combien… ? » Ils devraient aussi poser des questions comme : « Que pensez-vous qu’il se passera si… ? », « Pouvez-vous penser à une autre façon de construire/ouvrir/créer… ? »
De telles interactions permettent non seulement aux enfants d’identifier et de situer les choses, mais les mettent aussi dans des situations où ils peuvent penser, suggérer et tester des idées sans risque.
Alors que nous approchons de Noël, la plus grande saison d’achat de jouets de l’année, aux parents de cultiver aussi un peu leur propre créativité, de réapprendre à jouer, et, surtout, de soutenir les découvertes de leurs enfants en n’hésitant pas à leur poser des questions au fil des activités. Le potentiel éducatif des jeux dépend plus de la manière dont on les utilise que de l’étiquette apposée sur leur emballage.
*Nicola Yelland, Professor of Early Childhood Studies, Flinders University.