Chuck Blazer a reconnu la forfaiture devant les enquêteurs américains. Il raconte comment « ils ont racketté » le Maroc alors qu’« ils ont » donné l’organisation de la Coupe du monde 1998 à la France. Compte rendu policier des heures sombres de l’instance supérieure du football mondial.
C’est Chuck Blazer qui parle : « Vers 1993 jusqu’au début des années 2000, j’ai accepté, avec d’autres, de recevoir des pots-de-vin en rapport avec la diffusion et d’autre droits des Gold Cups (compétition organisée par la Concacaf) 1996, 1998, 2000, 2002 et 2003, mais également en rapport avec la sélection de l’Afrique du Sud comme pays organisateur de la Coupe du monde 2010. »
L’ancien secrétaire général de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf) de 1990 à 2011, a reconnu devant les enquêteurs américains avoir touché, avec d’autres personnes de la FIFA, des pots-de-vin dans le cadre de la sélection du pays organisateur des Coupes du monde 1998 et 2010, attribuées respectivement à la France et à l’Afrique du Sud.
Dans une transcription partielle du procès-verbal de son audition par les enquêteurs américains datant de novembre 2013, rendue publique le 3 juin, Chuck Blazer met en lumière la corruption de certains membres de la Fifa, sans les nommer.
Plus loin, dans le procès-verbal, il ajoute : « Pendant mon association avec la Fifa et la Concacaf, je me suis mis d’accord avec d’autres personnes pour que l’un de nous se prête à au moins deux actes de racket. Entre autres choses, j’ai accepté avec d’autres personnes aux alentours de 1992 de faciliter la remise de pots-de-vin en lien avec le choix du pays organisateur de la Coupe du monde 1998. »
Le Maroc mis en cause
Très coopératif, Chuck Blazer enfonce le clou. Ainsi, pour le Mondial de 1998, le Maroc aurait demandé à l’un de ses collègues de voter pour sa candidature en échange d’un pot-de-vin. Chuck Blazer a affirmé à la justice américaine avoir été témoin d’un accord passé entre le comité de candidature marocain et une personne, « complice n°1 », décrite comme détenant des postes élevées au sein de la Fifa et de la Concacaf, et déjà évoquée dans l’acte d’accusation rendu public le 27 mai par la justice américaine.
Blazer était alors le secrétaire général de la Concacaf. Les deux hommes avaient été invités au Maroc « quelques mois avant la désignation » du pays-hôte de la Coupe du monde 1998. « Blazer était présent lorsqu’un représentant du comité de candidature marocain a offert un pot-de-vin au complice n°1 en échange de sa voix pour le Maroc dans le scrutin pour le pays-hôte de la Coupe du monde 1998 et le conspirateur n°1 a accepté le pot-de-vin », précise le document qui inculpe Blazer de racket et corruption.
La suite ? « Après leur voyage, le complice n°1 a demandé à Blazer de contacter les représentants de la candidature marocaine pour déterminer quand le versement serait effectué. Blazer s’est entretenu au téléphone avec eux à plusieurs reprises, y compris depuis les bureaux de la Concacaf à New York », poursuit le document. « Bien que le paiement ait été effectué, le comité exécutif de la Fifa a préféré le 2 juillet 1992 la candidature de la France à celle du Maroc », conclut le texte. Le montant de la somme versée n’est pas précisé.
Les responsables français sereins
Lors d’une conférence de presse le 28 mai, le FBI avait déjà indiqué que Jack Warner, ex-président de la Concacaf, avait lui aussi reconnu avoir touché des pots-de-vin dans le cadre de l’attribution de ces compétitions.
Interrogé sur RTL, Jacques Lambert, qui était le responsable du comité d’organisation de France 98, avait assuré que « Fernand Sastre (alors président de la Fédération française) est allé présenter le dossier de la candidature française à Jack Warner : ce que Warner avait demandé à la Fédération française, c’était que l’équipe de France aille jouer un match de préparation à la Coupe du monde 1994 à Trinidad, c’est tout. Il n’y avait pas eu à l’époque de demande d’argent ».
Mêmes dénégations de la part de l’ancien président de la Fédération française de football Claude Simonet qui, le même jour sur BFMTV, affirmait : « La candidature pour l’organisation de la Coupe du monde 1998 a été présentée par mon prédécesseur, M. Jean Fournet-Fayard, qui s’est entouré d’un comité d’organisation présidé par Fernand Sastre et Michel Platini, des personnalités de haut rang insoupçonnables. Je pense que des hommes que j’ai côtoyés et connus ne peuvent pas avoir été mêlés à un tel scandale. »
Bénéficiaire direct de dix millions de dollars
Le scénario s’est reproduit pour la Coupe du monde 2010, convoitée par l’Egypte, le Maroc et l’Afrique du Sud. Blazer, entré dans l’intervalle au Comité exécutif de la Fifa, a cette fois été l’un des bénéficiaires directs. « À partir de 2004 et jusqu’en 2011, moi et d’autres membres du comité exécutif de la Fifa, nous avons accepté des pots-de-vin en vue de la désignation de l’Afrique du Sud comme pays organisateur de la Coupe du monde 2010 », a-t-il admis.
La justice américaine soupçonne également le Trinidadien Jack Warner d’avoir empoché 10 millions de dollars en échange de trois voix en faveur de l’Afrique du Sud lors du vote pour l’attribution du Mondial 2010. L’Afrique du Sud a, depuis, reconnu que 10 millions de dollars avaient été versés au football caribéen par fraternité panafricaine et a balayé toute idée de corruption. Ce pays avait été préféré à l’Egypte, au Maroc et à une candidature commune entre la Libye et la Tunisie.
Un micro placé dans un porte-clefs
Chuck Blazer, 70 ans, se voit régulièrement accoler par les médias l’étiquette de « taupe » du FBI. En effet, cet ex-hiérarque du football mondial au physique très imposant aurait enregistré, à l’aide d’un micro placé dans un porte-clefs, plusieurs conversations avec des hauts dirigeants du ballon rond, notamment lors des Jeux olympiques de 2012. Mais c’est seulement à l’automne 2014 qu’ont été publiés les premiers articles faisant état d’une collaboration entre lui et le FBI. Le millionnaire, figure du football en Amérique du Nord durant deux décennies, avait plaidé coupable en novembre 2013, notamment de racket et blanchiment d’argent.
Membre du comité exécutif de la Fifa de 1997 à 2013, Blazer a également été, de 1990 à 2011, le secrétaire général de la Concacaf. Le scandale qui a éclaté par l’arrestation de plusieurs responsables de la Fifa dans un hôtel de Zurich a culminé avec l’annonce de la démission prochaine de Sepp Blatter, en poste depuis 1998. Qui succédera alors au Suisse et à ses comparses ? Fifagate annonce-t-il l’avènement d’une nouvelle génération au sommet de la FIFA ? Réponse au début de 2016.