On se souvient des paroles du président de la République, Emmanuel Macron, à propos des violences policières, le 7 mars 2019 : «Ne parlez pas de «répression» ou de «violences policières», ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit.» En mai 2017, il avait pourtant déclaré qu’il serait intraitable sur ce sujet. Plus récemment, le nouveau ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a affirmé qu’il «s’étouffait» lorsqu’il entendait le mot «violences policières». Force est de constater qu’au plus haut niveau de l’Etat, ces violences sont récusées.
Pourtant, la violence a été exacerbée pendant le pic du mouvement des gilets jaunes (novembre 2018-mai 2019), avec un usage renforcé des lanceurs de balles de défense (LBD), des grenades Gli-F4 ayant provoqué de graves blessures (éborgnements, mains arrachées, pied déchiqueté, pertes de dents, etc.) qu’a recensées l’association les Mutilés pour l’exemple.
Elle a d’autant plus choqué qu’elle s’est appliquée à des personnes qui, le plus souvent, ne représentaient pas de menaces pour la sécurité des biens et des personnes, encore moins ne se justifiait par des cas de légitime défense. S’agissant de casser la contestation populaire ayant pris une dimension insurrectionnelle ou émeutière, la répression policière du mouvement des gilets jaunes a été d’une grande brutalité. Cet usage disproportionné de la violence a été intégré à la stratégie du maintien de l’ordre mise en place par le préfet de Paris, Didier Lallement, qui soutient une démarche offensive visant à «impacter» les groupes de manifestants.
Norme interne
Rappelons ici que la Préfecture de Paris est placée sous la tutelle directe du ministre de l’Intérieur et bénéficie d’une autonomie opérationnelle à l’égard de la direction générale de la police nationale. Ces violences ont été pointées du doigt par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), ainsi que par la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic.
A cette violence d’exception s’ajoutent les actes violents et le racisme au quotidien. Les exemples sont multiples et posent la question de l’existence d’un système le favorisant et l’acceptant comme norme interne. De surcroît, la police compte dans ses rangs de très nombreux membres adhérant aux thèses de l’extrême droite jusque dans ses variantes les plus radicales (nazisme, suprémacisme blanc) quand il ne s’agit pas de syndicats policiers affichant sur les réseaux sociaux leurs appartenances idéologiques extrémistes.
De fait, on assiste à une forme de déprofessionnalisation d’une partie des forces de l’ordre qui exercent leur métier, non plus en suivant les règles de leur profession, mais sur la base de leurs convictions politiques. Cela ne se traduit pas uniquement dans le rejet des étrangers mais également dans le traitement des militants de gauche dans toutes leurs diversités, les «rouges» comme le soulignent et l’affichent certains policiers.
Si les forces de police ne se conforment plus à un code de conduite professionnel respectant les droits humains, civiques et politiques, la perte de confiance de la population ne pourra que s’accroître davantage.
Déni de la réalité
Consécutivement, au grand rassemblement devant le TGI de Paris, appelé par le comité Vérité pour Adama, le 2 juin 2020, le pouvoir a semblé prendre en compte la réalité des violences policières et du racisme au sein des forces de police. Toutefois, cela n’aura été que de courte durée, l’ex-ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, ayant rétropédalé au bout de quelques jours face à l’opposition des syndicats de police. En effet, ces derniers se sont enfermés dans un véritable déni de la réalité et pour certains ont lancé des manifestations nocturnes en occupant des lieux symboliques à travers la capitale.
Serait-il donc impossible de formuler des critiques et de réformer la police ? Force est de constater que tout est entrepris pour bloquer le débat sur les violences policières et le racisme. A travers ces événements, on constate que la police n’est pas contrôlée par le pouvoir politique et qu’elle s’est coupée d’une partie significative de la société. Les policiers n’auraient de comptes à rendre à personne, ni au ministère, encore moins à la représentation nationale et à la population. Il ne peut y avoir de police démocratique si celle-ci ne se considère elle-même pas dans l’obligation de rendre des comptes aux élus, à la population et à l’Etat.
Il est grand temps que cette situation cesse. Il en va de la préservation de notre cadre de vie démocratique. Si rien n’est entrepris, l’on pourrait glisser progressivement vers un Etat de police qui remplacerait l’Etat de droit. La police ne saurait se gouverner par elle-même. Il convient de rétablir le lien hiérarchique entre le ministre et la fonction publique policière, celui-ci ayant été inversé. Nous ne pouvons pas tolérer une forme de séparatisme institutionnel, ainsi que des pratiques violentes et discriminatoires motivées par l’adhésion à des idéologies racistes et xénophobes au sein des forces de sécurité de notre pays. Il devient urgent que le politique reprenne le dessus, que le rôle et la place de la police dans la société soient discutés plus largement par les citoyens.