Ça y est. Ils vont enfin franchir le Rubicon. Le débrayage dans l’exploitation des activités fluviales aura lieu. Ce 28 avril 2014 est la date arrêtée. Ainsi l’ont décidé, le lundi de Pâques 2014, les armateurs et les propriétaires des ports fluviaux réunis au siège de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC) à Kinshasa. Après l’arrêt d’activités amorcé, depuis le 14 avril 2014, à l’Est de la RDC, à la suite de l’instauration d’une nouvelle taxe de 10$ par tonne de produits vivriers imposée aux armateurs par le Gouverneur du Nord-Kivu, le mouvement s’étend, à présent, à Kinshasa.
C’est certain que les exploitants des voies navigables intérieures ruminent encore la désagréable impression d’avoir été les « dindons de la farce » dans leurs pourparlers avec les instances gouvernementales sur les difficultés qui minent leur secteur d’activités. Après leur mémo adressé au 1er Ministre, le 21 Janvier 2014, resté un bon moment sans écho et relayé, ensuite, par le spectre du débrayage qu’ils avaient fait planer, finalement plusieurs jours, courant février 2014, avaient pratiquement été consacrées aux échanges, sous l’égide du Ministère des Transports, entre les opérateurs fluviaux et les structures étatiques impliquées ou qui « s’invitent » dans l’exploitation des activités fluviales. L’objectif affiché était de rechercher la légalité de chacune des présences de ces dernières et celle des actes dont elles se prévalent en vue d’assainir l’environnement et le climat des affaires dans cette filière d’activités. Les négociations achevées, procès-verbaux des négociations signés par les différentes parties, voici déjà deux mois passé, c’est de nouveau un silence radio ambigu qui entoure l’attente d’un texte légal qui devra régir, dans la sérénité, ce secteur. L’urgence s’est apparemment muée en accessoire. Très courroucés, les transporteurs fluviaux ont pris l’option de passer à la vitesse supérieure. Marquer un temps d’arrêt dans leurs activités. Mais que peut bien représenter, pour Kinshasa et les autres grandes villes congolaises desservis par le trafic fluvial et lacustre, un arrêt d’activités sur les cours d’eau intérieurs par les armateurs ?
L
e secteur d’exploitation d’activités fluviales en RDC, c’est, à l’arrivée comme au départ de Kinshasa, environ 90% de tonnes de marchandises manipulées. Plus d’un million de tonnes. D’autre part, c’est aussi 47,2% d’emploi urbain et plus de 36,8% de revenu de ménage rural. Et enfin, l’approvisionnement de près de 80% de produits agricoles vivriers. Sans nul doute, l’incidence directe d’une telle action sera la pénurie des produits agricoles vivriers dans la plupart des centres urbains. La démarche des armateurs est sous-tendue par la volonté, somme toute légitime, de voir les autorités gouvernementales s’atteler à améliorer le climat des affaires dans un secteur où les tracasseries administratives, policières et militaires foisonnent. On y relève aussi une criante multiplicité des services qui y interviennent ainsi que la perception des taxes, frais et droits qui n’ont aucune légalité.
L’insuffisance de balisage et de dragage de voies navigables sur le Fleuve Congo et ses affluents constituent assurément un écueil majeur pour une exploitation efficiente et optimale du transport fluvial. Par ailleurs, il y a aussi la présence à bord des bateaux cargos des nombreuses personnes porteuses des réquisitions et feuilles de route émises par différents services étatiques qui sont imposées aux armateurs. Ce phénomène dit « passagers clandestins » surcharge les armateurs et les expose aux amendes et tracasseries, sans parler des accidents susceptibles de survenir. Et en fin de compte, l’anachronisme de certains textes légaux et réglementaires en RDC rajoute encore plus de confusions que l’éclairage et l’ordre qu’ils sont sensés apporter.
Des taxes, toujours des taxes et encore plus des taxes pour une économie de « cueillette »
L’armateur voit généralement s’ériger sur son parcours des pesanteurs d’ordre divers qui émoussent tout espoir de rendement. En première ligne figure le prix de carburant et lubrifiant qui représente plus de 80% des charges de l’armateur.
Lancer, par exemple, un convoi sur l’axe Kinshasa – Kisangani – Kinshasa (1725 Km), coûte près de 88.400 $US en carburant. Ce qui fait qu’aucun bateau ne peut effectuer plus de deux voyages par an sur le Fleuve Congo et ses affluents.
Par ailleurs, l’ordonnance-loi qui fixe la nomenclature des redevances, droits et taxes des provinces, est l’objet d’interprétations aussi sélectives que diffuses. A travers les mesures d’application prises par chaque province, certaines taxes et droits posent d’énormes problèmes aux armateurs. Ils rappellent, entre autres, que l’immatriculation d’un bateau, à l’instar des véhicules, se fait une seule fois, au moment de sa mise en circulation.
Et, c’est à ce moment là que la taxe d’immatriculation se paie. Mais actuellement, les provinces exigent que chaque bateau qui la dessert soit immatriculé par elle de manière distincte de l’immatriculation obtenue lors de la mise en circulation auprès de son port d’attache. L’exigence du paiement de cette taxe aux provinces fait double emploi.
Les provinces taxent chaque accostage des bateaux dans chaque port privé alors que l’accostage n’est rien d’autre qu’un stationnement du bateau dans son port d’attache ou d’escale, à l’instar du véhicule dans son garage ou sur un parking privé. L’absence d’une contrepartie des provinces dans cette opération ne la justifie pas.
La taxe d’embarquement est cette autre taxe incriminée par les exploitants fluviaux. Cette taxe dont le fait générateur est la demande d‘autorisation de chargement et de déchargement dans les ports est diversement interprétée du fait de la présence de plusieurs intervenants tels que: les provinces, les propriétaires de ports, les transporteurs et les propriétaires de la marchandise. Cependant, étant donné que les opérations de manutentions sont assurées par les armateurs eux-mêmes, la taxation de leur propre service par l’état ne se justifie pas. Et enfin, l’impôt sur les bateaux et embarcations à propulsion mécanique, qui est un impôt rétrocédé, pose tout aussi des sérieux problèmes aux armateurs. Le taux fixé par les Gouverneurs des provinces est si élevé que les armateurs sont incapables de le payer d’autant plus qu’il est souvent cumulé pour deux ans. Outre ces taxes qui sont imposées au niveau des gouvernements provinciaux, la TVA, la Taxe Rémunératoire Annuelle (TRA) sur les unités flottantes qui relèvent du Gouvernement Central ainsi que la Taxe de Navigation pour Balisage de Voies Navigables et du Permis de Sortie des bateaux n’échappent pas aux critiques des armateurs. Cette dernière dont le paiement trimestriel, par bateau, est anticipatif, ne résulte d’aucune contrepartie. Cette taxe est exigée, par la Régie des Voies Fluviales (RFV), même si le bateau ne navigue pas. Au nombre des incongruités que les armateurs ne s’expliquent pas, se retrouve, par exemple, la saisie des documents de bord et du contrôle de la DGDA (Service de Douane) et la DGM (Service d’Immigration) sur les marchandises en circulation intérieure. En effet, pour contraindre les armateurs au paiement de certaines taxes, droits et frais décriés, les commissaires fluviaux retiennent systématiquement le Permis de Sortie des bateaux au mépris du Code de la Navigation. Ceci en complicité avec les services opérants dans les ports. De leur côté, la DGDA exige à chaque départ d’un bateau, la déclaration des marchandises subordonnée au paiement d’un bordereau en douane et le visa alors que ces marchandises sont destinées à l’intérieur du pays. Il convient de dénoncer également la réclamation, par les agents de la DGDA, des heures supplémentaires auprès de chaque armateur qui organise le départ du bateau après 15h30’. Quand à la DGM, c’est l’exigence des frais d’autorisation pour le déplacement de bateau qui est incriminé. La mission de ce service n’est-elle pas de réguler le mouvement des personnes et non des unités flottantes ou de biens ? Ainsi donc l’intervention de DGM sur les bateaux cargos à chaque départ ne se justifie pas. C’est autant des questions qui ont été abordées lors des pourparlers initiés en février 2014 et qui avaient trouvés leurs résolutions. Au point où ils en sont, les exploitants fluviaux, pour surseoir ou mettre un terme à leur action revendicative, invite le gouvernement à avoir le courage de prendre des mesures rationnelles « concertées » qui ont été arrêtées.